Arrêt de la cour d’assises de Saint-Omer du 30 mai 1817

Dhéguillasse

Audience du trente Mai, milhuit cent dix sept :

Vû par la Cour l’arrêt portant accusation et renvoi, rendu par la
cour royale de Douai, le quatre février mil huit cent dix sept, contre le
nommé François Joseph Dhéguillasse, âgé de trente six ans, cordonnier à
Landrethun, canton d’Ardres, arrondissement de Saint Omer, département du
Pas-de-Calais.

L’ordonnance de prise de corps décernée contre ledit François Joseph
Dhéguillasse.

Et l’acte d’accusation rédigé en vertu du susdit Arrêt par le Procureur
général, et dont suit la teneur.

Le Procureur général de la cour royale de Douai, expose
que par arrêt de cette cour, rendu le quatre février mil huit cent dix sept
par la première section criminelle, il a été déclaré qu’il y avait lieu à
accusation contre François Joseph Dhéguillasse, âgé de trente six ans, cor-
-donnier à Landrethun, prévenu d’avoir dans la nuit du quinze au
seize octobre dernier, homicidé volontairement et avec préméditation
en ladite commune de Landrethun-lez-Ardres, Marie Magdelaine Salmon
fille majeure, demeurant en cette commune, ou d’avoir avec connaissance
aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs de l’assassinat dans les faits
qui l’ont préparé ou facilité, ou dans ceux qui l’ont consommé.

Crimes prévus par les articles 295, 296, 297, 302, 59 et 60 du code
pénal.

Et ledit prévenu a été renvoyé devant la cour d’assises du département
du Pas-de-Calais, qui tiendra sa séance à Saint-Omer, pour y être
jugé selon la loi.

Déclare le Procureur général qu’en exécution du susdit Arrêt
ayant fait un nouvel examen de toutes les pièces de la procédure
il en résulte que, dans la nuit du quinze au seize octobre dernier,
un affreux assassinat fut commis dans la commune de Landrethun
lez-Ardres, sur la personne de Marie Magdelaine Salmon, fille
majeure, demeurant en ladite commune, et dont le cadavre percé d’un
grand nombre de blessures insérées avec un instrument tranchant, et une forte
contusion à la tête, fut trouvé le seize au matin dans le chemin qui
conduit du val Landrethun à Licques, que plusieurs propos tenus
par François Joseph Dhéguillasse à Antoine Salmon, quelques temps .../...

avant l’assasinat dont est question, firent naître des soupçons sur ledit
Dhéguillasse, lequel croyant que Marie Magdeleine Salmon était
sorcière, et avait causé par ses maléfices, la mort de ses trois enfants,
et déclara à Antoine Salmon ainsi qu’à sa femme, qu’il était tellement
courroucé contre elle à ce sujet, qu’il l’aurait brûlée, ou l’aurait em-
poisonnée : que de son côté Antoine Salmon et sa femme ne pensaient
pas mieux sur le compte de Marie Magdeleine Salmon, leur sœur,
qu’ils regardaient aussi comme sorcière, et par cela même comme la cause
de la mort de leurs enfants, ce qui leur fit concevoir pour elle, une
haine implacable, qui fut encore s’il avait été possible augmentée par
la démarche que fit Magdeleine Salmon de les attraire au juge de
paix du canton en les accusant de lui avoir volé des chemises : que
d’après ces faits et l’opinion qu’ils avaient conçue de ladite Marie
Magdeleine Salmon, lesdits Dhéguillasse, Antoine Salmon et sa femme
prirent ensemble les moyens de se défaire de sa personne, par quelque
moyen que ce fut ; qu’à cet effet quelques jours avant l’assassinat de ladite
Salmon, ils eurent de fréquentes entrevues, dans lesquelles ils s’entretinrent
des moyens d’y parvenir, et notamment le jour qui précéda la nuit
de l’assassinat commis sur la fille Salmon ; qu’il fut remarqué que
la femme d’Antoine Salmon resta levée dans ladite nuit beaucoup plus longtemps que
que d’ordinaire, et se leva le lendemain de grand matin, sortit
et dirigea ses pas du côté où gisait le cadavre ; que lors de la découverte
du cadavre, beaucoup de monde ayant été attiré à l’endroit où il gisait, le
prévenu François Joseph Dhéguillasse, Antoine Salmon et Marie Joseph Allent
sa femme n’osèrent en approcher, et marquèrent la plus grande indifférence
lors même qu’on leur eut dit que ledit cadavre était celui de Marie
Magdeleine Salmon et s’en allèrent de suite travailler tranquillement
chez eux sans manifester aucun regret, ni aucune peine ; que ledit Dhé-
guillasse observa seulement que comme il savait que Marie Magdeleine
Salmon devait aller couper des verges dans le bois pour la réparation
de sa maison, qu’il s’était offert de raccommoder, il était possible que
l’ayant vue, le garde champêtre c'est-à-dire le garde du bois avait
pu la tuer : qu’une foule d’autres circonstances produites tant par les
informations que par les aveux mêmes des prévenus, font présumer
que la mort de la malheureuse fille Salmon était résolue depuis
longtemps, et qu’on était seulement indécis sur les moyens à prendre
pour y parvenir, que le mercredi neuf octobre, Antoine Salmon étant allé
chez Dhéguillasse, celui-ci lui fit observer sur le seuil de la porte de sa
maison un balai en lui disant : tu n’es pas sorcier, toi, car tu es passé
par-dessus, mais ta sœur Magdeleine Salmon n’a pu y passer, ni entrer
dans la maison . Que dans cette circonstance ledit Dhéguillasse avait
résolu de se défaire par le poison de ladite Magdeleine Salmon, et .../...

engagea même Antoine Salmon de lui en rapporter de Calais, où il
devait aller le lendemain ; qu’enfin Prudence Salmon femme Dhéguillasse
qui déjà avait été entendue par M. le Juge de paix le dix huit
octobre dernier et avait déclaré ne rien savoir sur l’événement tragique
dont l’infortunée fille Salmon avait été victime, vint derechef le trouver
le trente dudit mois, et lui dit qu’elle se repentait de n’avoir pas plus tôt
déclaré la vérité au sujet de la mort de Magdeleine Salmon, qu’elle
en avait du regret, et venait se décharger d’un poids qui la gênait
extrêmement ; qu’alors elle déclara à M. le juge de paix que depuis
la querelle qu’il avait eu avec sa sœur au sujet de deux chemises et
une paire de bas qu’elle prétendait lui avoir été volées par son frère,
Antoine Salmon ne cessait de répéter qu’il tenterait tous les moyens
pour s’en défaire, que sa sœur était sorcière, qu’elle était la cause
de la mort de leurs enfants par ses maléfices ; qu’ensuite il parvint
malheureusement à entraîner son mari François Joseph Dhéguillasse.
Que ledit Salmon revint le quinze octobre dernier vers soleil couchant
pour recommander audit Dhéguillasse d’aller prendre ladite Magdeleine
Salmon, pour aller couper des verges dans le bois ; qu’enfin son
mari étant sorti quelques temps après pour aller soi-disant chercher
de l’ouvrage, revint la nuit déjà très avancée, qu’il se mit au lit après
avoir fumé sa pipe ; qu’elle, Prudence Salmon, s’aperçut que son mari
était tout tremblant, et se coucha avec son pantalon ; que sur l’observation
qu’elle lui en fit, il lui répondit qu’il était tombé à l’eau en revenant, et
qu’il avait conservé son pantalon pour le sécher dans le lit, que quelques
instants après, il lui conta que de concert avec Antoine Salmon, ils avaient
attiré hors de chez elle, Marie Magdeleine sa sœur, sous prétexte d’aller
cueillir des verges dans le bois, pour la réparation de sa maison, et
qu’arrivés avec elle près du bois, Antoine s’était jetté sur sa sœur,
l’avait étourdie d’un coup de bâton ; qu’ensuite lui et Dhéguillasse, son
mari, l’avaient tuée ; que ce dernier ajouta qu’il en était bien fâché. Que
cette déclaration fut encore répétée à Prudence Salmon par son mari
dans une conversation qu’ils eurent ensemble dans la prison d’Ardres,
dans laquelle il lui recommanda de laver ses effets, conversation qui fut
entendue par Jacques Bezié, gardien de ladite prison, et rendue dans
le même sens à plusieurs personnes par ladite Prudence Salmon.

Antoine François Salmon est décédé, quant à Marie Joseph Allent, les
charges qui s’élevaient contre elle n’ont pas parues suffisantes pour
la mettre en accusation ; François Joseph Dhéguillasse est donc le seul
qui figure au procès. Tous les témoins entendus dans cette cause,
paraissent justifier plus que jamais les charges qui s’élèvent contre
ce prévenu et qui tendent à établir sa culpabilité.

En conséquence, .../...

En conséquence, François Joseph Dhéguillasse est accusé d’avoir
dans la nuit du quinze au seize octobre dernier, homicidé volontairement
et avec préméditation en ladite commune de Landrethun-lez-Ardres, Marie
Magdeleine Salmon, fille majeure, demeurant en cette commune, ou
d’avoir avec connaissance aidé et assisté l’auteur ou les auteurs de
l’assassinat, dans les faits qui l’ont préparé, facilité ou dans ceux
qui l’ont consommé.

Fait au Parquet du Procureur Général à Douai, le vingt sept
février mil huit cent dix sept.
Signé Degouve Denuncques, substitut.

Ledit François Joseph Dhéguillasse ayant été traduit à l’au-
dience publique, là, en sa présence et celle des témoins, lecture ayant
été faite à haute voix par le Greffier, de l’arrêt de la cour royale, portant
accusation, et renvoi à la cour d’assises, et de l’acte d’accusation ; lesdits
témoins ayant répondu à l’appel nominal fait aussi à haute voix par
ledit Greffier, et après avoir fait serment de parler sans haine et
sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité, et de
n’être parentes, alliées, serviteurs ni attachés au service des accusés
ont été successivement et séparément entendues.

Vu la déclaration du jury, portant que François Joseph Dhéguillasse
est coupable d’avoir pendant la nuit du quinze au seize octobre dernier
homicidé volontairement et avec préméditation, en la commune de
Landrethun-lez-Ardres, Marie Magdeleine Salmon, fille majeure
demeurant en ladite commune.

Ouï M. le Procureur du Roi en son réquisitoire, l’accusé et M.
Boubert, avocat, son conseil, en leurs observations et conclusions.
Attendu que le fait déclaré constant par le jury constitue un
crime prévu par les articles 295, 296, et 302 du code pénal, lesquels
portent,
Art. 295 "L’homicide commis volontairement est qualifié de
meurtre".
Art. 296 "Tout meurtre commis avec préméditation ou de
guet-apens, est qualifié d’assassinat".
Art. 302 "Tout coupable d’assassinat, de parricide, d’infanticide
ou d’empoisonnement, sera puni de mort".
Vu également les art. 12, 26 et 36 dudit code pénal, portant
Art. 12 "Tout condamné à mort aura la tête tranchée".
Art. 26 "L’exécution se fera sur l’une des places publiques du
lieu qui sera indiqué par l’arrêt de condamnation".

Art. 36 "Tous arrêts qui porteront la peine de mort
seront imprimés par extrait.
Ils seront affichés dans la ville centrale du département,
dans celle où l’arrêt aura été rendu, dans la commune du lieu
où le délit aura été commis, dans celle où se fera l’exécution, et
dans celle du domicile du condamné".
Vu aussi l’article 368 du code d’instruction criminelle, ainsi
conçu.
"L’accusé … qui succombera, sera condamné aux frais
envers l’État".
Desquels articles de loix, lecture a été faite à l’audience par
M. le Président.

La Cour condamne François Joseph Dhéguillasse à la
peine de mort.
Ordonne que l’exécution aura lieu sur la place publique
de Saint-Omer.
Que le Présent Arrêt sera imprimé par extrait, et affiché dans
les villes d’Arras, Saint-Omer, et dans la commune de Landrethun-
lez-Ardres.
Condamne ledit François Joseph Dhéguillasse aux frais envers
l’État, liquidés à cent soixante dix sept francs, quarante centimes.
Ordonne que le Présent Arrêt sera mis à exécution, à la dili-
gence de Monsieur le Procureur Général.

Fait et prononcé à l’audience publique de la cour d’assises
du département du Pas-de-Calais, séant à Saint-Omer, le trente mai
mil huit cent dix sept ; à laquelle étaient présents MM. Dupont
conseiller à la cour royale de Douai, Président de ladite cour d’assises
d’accusation, vice Président du tribunal civil de Saint-Omer ; Dewimille,
Bachelet, et Lefebvre, juges dudit tribunal, qui ont signé ; ce dernier
siégeant pour l’empêchement de M. Duval Président du tribunal
civil de Saint-Omer.

[signé] Dewimille, Dupont, Charles Vaniechout,
Pa. Lefebvre, Bachelet.

L’an mil huit cent dix sept, le quatorze août à midi en exécution .../...

de l’arrêt de la cour d’assisses du département du Pas-de-Calais, séant
à Saint-Omer, en date du trente mai dernier qui condamne le nommé
François joseph Dhéguillasse, âgé de trente six ans, cordonnier, demeu-
rant à Landrethun-lez-Ardres, convaincu d’avoir pendant la nuit du
quinze au seize octobre mil huit cent seize, homicidé volontairement
et avec préméditation, en la commune de Landrethun-lez-Ardres
Marie Magdeleine Salmon, fille majeure, demeurant en ladite
commune.

Ledit François Joseph Dhéguillasse a été conduit par l’exécuteur
et par la force armée sur la place publique de Saint-Omer, où il a eu
la tête tranchée.

En foi de quoi je soussigné Commis Greffier du tribunal civil de
Saint-Omer, chef-lieu judiciaire du département du Pas-de-Calais, ai rédigé le
présent procès-verbal, sur la réquisition de M. le Procureur du roi
les jour, mois et an que dessus, conformément à l’article 378 du
code d’instruction criminelle, et l’ai de suite transcrit auprès de la
minute de l’arrêt qui le concerne.

Signé J.-B. Duval.

Je soussigné Commis Greffier du tribunal civil de Saint-Omer, chef-
lieu judiciaire du département du Pas-de-Calais, ai transcrit le procès-verbal
qui précède auprès de la présente minute de l’arrêt qui le concerne.
À Saint-Omer, le quatorze août mil huit cent dix sept.

[signé] J.-B. Duval.