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Archives - Pas-de-Calais le Département
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(de la Première Guerre mondiale)
Les dossiers de demandes d’indemnités pour dommages de guerre, déposés par tous les sinistrés du Pas-de-Calais entre 1920 et 1922, ont été progressivement inventoriés par les Archives départementales. Bien qu’incomplet, cet ensemble de milliers de dossiers constitue une source inestimable de données facilement accessibles aux passionnés d’histoire locale.
Les instruments de recherche de ces fonds sont consultables sous les cotes 10 R et 120 R.
Ces dossiers sont groupés en différentes sous-séries, selon qu’ils ont été déposés par :
dépassant le montant de 500 000 francs) sont rassemblées en sous-série 10 R 10 ;
La recherche dans ces dossiers est assez minutieuse. Il faut avant tout retrouver le numéro du dossier que l’on recherche dans les fiches alphabétiques, puis se référer à l’inventaire pour trouver la cote correspondante au numéro de dossier. Une cote contient un certain nombre de dossiers, mais la liste de ceux-ci s’avère parfois lacunaire.
D’autres organismes temporaires existent : consulter la liste complète ici
La loi du 17 avril 1919, dite "charte des sinistrés", définit cinq types de dommages :
Pour chaque catégorie, l’indemnisation est déterminée à partir du coût de reconstitution du bien détruit, diminué d’un pourcentage de vétusté. Pour tenir compte de l’inflation, on ajoute à cette somme des "frais supplémentaires", à condition que le sinistré procède au remploi de son indemnité pour la reconstruction d’un immeuble de même nature dans un rayon de 50 kilomètres.
Les différentes phases d’instruction des dossiers ont donné lieu à la production d’une extraordinaire masse de documents.
Souvent les "procès-verbaux de conciliation" contiennent une mine de renseignements. Il en existe trois sortes, en fonction des catégories de dommages :
En première page se trouvent des éléments très détaillés sur l’état civil du déposant, ou de ses ayants droit, et parfois y sont joints des actes notariés anciens (donation des biens concernés, inventaires après décès, acte d’achat des bâtiments).
Les biens perdus sont succinctement listés, et évalués : "PS" signifie perte subie, c’est-à-dire le montant en francs de 1914, et "FS" signifie frais supplémentaires, c’est-à-dire le réajustement en fonction du changement de valeur de la monnaie : les deux ensembles aboutissent, après divers remaniements, à l’indemnité accordée en francs d’après-guerre.
On trouve également des procès-verbaux de non-conciliation.
Ces dossiers donnent une vue d’ensemble de ce que le sinistré déclare. Parfois il faut s’en contenter. Mais il y a souvent des pièces bien plus riches à découvrir :
Ces documents fournissent de nombreux renseignements sur les matériaux de construction, le coût, la description et l’organisation des locaux, les caractéristiques de l’entreprise ou du commerce, sa date de création, son importance, son chiffre d’affaires, le nombre d’ouvriers employés, les fournisseurs, la clientèle, etc.
Il y a parfois de petits commentaires de l’expert très intéressants, et une plongée dans un vocabulaire souvent oublié.
Très rares sont les bâtiments de toute nature dont l’intérieur est connu : "sortie d’usine", "vue des tissages", ou "ferme de M. X" ; l’iconographie ne nous livre bien souvent qu’une vue extérieure sur la rue.
Les plans permettent de remédier à ce manque. Ils sont en général cotés, annotés, et il arrive que les propriétaires voisins soient brièvement indiqués. Une lecture attentive permet d’y trouver une moisson d’informations.
Les dossiers contiennent parfois, en plus des pièces financières, des factures, des indications sur le remploi après-guerre, sur l’abandon de la maison ou le changement d’activité industrielle.
Avertissement : Un obstacle à la recherche, l’absence de localisation précise
Ces dossiers ont un défaut majeur : la plupart des propriétés ne sont pas localisées précisément. Établi sur un document standard dactylographié, le dossier d’expertise est pourtant censé fournir tous les renseignements cadastraux, mais dans l’immense majorité des cas ils n’ont pas été renseignés. On imagine aisément les litiges potentiels après la guerre, dans des localités détruites à 90 % ou plus. Il faut faire des recherches dans la matrice cadastrale, ou de longs recoupements, pour les situer précisément.
Au fil des dossiers, on découvre certains éléments non détaillés dans d’autres fonds, qui permettent de compléter une étude sur un établissement.
C'est sans doute dans ces dossiers que sont détaillés le plus finement les activités et la composition des entreprises . On trouve d’innombrables détails précis sur les activités industrielles ou artisanales (listes de machines, d’outillage, de matières premières, de clients ou de fournisseurs) et sur les locaux (installations, aspect extérieur, matériaux). Car il s’agit là, non plus de payer des redevances, mais de se faire rembourser le maximum de ses biens détruits, ou de démontrer l’importance de son entreprise avant-guerre pour accélérer les avances d’argent.
Prenons l’exemple de l’entreprise Pradoura à Hermies qui figurait aux patentes de 1914 pour onze métiers à bras. Le dossier de dommages de guerre fait apparaître, outre le personnel d’encadrement, 9 ouvriers et ouvrières et 10 ourleuses dans les locaux industriels, ainsi que 50 ourleuses à domicile et 120 tisseurs travaillant par intermittence chez eux pour la société Pradoura. On a donc ici, grâce au dossier de dommages de guerre, un aperçu complet de cette industrie.
Ainsi pour les tissages du Transloy, ou la coopérative de boulangerie l’Union pour la Vie, qui, fondée en 1912, n’a été enregistrée qu’en 1913. Ces dossiers permettent donc de retrouver la trace d'établissements qui n'ont produit que peu d'archives entre 1911 et 1914.
Elle n’apparaît, en effet, ni sur les patentes ni sur les recensements. Un boulanger pouvait soudain se souvenir de ses multiples activités artisanales annexes d’avant-guerre, qui n’étaient jamais apparues aux patentes : il pouvait déclarer alors une boulangerie-épicerie-quincaillerie-charcuterie-mercerie
, et une partie de cette palette d’activités était sans doute réelle, même si elle avait échappé longtemps à l’administration fiscale.
Les "journaliers" de l’agriculture et de l’industrie sont très fréquents dans les recensements de population. Nombre d’activités ne durent que quelques mois dans l’année. Si on connaît ce phénomène pour les sucreries, on l’imagine moins pour d’autres : pourtant, même les compagnies minières fonctionnaient avec un volant de "précaires" travaillant en pointillé.
Les dossiers de dommages de guerre font apparaître nettement cette instabilité ouvrière. Jusque dans certaines entreprises métallurgiques, comme dans les fonderies Fourcy de Corbehem, on peut retrouver ce travail irrégulier, au gré des commandes : Les usines travaillaient pour les industries betteravières, par conséquent saisonnières… et le personnel ouvrier oscillait de 200 à 425 de la morte-saison à la période de production
.
Ces regroupements permettaient aux entreprises de dominer toutes les composantes d’une activité.
Par exemple, la société civile Distillerie coopérative de Vaulx-Vraucourt n’est ainsi pas une petite coopérative organisée par les habitants de la commune : les statuts, joints au dossier, montrent un regroupement comprenant Henri Bachelet, conseiller général du Pas-de-Calais, Alfred Bachelet à Écoust, Albert Dropsy de la sucrerie du Transloy, et l’entreprise Candelier, constructeur en machines et pièces agricoles à Bucquoy.
Des événements liés à la guerre émaillent tous les dossiers : dates d’occupation, dégâts et vols, enlèvement des machines et des marchandises, commerces ayant fermé ou subsisté pendant l’occupation, mobilisation des propriétaires et de leurs employés, utilisation des terres par les troupes allemandes, etc. Du côté allié, de nombreux dégâts commis par les troupes, vols, saccages, apparaissent également.
Grâce aux différentes pièces des dossiers, nous pouvons savoir ce que les cultivateurs possédaient comme matériel agricole, ce qu’un cordonnier ou une modiste avaient comme outillage et matières premières dans leurs petites boutiques rudimentaires, ce qu’on vendait comme boissons alcoolisées dans les cafés à la campagne (grâce aux listes des stocks volés), quels animaux étaient abrités dans les petites dépendances, quelles cultures pratiquait chacun sur son lopin, etc. La liste est longue et éclectique.
Ce n’est, également, que dans ces dossiers que l’on découvre l’incroyable nombre de fours domestiques dans les habitations, chez les petits artisans, et même dans bien des écoles, avant 1914.
Les dossiers de demandes d’indemnités pour dommages de guerre constituent donc une véritable richesse pour l’histoire locale.
Carte postale de l’éditeur Brisse intitulée Dury, rue de Là-Haut
Les dossiers de dommages de guerre peuvent permettre d’identifier des entreprises ou de grosses exploitations agricoles vues sur des cartes postales mais ne comportant pas de nom, et de trouver des renseignements sur leur histoire.
Une carte postale de l’éditeur Brisse intitulée Dury, rue de Là-Haut représente ainsi une entrée d’entreprise, sans enseigne.
Au recensement de 1911, il n’y a dans cette rue, hormis une minoterie, que des cultivateurs, petits artisans et ouvriers. D’autre part, dans tout le village, il n’y a pas trace d’industrie. On peut donc sans grand risque supposer que la carte postale représente la minoterie-boulangerie Bossu, pour laquelle existe un dossier de dommages de guerre (10 R 19/175, dossier 3348).
Dans ce dossier, on trouve une photographie confortant cette hypothèse, puisque la façade du bâtiment de briques est identique à celle figurant sur la carte postale.
Ici, même si nous n’avons pas de plan pour nous indiquer l’aspect des locaux avant la guerre, les modifications de la reconstruction sont visibles : sur la carte postale, un bâtiment bas a disparu, des redans ornent la façade, des piliers encadrent le portail : l’ensemble fait même penser à une amélioration de cette minoterie maintenant bien identifiée.
La laiterie coopérative à Bucquoy
Plusieurs cartes postales du début du XXe siècle montrent, sous des angles différents, l’entrée et quelques bâtiments d’une "laiterie coopérative rue de Dierville" ou "fromagerie" à Bucquoy dans le canton de Croisilles.
Cependant cette coopérative ne figure pas aux deux recensements disponibles de 1901 et 1911. Dans la série 10 R/19, on retrouve deux dossiers à Bucquoy : l’un pour la "laiterie Degardin rue du Moulin", l’autre pour "Fernand Plée, fromagerie de Bucquoy" (Fernand Plée, fromagerie de Bucquoy, archives départementales du Pas-de-Calais, 10 R 19/161).
Le second contient un acte de Me Bonne à Beaumetz-les-Loges, intitulé : jugement d’adjudication - Laiterie de Dierville - à Monsieur Plée, 16 mars 1910. L’acte est établi à la requête de M. Charruay, président du conseil d’administration de la S.A. La Laiterie coopérative de Dierville
.
Cette vente à l’extinction des feux au dernier enchérissement
concerne une ferme dite ferme de Dierville, sans localisation cadastrale comme souvent. Elle comporte de très nombreux locaux dont salle de laiterie, salle des machines, forge, menuiserie, salle de préparation du lait, bureaux, etc. Une liste du matériel utilisé est jointe au dossier.
Il s’agit de vendre le plus rapidement possible pour verser des "dividendes aux créanciers" et ne pas laisser perdre la clientèle. Un historique de cette propriété est retracé, le dernier propriétaire étant M. Louis Sauvage, qui a apporté ce bien à la Laiterie coopérative contre attribution à lui-même de 100 actions de 50 francs.
La fondation de cette coopérative est datée de 1903, ce qui explique que l’on ne trouve pas sa trace au recensement de 1901, et la date d’adjudication explique qu’il n’y en ait plus trace en 1911.
Le dossier nous ayant donné la date exacte de la fondation, il est possible d’en rechercher les statuts parmi les actes de société du tribunal de commerce d’Arras (en 6 U 1). On les retrouve en effet, mais classés en 1906, et non en 1903. L’étude de ces statuts permet de savoir à quel type de coopérative se rattache la laiterie, et quels adhérents elle regroupe.
Le four de M. Poutrain à Croisilles
Alexandre Poutrain, maire de Croisilles pendant l’occupation de 1914 à 1917, a laissé un témoignage très détaillé des événements dans sa commune (Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 J 2244).
Grâce à son récit, on apprend que pour faire face à la pénurie de farine, il fit venir chez lui le dernier boulanger en activité, pour lui faire faire du pain dans le four de sa ferme sur sa propre réserve de blé.
Dans les dossiers de dommages de guerre (10 R 10/299), on retrouve une description de cette ferme et de ce four. Dans ce cas précis, il faut d’abord déterminer quelle est la maison concernée parmi les trois traitées au dossier. Un recoupement avec les recensements permet de savoir qu’il s’agit de la propriété de la rue Fontaine, dont la façade sur la rue est un austère bloc de granges. Sur les plans au sol de la propriété sont notés deux "fours" et un "fournil".
Dans le devis descriptif et estimatif, il est précisé que le four, situé à l’emplacement n° 6, à l’angle de "l’ancienne habitation" accolée à la grande maison, comprend une "boulangerie, four de ménage".
D’innombrables autres investigations peuvent être faites, sur l’habitat et les techniques anciennes de construction, sur le vocabulaire de la menuiserie ou de la meunerie, sur les réseaux entre industriels et les débouchés des productions, sur les différents niveaux de vie des habitants des villages, sur l’état des écoles à la veille de la guerre, etc. Et cette liste est loin d’être exhaustive.
I. PACHEKA, "Les dossiers de dommages de guerre", dans Archives de la Grande Guerre. Des sources pour l'histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, 570 p. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 7571.
Nous remercions Marianne Sala pour son aide précieuse lors des recherches et de la rédaction de cette fiche.