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Les loups dans le Pas-de-Calais

Texte manuscrit retranscrit ci-contre.

Registre paroissial de Barly, 1694. Archives départementales du Pas-de-Calais, E-dépôt 084/E 2.

L’acte de sépulture reproduit et retranscrit ci-dessous a été trouvé dans le registre paroissial de Barly, conservé aux archives départementales du Pas-de-Calais sous la cote E-dépôt 084/E 2. Il relate la mort tragique d’une enfant de ce village, étranglée par un loup le 11 août 1694. La victime, née le 13 décembre 1682 à Barly, était âgée de 11 ans et 8 mois au moment du décès :

L’an mil six cent nonante quatre, le douze d’aoust, a estée inhumé dans le cimetier de Barly le corps de Marie Joseph Dingrevil, fille légitime de Jean et de Marie Clercq Desmasure, agée de douze ans ou environ, estranglée le jour de devant sur les quatres heurs après midy d’un loup dans le pred nommé le Grand Enclos à labeur apartenant au seigneur, auquel service et enterement ont assistés ledict Jean et ladicte Desmasure, ses père et mère, qui, interpellés si ils scavoient escrir, ont dict ne le pas scavoir et ont faict leurs merque.

Les accidents de ce genre ne sont pas exceptionnels ; ils sont signalés un peu partout en France à cette époque. On a pu ainsi recenser 1 078 décès occasionnés par des attaques de loups en France de 1592 à 1818. Dans ces conditions, on comprend bien que si les loups anthropophages ne constituaient qu’une catégorie très minoritaire de loups, habitués peut-être à la chair humaine par les cadavres que les hommes laissaient exposés pendant leurs conflits, la crainte d’être croqué vivant par le loup s’enracine en France dans une incontestable réalité (Jean-Marc Moriceau). L’histoire du petit chaperon rouge, publiée pour la première fois en France en 1698 dans les Contes de ma mère l’Oye de Charles Perrault, s’inscrit dans ce contexte.

Sur les traces du loup

En dehors du cas de Barly, on ne connaît pour l’instant aucune autre affaire de loup anthropophage sur le territoire actuel du Pas-de-Calais. La présence de cet animal n’en est pas moins formellement attestée un peu partout dans notre région, du XIVe au XIXe siècle, comme le montrent les traces que son passage a laissées dans les documents d’archives.

Les plus anciennes mentions connues apparaissent dans les documents de la série A au début du XIVe siècle : Le tiers jour d’avril à Estrées sour Canche [Estrée-Wamin] pour 2 brebis que le leu tua : 7 sous (compte de l’hôtel du comte d’Artois de 1300, A 162).

Pour veillier par nuit el dit parc de Hesdin pour gaitier les leus que il ni entraissent et que chil qui y estoient entré n’en ississent. Et pour cauper par jour de le laigne pour faire les feus en pluiseurs lieus par nuit. Et pour queillir des panchons pour tendre les rois contre les leus. Et pour porter des caroignes au bos entre deus yawes pour amorser les leus.

Compte du bailliage d'Hesdin de l'Ascension 1319. Archives départementales du Pas-de-Calais, A 371/2.

Texte manuscrit retranscrit ci-contre.

Compte du bailliage d’Hesdin de l’Ascension 1319. Archives départementales du Pas-de-Calais, A 371/2.

Il est donc question ici d’une chasse aux loups organisée dans le parc du château d’Hesdin (Vieil-Hesdin) entre la Chandeleur et l’Ascension 1319 : il a fallu à cette occasion payer plusieurs personnes pour gaitier les leus (guetter les loups), les empêcher d’entrer et de sortir du parc, queillir des panchons (récolter des pieux), tendre les rois (filets), cauper de le laigne (couper du bois de chauffage) et porter des caroignes au bos (des charognes au bois) afin d’attirer les loups.

On retrouve le loup à Hesdin à l’occasion de l’épidémie de peste de 1597 : 60 sols aux soldatz et aultres personnes quy ont tué cincq chiens et un loup, à Galio, marchand, 40 sols pour aultres quatre chiens par luy tuez, lesquelz desterroient les corps mortz pestiférez (compte de l’argentier de la ville d’Hesdin pour l’année 1596-1597, E-dépôt 447/CC 24, folio 38 recto).

Durant la Révolution, l'administration soutient toute initiative de particuliers visant à leur éradication, comme en atteste un dossier de neuf pièces datant de l'an III, conservé sous la cote 2 L 6/155 (3). Dans ce dossier, on trouve une lettre de recommandation vantant les talents de louvetière de Marie de Draëck, surnommée la Dame aux loups, mais aussi des attestations d'édiles permettant le paiement de primes versées par l'administration pour toute bête abattue.

La dernière chasse au loup, dans notre région, aurait eu lieu vers 1871 à Planques (canton de Fruges), si l’on en croit certain récit intitulé Le dernier loup du Nord de la France tué à Planques, publié en 1944 par l’abbé Nestor Delétoille.

Le passage des loups a laissé également de nombreuses traces dans la toponymie, fixée dans le cadastre napoléonien (première moitié du XIXe siècle) : les noms de lieux évoquant le loup y sont attestés dans 150 communes (sur 900 environ), uniformément réparties dans l’ensemble du département. Les appellations sont formées tantôt sur le mot loup, tantôt sur le mot leu (qui en est la forme picarde) : la "Fontaine des loups" à Bapaume, la "Louvière" à Lambres, le "Courty aux Loups" à Acquin, le "Buisson des loups" à Brimeux, la "Trappe à leux" à Créquy, la "Carrière aux loups" à Érin, la "Fosse à Loups" à Fruges, la "Borne des loups" à Hénin-Liétard, etc.

La plupart de ces dénominations ont par la suite disparu, en même temps que le loup lui-même disparaissait du paysage !

Pour aller plus loin

  • J.-M. MORICEAU, "Les enfants dévorés par les loups dans la France moderne (1590-1820)", dans Histoire des familles, de la démographie et des comportements en hommage à Jean-Pierre Bardet, direction Jean-Pierre Poussou et Isabelle Robin-Romero, Paris, PUPS, 2007, p. 585-593. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 7238.
  • J.-M. MORICEAU, Histoire du méchant loup : 3 000 attaques de loups sur l'homme en France (XVe- XIXe siècle), Paris, Fayard, 2007, 623 p.
  • J.-M. MORICEAU, L’homme contre le loup. Une guerre de deux mille ans, Paris, Fayard, 2011, 480 p.
  •  Site internet de l'universitré de Caen "Homme et loup, 2000 ans d'histoire"

Commentaires (3)

Mathieu LEGRAND

Arras, le 5/11/2020.
Pour compléter l'article, il y a au moins un autre cas de loup anthropophage dans le Pas de Calais : actes paroissiaux de Manin, 5 MIR 544/1, vue 52/1046. Hubert Parent dévoré par un loup le 12 avril 1738 : décédé le 16 avril 1738. Et 9 autres dangereusement blessés.

Sur ce même loup, il y a aussi ce long article de Généalogie Ternois, qui a ma connaissance ne mentionne malheureusement pas d'autre source :

« Le 16 avril 1738, Augustin DELEAU (1707-1765), curé de Manin et Beaufort, inhumait à Manin un enfant de six ans, Antoine-Hubert PARENT. Il écrivait en marge de l’acte que "cet enfant avoit été dévoré par un loup enragé le 12 du même mois, et que neuf autres étoient dangereusement blessés". Vers la mi-avril 1738, un loup fut vu dans les bois de Manin ; ceux qui répandirent la nouvelle le représentèrent comme atteint de la rage. Aussitôt, le village fut sur pied, on s’arma de tout ce qu’on trouva sous la main ; le garde de bois et ceux des bois voisins étaient porteurs de leurs arquebuses, mais la terreur était si grande que personne n’osa entrer dans le bois. Un autre jour, pendant que les ouvriers de la ferme de l’abbaye (d’Etrun) étaient occupés à clore la haie qui sépare du bois les prairies de cette ferme, le loup furieux s’élança sur eux, en blessa trois, et, frappé lui-même d’une serpe de bûcheron, il s’enfuit. Peu d’instants après, Jean Antoine BABEUR, fermier de Givenchy-le-noble, se rendant à Manin, rencontra l’animal qui se précipita sur lui et l’égorgea. On ne sait de quel côté se dirigea le loup, mais il est probable qu’exténué par sa blessure, il soit allé crever au fond de quelque fourré, loin du village. BABEUR et PARENT périrent seuls sous sa dent, mais neuf autres personnes avaient été blessées. Elles partirent en pèlerinage "servir" Saint Hubert en Ardennes. La légende rapporte que les blessés exécutèrent pieusement les neuvaines et prières prescrites, outre le voeu de ne point se coiffer durant quarante jours. Mais la fête de Beaufort arriva trois jours avant le terme fatal ; un des blessés ne put résister à l’attrait de la "ducasse" et se para de ses habits les plus beaux. Ne voulant pas qu’une coiffure négligée fît contraste, il se peigna donc et se rendit à la fête. Mal lui en prit, car les premières atteintes de la rage l’arrachèrent au plaisir, et trois jours après, il expirait dans d’affreuses convulsions.

En reconnaissance des huit guérisons, le curé Augustin DELEAU sollicita, par l’intermédiaire de son évêque, l’obtention d’une bulle du Pape, pour l’établissement d’une Confrérie sous la protection de Saint Hubert. Cette société qui exista jusque 1855, comprenait huit membres, recrutés à tour de rôle parmi les hommes mariés de la paroisse. Celui qui refusait, à son tour indiqué, d’entrer dans la confrérie sans motif légitime, se voyait le jour même blâmé publiquement par la sonnerie immédiate de son trépas, ce qui entraînait ipso facto la perte de son honneur, pour lui-même et tous les membres de sa famille, et, lors de ses funérailles, de ne pas être porté en terre par les confrères, dont c’était l’une des charges. Le 3 novembre, le jour de la Saint-Hubert, le confrère sortant (appelé le prévôt) était déposé, et un nouveau confrère était intronisé pour huit ans. Le prévôt recevait ce jour-là chez lui, à sa table, les huit confrères et le curé, pour un repas fraternel. Outre la charge de porter les défunts au cimetière (sauf les jeunes gens et les jeunes filles), les confrères devaient honorer le saint sacrement en l’accompagnant avec leur flambeau aux processions. Ils occupaient, à l’église, le banc de confrérie en avant de la nef. Ils assuraient chaque année, la "Quête au blé", pour l’entretien de l’église. Sans en avoir le titre officiel, les confrères tenaient aussi en fait le rôle de conseillers paroissiaux. »

Je n'ai pu retrouver l'acte de Jean Antoine Babeur (peut-être/certainement époux de Marie Milfaut (ou Milfaux))...

Le 05 novembre 2020 à 16h40

Léger Sophie

L'abbé Delétoille était un personnage truculent dont les écrits entre histoire et mythologie n'ont pas fini d'embrouiller les chercheurs !
François Paul a publié une excellente étude, dans laquelle il a recensé et cartographié toutes les mentions faites dans la presse et les archives administratives concernant les loups tués ou aperçus dans le Pas-de-Calais, en leur attribuant un degré de fiabilité. Il s'avère qu'aucune mention après celle de 1859 à Embry ne peut être raisonnablement prise en compte. Pour en savoir plus : François Paul, "Les derniers loups du Haut-Pays d'Artois", Bulletin historique du Haut-Pays n° 77, Comité d'histoire du Haut-Pays, 2011, p. 126-135.

Le 15 mars 2013 à 10h41