Archives - Pas-de-Calais le Département
Les informations contenues dans cette page ne sont valables avec certitude que jusqu'à cette date et heure.

L’affaire, vue par Monsieur de Vissery

Lettre manuscrite retranscrite ci-contre.

Lettre de Vissery à Buissart, 7 septembre 1780. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 120.

Monsieur,

Les choses obligeantes que vous dite en ma faveur dans la lettre adressée à Mr. Bugny qui
a eut la bonté de me communiquer m’engage à vous témoigner combien j’y suis sensible, et à
vous dire que puis-ce que l’Académie d’Arras veut bien prendre quelque part à l’affaire
désagréable qu’une voisine, qui m’en a suscité plusieurs ci devant, pour des misères, et qui m’engage encore dans un nouveau procès en ameutant le voisinage pour une chose que j’ai crus devoir être utile
à moi et à mes voisins, chicanne en un mot à laquelle je ne me seroit jamais attendu, je vous prie Monsieur de lui en témoigner ma vive reconnoissance.

Cherchant un moyen de me tirer de cette affaire avec honneur, j’en ay fait part à plusieurs
grands physiciens et à plusieurs académies, ainsi que du jugement rigoureux de l’échevinage de
St-Omer prononcé sans connoissance de cause, ce qui les a tous fort surpris : et j’ai trouvé dans l’aimable
Mr. Maret secrétaire de celle de Dijon un homme disposé à me servir efficacement dans cette
affaire extraordinaire : pour cet effet il m’a mandé de faire tenir un procès-verbal en bonne forme de mon para-tonnerre ; ce qui a été exécuté, en sommant au préalable le petit bailli d’y être présent. Cela fait je l’ay envoié à Dijon avec un dessein exacte de l’état des lieux.

Cette Académie célèbre s’étant assemblée extraordinairement sur le rapport de Mrs. de Morveau
et Maret, elle m’a fait expédier un ample et honorable certificat du 24 aoust 1780 qui prouve
que mon para-tonnerre est fait en toutes les règles de l’art. Mes adversaires ayant fait intervenir
la partie publique en cette affaire pour ne rien risquer de leur part, et me laisser seul en supporter les frais, j’ai demandé à Mr Maret si je ne pourroit pas prendre à partie ceux qui ont signé cette belle requeste, et il m’a répondu à cela que plusieurs juris-consultes très éclairés pensent que
j’y suis fondé ; en conséquence j’ai fait demander par mon procureur au petit bailli cette requeste qu’on n’a pas jugé à propos de me signifier et qu’on n’a pas voulut lâcher.

Mon dessein est de ne point m’étendre beaucoup sur l’utilité des para-tonnerres, la chose est assez reconnue et prouvé par le certificat de Dijon, mais de fronder le jugement trop rigoureux
des juges qui ont jugez sans connoisance de cause, ce qui a révolté les gens bien sensé, et ce
qui aura engagé un de mes amis à faire part de cette affaire aux journalistes, qui sans
nommer le lieu ni les personnes ont cependant réussis à calmer la terreur panique des

Lettre manuscrite retranscrite ci-contre.

Lettre de Vissery à Buissart, 7 septembre 1780. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 120.

des esprits bornés de St-Omer, lesquels ont jugez cependant que c’étoit de mon affaire
que le journal faisoit mention : ce qui a détrompé bien des esprits trop prévenus contre
l’utilité de cette machine, et voici comme raisonne là-dessus ce public aujourd’huy.

Sachant que le paratonnerre dont s’agist a son conducteur appliqué contre le pignon du sieur
Cafieri, et que sa femme a peure du tonnerre, il s’ensuit ajoute t-il que sa voisine la
chicaneuse qui n’en est pas moins affectée, aura augmenté par ses discours cette peure qu’elle
a communiqué à d’autres voisines, en disant qu’elle quitteroit sa maison quand il
tonneroit etc., bref il fut conclud dans un conseil féminin de présenter une requeste
à effet de faire démonter cette prétendue machine effrayante.

Cette requeste dictée par l’ignorance et écrite par la main propre de la chicanne fut donc
présentée par le petit et tendre mary de la dame peureuse à tout le voisinage et jusqu’au
couvent des Dominicains qui en est assez éloigné, et que le supérieur cependant a eut la
foiblesse de signer dont il se repent ainsi que la plus part de ceux qui l’ont signé sans réflexion,
par politique, par importunité etc., et d’autres plus fermes et moins peureux ont refusé avec
constance d’y mettre leur seing comme ont fait les oncles de la dame peureuse et même
quelques dames plus voisines que les Domi[ni]cains malgré les persuasions du sieur Calfieri colporteur
de cette requeste qui avoit peure, disoit-t-il, d’être brûlé dans sa maison, parce qu’il avoit
des fagots dans son grenier ; à quoi ont répondu les gens bien sensés qu’ils n’appréhendoient
pas un tel malheur, ne croyant pas le sr Devyssery assez imprudent, pour s’exposer ainsi
que son voisinage par cette invention à être écrasé, brulé etc. par le feu du ciel, s’il
n’étoit assuré du contraire.

Voilà donc ce prétendu public effrayé qui consiste en sept ou huit personnes timides et
effrayées, sans savoir pourquoi, qui ont fait porter un jugement digne du 14me siècle, lequel loing
de diminuer la peur, il ne l’a fait au contraire qu’augmenter à ceux qui n’en avoient pas
l’idée avant cela. Pour pénétrer le motif de la condamnation rigoureuse de ce para-tonnerre,
ce même public raisonne ainsi : la femme du sr Cafieri étant la sœure d’un échevin, à qui
elle a communiquée toutes ses frayeurs en voulant abandonner sa maison, ce frère peureux
et trop zélé a fait son possible pour se faire un parti dans la magistrature en exagérant
le péril, et cette cabale a forcé le procureur sindic (malgré ses remontrances) à donner des

Lettre manuscrite retranscrite ci-contre.

Lettre de Vissery à Buissart, 7 septembre 1780. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 120.

conclusions pour faire démonter tout l’appareil : ouy le sr Jacques (mieux instruit que les autres)
a avoué depuis que tout ce qu’il a pu dire, pour ne pas aller si vite en besoigne, n’a pu leur
faire entendre raison – puis-je citer les personnes ?

Il s’ensuit donc de là qu’il y a plus que de l’humeure et de la frayeure dans ce jugement
rigoureux, qu’il y a même de la passion, puis-ce qu’on a fait des démarches pour obtenir
main-forte du commandant à effet de forcer ma maison, contre le droit de propriété et de bienséance. Le terme rigoureux de 24 heures pour démonter un telle machine, qui ne s’ôte
pas comme une chemise n’a été prescrit que pour m’empêcher d’obtenir un surscis quoiqu’il
n’y eut aucun péril dans la demeure : mais la passion ne raisonne pas. Il n’a pas tonné une
seul fois sur la ville cette année, par ainsi on ne devoit pas plus craindre ici le tonnerre, que
la peste qui règne à Constantinople.

Ce n’est point en un mot ce para-tonnerre qui a effrayez le peuple ; mais c’est le jugement de l’échevinage
qui a augmenté la terreure panique partout, qui n’étoit avant cela concentrée que dans mon voisinage, il étoit avant cela ignoré, ou regardé avec indifférence, comme en sont convenus la plus part de ceux qui ont signé la requeste par politique, par complaisance etc., de quoi ils se repentent.

Le magistrat sans avoir donc égard aux authorités citées des plus grands physiciens, des Académies
respectables, des républiques, et des roiaumes entiers qui ont adoptés cette admirable invention pour
se préserver de ce météore effrayant, a glissé légèrement là-dessus, et a condamné sans raison et
sans rémission un bon citoyen, qui s’empressoit par là de rendre un grand service au public,
et cela sous le spécieux prétexte de police où il n’y avoit ni abus ni dangers.

Or la question est de savoir si c’est ici un cas de police ? Si la terreur panique de quelques
femelettes qu’elles ont inspirées à des maris trop complaisants et trop lâches dans des instants
que ces avocates de nuits savent mettre à profit pour parvenir à leur fin. En un mot si ce petit
nombre de peureux et de peureuses est un moyen suffisant pour faire condamner un invention
reconnu très utile et adoptée dans les 4 parties du monde ; c’est, il faut en convenir, avoir
bien de la présomption de ses lumières, et bien peu d’égard et même du mépris pour le monde
savant que d’agir de la sorte ? Il y a des esprits timides et foibles par tout. A-t-on eut
égard à leurs craintes et à leur terreure paniques dans les capitales, les villes, les villages
les châteaux, etc., où l’on a élevé des parra-tonnerres ? Non ! Il n’y a qu’à St-Omer où l’on
fulmine contre le préservatif de la foudre et c’est moi que l’on écrase en faisant
le bien publicque.

Lettre manuscrite retranscrite cic-ontre.

Lettre de Vissery à Buissart, 7 septembre 1780. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 120.

Quand des juges prudents ne veuillent pas se compromettre, ni rien hazarder dans des
matières qu’ils ne sont pas obligez de pénétrer ils se rapportent au dire d’experts
comme en fait de chirurgie, d’architecture etc. pour prononcer avec connoissance de cause :
mais c’est précisément ce que n’a pas fait l’échevinage de St-Omer, qui au lieu de calmer
les esprits foibles, en s’instruisant mieux eux-mêmes de la chose (comme on me le mande
de tout côtés) il a par son jugement trop rigoureux et trop précipité augmenté la
fermentation parmi le peuple trop susceptible des impressions de ses supérieurs, comme le
caméléon l’est des couleurs, avant ce jugement on regardoit le tout comme une nouveauté
mais sans crainte et avec indifférence.

Le court terme de 24 heures a mis l’épouvante par tout et la trompette de la chicanne a
publiée que cette machine électrisée et aimantée alloit attirer le tonnerre de tout le
contour de la ville sur cette invention dangereuse. Fabula crescit eundo. De là sont partis
les soubriquets, les sarcasmes, etc. ma servante étoit arrêtée par tout pour entendre dire hé bien !
qu’a donc fait votre maître ? Il nous expose à de belles choses, c’est un extravagant, etc.
Au reste nos citoyens bien moins furieux et emportés que ceux de Londres, sont bien revenus
de leurs préjugés et de leur terreure panique depuis le simple fait rapporté dans les journaux
qu’ils appliquent à ce qui s’est passé à St-Omer, quoique le lieu ni les personnes n’y soient pas
désignés, et sont au repentir d’avoir tenus tant de propos déplacés sur mon compte : ce qui me
porte à conclure par ma requeste à présenter, à ce que cette affaire n’étant point du resort
de la police il me soit permis de sommer le petit bailli de me remettre la requeste présentée
contre moi à effet de prendre à partie ceux qui l’ont signé ; en outre que mon para-tonnerre
sera rétabli avec honneur aux dépends de qui il appartiendra, et attendu qu’on veut me rendre
responsable des loyers de la maison voisine mise en discrédit, par le jugement et qu’on veut abandoner,
que la sentence à intervenir (tant pour rétablir mon honneur et ma réputation trop décriée
que pour détromper et rassurer ceux qu’une terreure panique a trop affecté) elle sera lue
publiée et affichée aux carefours de cette ville avec dépends, etc.

Ne voulant rien entreprendre sans l’avis des Messieurs qui veulent bien me servir en cette
affaire extraordinaires, je les prie instament de m’aider de leurs bons conseils en les assurant
de la plus parfaite reconnoissance avec la quelle j’ai l’honneur de me dire avec confiance

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur
De Vyssery de Bois-Valé

À St-Omer le 7 7bre 1780.

Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 120.