Archives - Pas-de-Calais le Département
Les informations contenues dans cette page ne sont valables avec certitude que jusqu'à cette date et heure.

Dies irae ou le châtiment divin

Le séisme du 6 avril 1580

Le territoire français n’est pas particulièrement réputé pour sa sismicité. Les tremblements de terre y sont plutôt rares et de faible intensité. Pourtant, notre sol subit de temps à autre quelques ébranlements, comme ce 6 avril 1580les secousses furent telles que certains esprits en furent remplis de crainte et de stupeur pendant plusieurs jours [ note 1].

Mercredi 6 avril 1580, 18 heures : un choc d’une rare violence

L’an du Seigneur 1580, le mercredi après la fête de Pâques, c’est-à-dire le 6 avril, vers six heures du soir, la mer étant agitée et la marée montante, la terre commença à trembler sous la force d’un souffle si rapide que le tremblement de terre se fit sentir en même temps à Boulogne et en plusieurs endroits distants l’un de l’autre de 30 ou 40 lieues pendant l’espace d’un demi-quart d’heure environ [ note 2].

Carte géographique montrant démarquant les zones touchées par le séisme, d'Angleterre à l'Allemagne.

Carte des effets du séisme du détroit de Calais du 6 avril 1580 d’après les données SisFrance.

Se basant sur le récit des chroniqueurs de l’époque, des sismologues évaluent l’intensité de ce séisme à VII-VIII sur l’échelle de Medvedev-Sponheuer-Karnik (aussi appelée échelle MSK) [ note 3], c’est-à-dire causant de larges lézardes dans les murs des habitations et des écroulements (chute de cheminées, effondrement des maisons les plus vulnérables, etc.). D’autres répliques se produisent en fin de soirée vers dix ou onze heures, mais peu de gens l’entendirent [ note 4].

L’intensité la plus élevée étant constatée entre Calais et Douvres (l’épicentre du phénomène est localisé dans le détroit de Calais, au point de rencontre entre la Manche et la Mer du Nord), les dommages concernent une vaste zone s’étendant de la Flandre française aux Flandres belges, ainsi que sur les côtes du Kent.
L’onde de choc a tout de même été ressentie jusqu’en Normandie, Champagne, Bassin parisien, Belgique et même Allemagne !

Récits des témoins de la catastrophe

Si nous disposons aujourd’hui de ces éléments d’une extrême précision, c’est grâce aux nombreux récits laissés par les témoins de ce jour funeste.

En décrivant en 1862 le "célèbre tremblement de terre du 6 avril 1680", Louis Torfs assure que tous les mémoires de l’époque en parlent [ note 5].
Parmi la multitude de sources historiques qui en font foi, on trouve une grande majorité de chroniques rédigées par des particuliers, mais aussi quelques documents administratifs, comme un récit exposé par le greffier de l’échevinage d’Arras et conservé dans les archives communales d’Arras (BB 15, ff. 103 v°-104).

Texte manuscrit retranscrit dans un lien ci-dessous.

Procès-verbal du chapitre de Boulogne-sur-Mer, 1580. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 G 71.

Il est intéressant de comparer ces témoignages qui présentent tous leur ton propre, révélateur de la mentalité, du tempérament ou des intentions de leur auteur.

Le document que nous vous proposons aujourd’hui est issu du registre aux actes du chapitre de Boulogne-sur-Mer (1564-1715), conservé sous la cote 1 G 71. Ce long procès-verbal rédigé en latin décrit minutieusement les faits et rend compte de l’effroi et de la panique provoqués par le phénomène, en grande partie dus à la rareté des séismes dans nos contrées. En fin de récit, son auteur nous livre les raisons de sa rédaction :

Et pour perpétuer le souvenir de l’événement, ils [les chanoines] me donnèrent l’ordre, à moi Firmin Caffier, leur scribe et secrétaire, de rédiger ce procès-verbal et de le transcrire au registre du chapitre pour que leurs successeurs, les chanoines des temps à venir, puissent se rappeler ce jour .

Des dégâts importants

Le séisme a provoqué d’importants dégâts et, vraisemblablement, quelques victimes (les témoignages ne coïncident pas tous sur cette question).

À Douvres, une partie des falaises s’écroule dans la mer, emportant avec elles des murs du château.

À Calais, les secousses telluriques déclenchent un débordement de mer dans la ville, faisant sombrer 25 à 30 navires français, anglais et flamands qui mouillaient dans le port. Des maisons et une partie des murailles de la ville s’écroulent et, fait le plus marquant, la tour du guet est scindée en deux et une partie s’effondre sur la toiture de la maison du conseil de la ville.

Dessin monochrome montrant une tour au bord d'un bord où accostent des barques.

Tour de Calais, gravure sur cuivre [1750-1789]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 439/86.

Le procès-verbal du chapitre de Boulogne nous donne des détails sur cette anecdote :

Mais l’événement à coup sûr miraculeux où apparaît l’admirable puissance de Dieu qui frappe ou épargne à son gré se produisit, comme l’ont relaté des hommes dignes de foi, à Calais : pendant que le guetteur de la ville dînait avec sa femme, la tour où ils étaient à table se coupa en deux parties ; l’une s’écroula avec l’escalier, l’autre resta miraculeusement en place avec les convives, assis et stupéfaits ; mais grâce aux échelles et aux cordes qu’aussitôt on leur procura, ils sortirent indemnes d’une situation si périlleuse.

Un châtiment divin

[…] Aussitôt [tous coururent] se réfugier à l’église comme à une ancre sacrée pour implorer en tremblant la très clémente majesté divine à qui ils s’adressèrent en ces termes ou en termes semblables :

"O Dieu très grand, très bon et très puissant, s’il est possible à l’humanité, par des prières humbles et pieuses, de mériter le secours des faveurs divines et d’être exaucée par toi, nous t’invoquons maintenant, repentants et affligés de toutes nos faiblesses et offenses passées. Que ton infinie divinité nous libère de ces périls pour qu’ainsi nos vies se poursuivent jusqu’à une fin différente et meilleure".

En 1580, on ne peut imaginer d’autre raison à cette catastrophe naturelle qui suscite une grande vague de ferveur religieuse. De nombreuses processions sont organisées les jours suivants (Amiens, Beauvais, etc.). Même les villes a priori peu concernées par le séisme implorent la clémence divine et multiplient les marques de piété et de soumission afin de se prémunir le cas échéant :

Quoique la ville d’Arras eût très-peu souffert, la singularité de cet accident, dont on ne connoissoit point d’exemple dans le pays, jointe aux nouvelles qu’on reçut d’ailleurs, répandit une frayeur extrême parmi les habitans. Les Mayeur et Échevins prièrent un Provincial des Cordeliers, qui avoit prêché le Carême avec succès dans la Comté de faire à ce sujet quelques nouvelles prédications ; et il en fit plusieurs de deux ou trois heures chacune, dans l’Église de St Géry. [ note 7]

D’autres tremblements de terre ponctueront les siècles suivants, mais il est vrai qu’aucun n’atteindra cette intensité, tant au niveau des destructions que de la peur générée par la force et la violence du tremblement de terre décrit ci-dessus, qui fut si grand et si horrible qu’aucun témoin, si ferme et solide soit-il, ne pourrait retenir ses larmes en le racontant .

Autres séismes recensés dans le Pas-de-Calais

  • 21 mai 1382 : Calais (intensité VIII à IX) ;
  • 23 avril 1449 : Calais (intensité VII) ;
  • 20 janvier 1760 : Calais ;
  • 28 novembre 1776 : Calais, Douvres ;
  • 2 septembre 1896 : Vitry-en-Artois (intensité IV) ;
  • 17 mai 1979 : Arques (intensité IV) ;
  • 22 mai 2015 : épicentre à 7 km au large de Douvres, ressenti dans le Pas-de-Calais et en Flandre vers 3 h 55.

Notes

[ note 1] Procès-verbal du chapitre de Boulogne-sur-Mer, 1580. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 G 71.
[ note 2] Ibidem.
[ note 3] "Échelle d’intensité de séisme du nom de ses créateurs Medvedev-Sponheuer-Karnik datant de 1964. Elle a de nos jours été réactualisée par l’échelle EMS98, dont l’intensité est estimée à partir de la fréquence des effets observés sur des indicateurs courants (personnes, objets, mobiliers et bâtiments). On tient notamment compte de la nature de ces indicateurs et de la vulnérabilité des bâtiments". (http://musee-sismologie.unistra.fr/comprendre-les-seismes/glossaire/#c34787).
[ note 4] Procès-verbal du chapitre de Boulogne-sur-Mer, op. cit.
[ note 5] L. TORFS, Fastes des calamités publiques survenues dans les Pays-Bas et particulièrement en Belgique, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours : hivers, tremblements de terre, Paris, Tournai, Casterman, 1862.
[ note 6] Transcription et traduction issues de l'article de G. BELLART et A. VION, "Documents sur le tremblement de terre du 6 avril 1580", Bulletin de la Commission d’histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, t. XII, 1990, p. 540-550.
[ note 7] Mémoire contenant des faits et anecdotes tirés des registres de l’hôtel de ville d’Arras, 1783. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHA 694/14.

Pour en savoir plus

  • G. BELLART et A. VION, "Documents sur le tremblement de terre du 6 avril 1580", Bulletin de la Commission d’histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, t. XII, 1990, p. 540-550 ;
  • Quelques éphémérides sur l'histoire de Calais et ses environs, Calais, impr. de Jean Goutier, 1887-1889. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHA 614/6 ;
  • Mille ans de séismes en France. Catalogue d’épicentres, paramètres et références, sous la direction de Jérôme LAMBERT et d’Agnès LEVRET-ALBARET, Nantes, Ouest éditions, 1996. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHD 1046 (références bibliographiques de sismicité historique en fin d‘ouvrage).