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Les responsables de la guerre

Discours prononcé à Lyon-Vaise le 25 juillet 1914

Publié le 25 juillet 2014
Carte postale noir et blanc montrant Jean Jaurès parlant devant une foule.

Jaurès, au meeting du Pré St-Gervais.

Une semaine avant son assassinat à Paris, Jean Jaurès prononce son dernier discours public en France, à Lyon, dans un café situé en plein cœur du quartier ouvrier de Vaise. Devant près de 2 000 personnes, le député du Tarn ne cache pas son inquiétude face à la menace de la guerre qui plane sur l’Europe. Il l’imagine, la redoute, la déplore. Il avertit de manière éloquente son auditoire du danger et des responsabilités de chacun dans cette crise internationale.

Ce discours intervient à l’occasion des élections partielles organisées à la suite du décès, le 27 mai, du député socialiste Joannès Marietton, élu de la 6e circonscription de Lyon dont Vaise fait partie. Au nom de la SFIO, Jean Jaurès apporte son soutien à la candidature de son ami, Marius Moutet, avocat et conseiller municipal de Lyon, mais aussi l’un des fondateurs de la Ligue des droits de l’Homme.

Ah ! Citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs sombres du tableau […] dont nous avons eu la nouvelle il y a une demi-heure entre l’Autriche et la Serbie . Cette terrible nouvelle à laquelle Jaurès fait allusion, n’est autre que l’état de mobilisation fraîchement décrété par la Serbie. En effet, deux jours auparavant, l’Autriche-Hongrie avait lancé un ultimatum à la Serbie et la réponse de cette dernière, jugée insuffisante, avait entraîné la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays ce 25 juillet, à 18 heures.

Jaurès explique de manière presque pédagogique à son auditoire, l’engrenage infernal que les alliances risquent inévitablement de provoquer. Il ajoute que la France, après les événements du Maroc, n’est pas en mesure de donner des leçons à l’Autriche à propos de la Bosnie-Herzégovine : nous n’avions pas le droit ni le moyen de lui opposer la moindre remontrance, parce que nous étions engagés au Maroc et que nous avions besoin de nous faire pardonner notre propre péché en pardonnant les péchés des autres .

Pour Jaurès, le dernier espoir de préserver la paix repose ainsi sur l’appel au prolétariat : c'est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandons à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible cauchemar . En cas d’échec, il prédit un véritable désastre pour l’Europe , non pas des milliers d’hommes engagés sur les champs de bataille, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d’hommes .

J'aurais honte de moi-même, citoyens, s'il y avait parmi vous un seul qui puisse croire que je cherche à tourner au profit d'une victoire électorale, si précieuse qu'elle puisse être, le drame des événements. Mais j'ai le droit de vous dire que c'est notre devoir à nous, à vous tous, de ne pas négliger une seule occasion de montrer que vous êtes avec ce parti socialiste international qui représente à cette heure, sous l'orage, la seule promesse d'une possibilité de paix ou d'un rétablissement de la paix .

Au final, le député ne réserve que quelques mots en faveur de son ami en toute fin de discours. Cinq jours plus tard, il est assassiné. Le dimanche 9 août 1914, Marius Moutet est élu député avec 56 % des suffrages exprimés. Mais moins d’un électeur inscrit sur deux (48 %) s’est exprimé : à la suite de la déclaration de guerre, le 3 août 1914, nombreux sont les hommes qui ont déjà rejoint leur régiment.

Bibliographie

  • Jean JAURÈS, Discours et conférences, Paris, Flammarion, 2014
  • Vincent DUCLERT, Jaurès (1814-1914). La politique et la légende, Paris, Autrement, 2013
  • Jean-Luc PINOL, Le dernier discours de Jean Jaurès en France, L’atelier numérique de l’Histoire, École normale supérieure
  • Jean JAURÈS, Rallumer tous les soleils. Textes choisis et présentés par Jean-Pierre Rioux, Paris, Omnibus, 2006, p. 917-921.