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Des déserts médicaux en 1853

Contrairement aux idées reçues, l’existence de déserts médicaux est loin d’être une problématique contemporaine : le document présenté ci-contre atteste que le sujet inquiète déjà les autorités en 1853.

Grande enquête de statistique médicale

"Ministère de l’Intérieur. Circulaire n° 13. Paris, le 17 mars 1853. Monsieur le préfet, depuis longtemps le Gouvernement se préoccupe des inconvénients qui résultent de l’inégalité relative des ressources médicales sur les divers points de la France, et de ce qu’elles peuvent avoir d’insuffisant dans certaines localités. La haute sollicitude de l’Empereur pour la santé publique, et particulièrement pour celle des classes laborieuses, impose à l’Administration l’obligation de chercher à connaître exactement la situation, afin de pouvoir plus sûrement l’améliorer. C’est dans ce but, et d’après l’avis du comité consultatif d’hygiène publique, qu’ont été dressés les modèles de tableaux ci-joints, que je vous prie de vouloir bien faire remplir avec le plus grand soin, et me renvoyer le plus promptement possible. Trois tableaux distincts devront être fournis pour chaque département, savoir : un tableau (A) par canton ; une récapitulation (B) par arrondissement, et un résumé numérique (C) pour l’ensemble du département. En tête du tableau A, qui se répétera pour chaque canton, on devra écrire le nom du canton, le chiffre total de sa population d’après le dernier recensement, l’indication de son étendue en kilomètres carrés ; le nombre de communes dont il se compose. Viennent ensuite six colonnes destinées à recevoir les données statistiques pour chaque canton. Une ligne de ce tableau est affectée à chaque docteur en médecine, officier de santé, pharmacien et sage-femme, et, en regard de leurs noms, doivent être indiqués, dans autant de colonnes séparées [...]"

Courrier en date du 17 mars 1853, adressé au préfet du Pas-de-Calais. Archives départementales du Pas-de-Calais, M 1531.

En conséquence d’une circulaire du 17 mars 1853, une grande enquête est entreprise à l’échelle nationale, visant à disposer d’un état de la médecine en France.

Il est demandé à chaque sous-préfet d’arrondissement de recenser le personnel médical couvrant son territoire ; une série de questions est soumise aux conseils locaux de salubrité d’hygiène publique créés en 1848 (pour en savoir plus, voir Un concours de bébés en 1911), qu’il s’agisse de la répartition des professionnels de santé dans leur circonscription, de l’état sanitaire de l’arrondissement ou de ses conséquences sur les besoins de la population.

Par la suite, l’opération est renouvelée et le ministère de l’Intérieur décide en 1856 d’en faire un plan quinquennal coïncidant avec les recensements de population, afin de mesurer l’efficacité des mesures engagées.

Inégalités des ressources médicales

Tableau à 7 colonnes dans cet ordre : départements, population, nombre de docteurs, villes principales où les docteurs exercent, population totale de ces villes, nombre des officiers de santé, population de bourgs ou villages où les officiers de santé exercent. Oise ; 420000 ; 82 ; Beauvais, Clermont, Senlis, Compiègne, Noyon, Crespy, Boufflers, La Ferté-Milon ; 92000 ; 151 ; 328000. Somme ; 560000 ; 92 ; Amiens, Abbeville, Corbie, Péronne, Mont-Didier, Doullens, Crécy, Saint Valéry ; 98000 ; 197 ; 462000. Pas-de-Calais ; 673000 ; 108 ; Arras, Saint-Omer, Calais, Boulogne, Guines, Saint-Pol, Béthune, Montreuil, Lens, Bapaume, Carvin, Aire, Lillers, Saint-Venant, Hesdin ; 140000 ; 219 ; 533000. Nord ; 1026000 ; 152 ; Lille, Douai, Valenciennes, Cambrai, Dunkerque, Cassel, Hazebrouck, Bailleul, Avesnes, Marchiennes, Bouchain, Roubaix, Tourcoing ; 260000 ; 332 ; 766000. Aisne ; 430000 ; 89 ; Laon, La Fère, Château-Thierry, Saint-Quentin, Soissons, Vervins, Guise ; 85000 ; 98 ; 345000. Ardennes ; 312000 ; 46 ; Mézières, Charleville, Givet, Rhetel, Rocroy, Philippeville, Sedan, Vouziers, Bouillon ; 68000 ; 86 ; 244000. Totaux ; 3421000 ; 569 ; [non rempli] ; 743000 ; 1083 ; 2678000.

Tableau de statistique médicale en 1839 ajouté à la suite des "Réflexions sur le projet de loi concernant l'instruction et l'exercice de la médecine en France, adressées à M. le ministre de l'Instruction publique, approuvées par le conseil des professeurs le 14 décembre 1839", par le docteur LEBIEZ, Arras, 1840. Archives départementales du Pas-de-Calais. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHD 444/13.

Le constat est sans appel : la France souffre d’une pénurie de médecins, phénomène davantage prononcé dans les campagnes. Des statistiques de 1866-1875, il ressort que 29 697 communes sont sans médecin résidant. Le fossé se creuse en 1876-1881 avec 29 795 communes. La préoccupation est d’autant plus forte dans le Pas-de-Calais, qui est, en 1884, le premier département de France en nombre de communes (904) et le troisième en termes de population. Qui plus est, une population essentiellement agricole, disséminée sur un vaste territoire.
Quelques chiffres illustrent ces propos :

Année

Nombre de médecins

Population du département

1825

357

600 000 habitants

1839

327

673 000 habitants

1884

270

850 000 habitants

Comment expliquer ce fait ?

Un décret du 22 août 1854 nous apporte quelques éléments de réponse, puisqu’il établit des conditions d’admission plus sélectives au statut d’officier de santé.

Vers la suppression des officiers de santé

Document manuscrit sur lequel on lit « Département du Pas-de-Calais. Statistique médicale de l’arrondissement de Boulogne. Canton de Calais. Population du canton depuis le dernier recensement, 30254. Superficie du canton en kilomètres carrés, 154. Nombre des communes, 13 ». En-dessous se tient un tableau à 5 colonnes, avec noms des docteurs en médecine et lieu et date de réception : Bodart (Paris, 22 août 1844), Bonard (Paris, 12 janvier 1825), Boulenger (Paris, 11 avril 1831), Chély (Paris, 20 varil 1831), Darnel (Paris, 19 mai 1837), Dancan (Edimbourg, 1er août 1836), Foucques (Paris, 10 mai 1835), Gravis (Strasbourg, 16 septembre 1831), Mauricheau-Beaupré (Montpellier, 16 août 1817), Seriven (Londres, 31 mars 1829), Toron (Paris, 22 août 1834). Ils résident tous à Calais où la population est de 10993 habitants. Rayon d’exercice de la clientèle (on entend par là le rayon dans lequel chaque médecin ou sage-femme exerce habituellement sa profession, et le rayon d’achalandage pour chaque pharmacie) : Calais et Saint-Pierre. Lorsqu’ils sortent de ces localités, ce n’est qu’en général que pour des consultations avec les médecins qui résident dans les localités où ils se trouvent. Ducastel (Strasbourg, 19 décembre 1837), Gély (Paris, 31 mars 1838) résident à Saint-Pierre-les-Calais et Marck qui comptent des populations de 11524 et 2108 habitants. Rayon d’exercice : Saint-pierre et Coulogne, Marck, lisière de saint-pierre, Coulogne, les Attaques, Guemps et Offekerque. Noms et lieu et date de réception des officiers de santé : Lecouffe (Arras, 14 septembre 1838), Guilbert (Arras, 25 septembre 1850), Guilbert (Arras, 14 octobre 1823). Résident à Saint-Pierre-les-Calais, Marck et Coquelles (438 habitants). Rayon d’exercice : Saint-Pierre, Coulogne ; Marck, lisière de Saint-Pierre, Coulogne, les Attaques, Guemps et Offekerque ; Coquelles, Saint Tricat, Nielles, Fréthun, Sangatte, Peuplingues, Bonningues, Escalles. Noms et date et lieu de réception des pharmaciens : Baudron (Montpellier, 21 février 1843), Debette (Paris, 14 juillet 1840), Decroix (Paris, 23 novembre 1833), Grandin (Arras, 23 octobre 1819), Soubitez (Paris, 6 août 1839), Stival (Paris, 28 février 1845), Bevenot (Paris, 8 mai 1841). Résident à Calais. Hanne (Paris, 13 décembre 1844) et Yardin (Arras, 7 novembre 1832). Résident à Saint-Pierre-les-Calais. Exercent dans tout le canton. Noms et lieue t date de réception des sages-femmes : Degrave (Arras, 18 septembre 1851), Dubois née Rault (Arras, 12 octobre 1839), Cardon née Moreau (Arras, 12 octobre 1839), Gangloffe née Ardail (Tours, 19 octobre 1848), Pollet née Spinage (Paris, 7 juin 1821), Pollet (Arras, 24 septembre 1847). Résident à Calais. Exercent à Calais, Saint-Pierre-les-Calais, Marck, Sangatte, Coulogne et Coquelles. Queva née Devin (Arras, 17 septembre 1836), Foube née Rault (Arras, 10 septembre 1833), Lefebvre née Butez (Arras, 19 octobre 1819), Mignien née Wille (Paris, 21 juin 1849, Arras, 22 septembre 1850). Résident à saint-Pierre-les-Calais, exercent à Saint-Pierre, Coulogne et Marck.

Tableau de statistique médicale de l’arrondissement de Boulogne-sur-Mer, 1853. Archives départementales du Pas-de-Calais, M 1531.

Ce second ordre de praticiens en médecine est créé le 19 ventôse an XI (10 mars 1803) pour pourvoir aux exigences médicales des armées et de la population civile et endiguer le charlatanisme dans les campagnes. Car (observation toujours d’actualité) une grande majorité de docteurs préfère s’établir en ville plutôt qu’à la campagne. Justifiant de six années d’étude auprès d’un docteur, de cinq ans dans un hôpital ou de trois ans dans une école de médecine, les officiers de santé sont souvent les seuls à assurer les secours de la médecine en milieu rural et sont reçus avec bienveillance lors des conflits armés.

Pourtant, le bien-fondé de leur existence reste un grand sujet de polémique durant le XIXe siècle. On retrouve trace de plusieurs tentatives de révision, voire d’abrogation de la loi. Leurs adversaires assurent vouloir combattre l’exercice illégal de la médecine et offrir la même qualité de service dans les campagnes et les villes. La loi du 30 novembre 1892 leur donne finalement raison, puisqu’elle décide que nul ne peut exercer la médecine en France s’il n’est muni d’un diplôme de docteur en médecine .

À partir de cette date, les statistiques médicales deviennent alarmantes sur le nombre de médecins dans les campagnes.

Autre facette du problème : l’assistance dans les campagnes

Tableau intitulé « Tableau C. Résumé par département » à 6 colonnes dans cet ordre : arrondissements, nombre de cantons, nombre de docteurs, nombre d’officiers de santé, nombre de pharmaciens, nombre de sages-femmes. Arras, 10, 25, 81, 27, 50. Béthune, 8, 10, 50, 13, 16. Boulogne, 6, 34, 35, 35, 41. Montreuil, 6, 11, 31, 10, 17. Saint-Omer, 7, 17, 40, 18, 19. Saint-Pol, 6, 5, 38, 10, 16. Totaux , 43, 102, 275, 113, 159.

Tableau de statistique médicale des arrondissements du Pas-de-Calais en 1853. Archives départementales du Pas-de-Calais, M 1531.

Dès 1853, quelques départements instituent des médecins cantonaux pour soulager les indigents des campagnes, qui souvent résident loin des hôpitaux et des offices de bienfaisance urbains. Ces médecins sont en charge des opérations de vaccination infantile, prodiguent des conseils d’hygiène, vérifient le bon état des dépôts de médicaments. Pourtant, cette idée est vite jugée non pertinente, car les cantons ne sont pas tous égaux en superficie ni en densité de population. De plus, l’État n’alloue au projet qu’une faible indemnisation et il reste surtout à la charge et au bon vouloir des départements.

Ces questions redeviennent une cause majeure pour les gouvernements de la IIIe République qui tentent de lutter contre l’exode rural. Un projet de loi est adopté en 1893 par la chambre des députés, faisant de l’assistance une obligation pour les communes, les départements et l’État.

Un siècle plus tard, le casse-tête demeure entier : l’ARS (Agence régionale de santé) a récemment dépisté "10 zones fragiles" en offre de soins de premier secours dans le Nord-Pas-de-Calais où la densité de praticiens est inférieure de 30 % à la moyenne nationale.

Pour aller plus loin

  • Statistique médicale : tableaux du nombre de médecins, pharmaciens, sages-femmes, ordonné par la circulaire du ministre de l'Intérieur du 17 mars 1853. Archives départementales du Pas-de-Calais, M 1531.
  • Docteur LEVIEZ, Réflexions sur le projet de loi concernant l'instruction et l'exercice de la médecine en France, adressées à M. le ministre de l'Instruction publique, approuvées par le conseil des professeurs le 14 décembre 1839, Arras, 1840. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHD 681/2.
  • L. GERME, Lettre sur la nécessité d'une école de médecine et de pharmacie à Arras, Arras, 1881. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 607/10.
  • O. FAURE, "La médecine gratuite au XIXe siècle : de la charité à l’assistance", Histoire, économie et sociétés, 1984, 3-4, p. 593-608.