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Inhumation des militaires musulmans

Dès les premiers mois de la guerre, les troupes coloniales viennent gonfler les rangs français. Durant toute la durée du conflit, on estime, à titre d’exemple, que l’Afrique du Nord a fourni 174 000 Algériens, 63 000 Tunisiens et 40 000 Marocains.

Réputés pour leur bravoure, ces contingents sont souvent envoyés en première ligne et nombre d’entre eux y laissent leur vie. Près de 48 000 Maghrébins, dont 37 900 Algériens, ont ainsi été déclarés morts ou disparus.

Se pose dès lors la question de leurs funérailles et de leur sépulture ; bien que français, leur culte diffère. Le ministre de la Guerre Alexandre Millerand envoie donc aux commandants des diverses régions des directives pour enterrer ces soldats selon leurs traditions.

Lettre du ministre de la Guerre au général commandant la région du Nord à Boulogne-sur-Mer

Règles à suivre pour l’inhumation des militaires musulmans

Le souci d’être inhumés suivant les rites consacrés par la religion et les usages musulmans paraissant préoccuper au plus haut point les militaires indigènes qui viennent à décéder en France, ainsi que leurs familles, je crois utile de compléter les instructions que je vous ai données par dépêche n° 4695-9/11 du 16 octobre dernier, en vous indiquant toutes les formalités qui accompagnent le décès d’un musulman et en précisant celles qui me paraissent pouvoir être mises en pratique.

Lorsqu’un musulman est sur le point de mourir, il ne manque pas, lorsqu’il le peut, de prononcer la "Dhehada" en dressant l’index de la main droite. Si son état ne lui permet pas de le faire lui-même, tout coreligionnaire présent est dans l’obligation de prononcer pour lui cette profession de foi musulmane.

Il y aura donc lieu, chaque fois qu’un militaire indigène sera dans un état désespéré, de prévenir le ou les coreligionnaires qui pourront se trouver dans le même établissement que lui.

La mort ayant fait son œuvre, le corps est entièrement lavé à l’eau chaude. Cette pratique ne me paraît pas applicable ailleurs qu’en pays musulman, car les indigènes répugnent à cette besogne, la confiant dans chaque agglomération à un professionnel. Il n’apparaît donc pas que les coreligionnaires du défunt présents dans les hôpitaux, s’en chargeraient volontiers ; mais s’ils témoignaient le désir, toutes facilités devraient leur être données à ce sujet.

Le corps enveloppé dans un linceul, qui consiste en une cotonnade blanche quleconque assez large pour entourer complètement le défunt, est ensuite transporté au lieu d’inhumation sur une civière recouverte d’une étoffe qui pourrait être tricolore. La civière doit être portée à bras par des coreligionnaires ; la mise dans un cercueil est absolument interdite.

La cérémonie qui accompagne les funérailles ne peut être dirigée que par un musulman, en ce qui concerne le rite religieux, car lui seul a qualité pour dire les prières. Il conviendra donc d’en charger le ou les camarades du défunt tout en rendant, bien entendu, les honneurs militaires en usage.

En cas d’absence de tout musulman, les honneurs militaires seuls seront accordés et on devra s’abstenir de toute cérémonie ayant un caractère religieux, comme je l’ai déjà prescrit dans la dépêche n° 4695-9/11 précitée.

La tombe doit être creusée avec une orientation sud-ouest-nord-est, de façon que, le corps étant placé du côté droit, le visage soit tourné dans la direction de La Mecque.

Cette pratique est réalisable et il y aura lieu de s’y conformer.

Enfin, il serait désirable que, par analogie avec ce qui se fait pour les chrétiens, dont la tombe est habituellement surmontée d’une croix, les tombes des militaires musulmans fussent marquées au moyen de deux stèles de pierre ou en bois, dont le modèle est ci-joint, et qui seront placées : l’une au-dessus de l’endroit où repose la tête, portant l’inscription en arabe (conforme au modèle) qu’il sera facile de faire recopier et le nom du défunt en français, l’autre sans inscription, à l’emplacement des pieds.

Ce souvenir que nous devons à nos soldats musulmans morts pour la France est facilement réalisable.

[…]

Signé : Millerand

Archives départementales du Pas-de-Calais, 11 R 1143.