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Les doléances des habitants du Pas-de-Calais en 1789

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Témoignage éclairant de la société d’Ancien Régime à la veille de la Révolution française, les cahiers de doléances fournissent une multitude de renseignements fort utiles à tous ceux s’intéressant à l’histoire d’un lieu.

Une crise politique dans un contexte économique difficile

Au début de l’année 1787, la crise financière accable la monarchie. La moitié des recettes du royaume passe alors dans le remboursement de la dette. Le ministre Calonne propose des réformes parmi lesquelles la création d’un impôt universel sur la terre, la subvention territoriale. La réunion d’une Assemblée des notables provoque son renvoi et son remplacement par Loménie de Brienne.

Le malaise politique grandit. Au printemps 1788, les parlements s’opposent à toute tentative de réforme. La révolte nobiliaire de 1788 aboutit à la victoire des privilégiés, appuyés par une partie du peuple et de la bourgeoisie.

Tenue des États généraux

Le 5 juillet 1788, Loménie de Brienne doit se résoudre à convoquer la tenue d’États généraux pour le 1er mai 1789. Il démissionne ensuite et il est remplacé par Jacques Necker. Les parlements récupèrent leurs fonctions judiciaires. Les États généraux, créés en 1302, n’avaient pas été réunis depuis 1614.

Mais comment les constituer ? Les privilégiés, à quelques exceptions près, souhaitent la reprise du système utilisé précédemment : représentation égale et délibération par ordre. Le Tiers-État, au contraire, réclame "le doublement" et la délibération par tête. Le Conseil du roi, poussé par Necker, tout en conservant la délibération par ordre, doit céder sur le premier point.

Gravure monochrome montrant une foule rassemblée sous un balcon, bras levés et poings dressés.

Troubles à Arras, causés par l'augmentation du pain [1795]. Gravure sur bois d'Émile Bayard, réimpression du Moniteur, t. XXV, p. 102. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 473/3.

Par le décret du 24 janvier 1789, le Conseil du roi invite les Français à élire des représentants et à dresser des "cahiers de doléances" préparatoires aux séances des États.

Élection des représentants des trois ordres          

Les privilégiés sont assemblés par bailliages principaux. Pour le clergé siègent les évêques et abbés, les représentants des monastères et chapitres, un prêtre urbain sur vingt et tous les curés de campagne. Tous les nobles de plus de 25 ans siègent pour la noblesse.

En ce qui concerne le Tiers-État, seuls les habitants de plus de 25 ans inscrits aux rôles d’imposition ont le droit de participer. En ville, la consultation est à deux degrés (assemblée de corporation et assemblée des habitants non corporés). Les députés sont élus par l’assemblée de ville en proportion du nombre d’habitants. Dans les campagnes, chaque communauté choisit ses députés à raison de 2 par 200 feux au moins. Ensuite, les députés des villes et des villages se réunissent au siège des bailliages secondaires pour désigner leurs représentants (un député pour quatre siégeants).

Au siège du bailliage principal (455 en France), une réunion plénière rassemble les députés des trois ordres qui prêtent serment, puis une réunion particulière à chaque ordre permet l’élection des députés qui iront à Versailles aux États généraux.

Revendications

À chaque étape, un cahier de doléances est rédigé qui doit faire la synthèse des revendications de la communauté. Ces cahiers constituent un témoignage irremplaçable de la situation de la France en 1789.

À l’échelon national, ces cahiers, qu’ils proviennent des ordres privilégiés ou du Tiers, ont beaucoup de points communs, car le clergé et la noblesse, tout en insistant sur le maintien de leurs privilèges, condamnent aussi les actes arbitraires des ministres et les abus contre les "libertés" d’un régime "despotique". 

Portrait couleur d'un homme tourné de trois-quart portant une perruque.

Fr[anç]ois Jos[e]ph Théod[o]re Desandrouin, député de la noble[ss]e des bail[lia]ges de Calais et d'Ardres [...]. Collection générale des portraits de MM. les députés à l'assemblée nationale tenue à Versailles le 4 mai 1789. [Portrait]. Gravure sur cuivre et lavis couleur de Lambert. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 472/37.

Pour la noblesse, les cahiers mélangent la volonté de réformer avec celle du maintien du statu quo des privilèges nobiliaires. Ils révèlent les conflits internes de cet ordre qui opposent réformistes et traditionalistes.

Le clergé, quant à lui, manifeste la volonté de réformer tous les domaines constitutifs du pays, mais l’ensemble de l’ordre n’est pas unanime, le cahier du clergé de l’Artois n’aboutit à un texte progressiste mais laconique (Loriquet évoque à son sujet "une table des matières" dont les chapitres n’ont pas été développés) qu’au prix de l’élimination d’une partie des représentants traditionnels de l’ordre. Le clergé de l’Artois a manqué de hauteur de vue et a présenté souvent un catalogue revendicatif et corporatiste.

Mais les cahiers du Tiers-État ne se contentent pas de blâmer le despotisme et de revendiquer la restauration des libertés : ils condamnent avec autant de vigueur l’inégalité, les exemptions fiscales des privilégiés et la survivance d’abus tels que le servage, les droits de chasse, les banalités et la juridiction seigneuriale. Ils préconisent l’abolition des intendants, mais aussi la création universelle d’États provinciaux et des États généraux réguliers avec vote par tête.

Malgré leur attachement à la religion catholique, apostolique et romaine, les cahiers de paroisses s’en prennent aux abbés commandataires, aux bénéficiers et, surtout, au prélèvement décimal. La dîme était honnie, car détournée de sa destination originelle, à savoir l’entretien des édifices cultuels et le soulagement des pauvres.

Notons enfin la large adhésion des citadins comme des ruraux à de profondes réformes assurant l’égalité de tous devant l’impôt, l’admission sans réserves aux fonctions publiques, en bref la fin de la société d’ordres.

Certaines revendications portent, quant à elles, sur l’agriculture. On souhaite un allongement de la durée des baux, une limitation du développement des grandes exploitations, voire leur division, un encouragement donné à l’élevage par l’abolition des impôts indirects vexatoires comme la ferme des bêtes vives. On relève enfin des plaintes contre les abus du régime seigneurial notamment les plantis, les communaux et le droit de chasse.

À la veille de la réunion des États généraux, les ordres privilégiés et le Tiers sont loin de s’accorder sur les solutions qu’ils doivent proposer au roi.

Typologie des cahiers

Quatre types de cahiers ruraux sont à retenir :

  • des cahiers très revendicatifs qui s’en prennent souvent violemment au seigneur et où percent des idées démocratiques,
  • des cahiers spontanés où le caractère local des revendications est remarquable,
  • des cahiers (les plus nombreux) dans lesquels percent l’opposition au régime seigneurial et aux abus du clergé,
  • enfin des cahiers rédigés d’après un modèle qui circule.
Gravure monochrome montrant un homme tenant une plume, penché au-dessus d'un livre ouvert.

Trait de patriotisme de Charles de Lameth. Séance du 14 février 1791. Détail. Gravure sur cuivre. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 473/2.

En ce qui concerne les villes, seule une minorité de cahiers a été conservée, ce qui ne permet pas d’en établir de typologie. Quant aux cahiers des corporations, ils révèlent la volonté de défendre les privilèges de chaque corps de métier.

Pour le Tiers état, les opérations se sont déroulées en trois temps donnant lieu, à chaque étape, à la rédaction d'un cahier : cahiers des villes, paroisses, communautés de métiers de l'assemblée préliminaire, cahiers des bailliages secondaires, cahier du bailliage principal. Les cahiers de doléances sont accompagnés des procès-verbaux d'élection des députés et des pouvoirs qui leurs sont conférés. Certains cahiers de doléances qui se trouvaient aux archives départementales du Pas-de-Calais, à la fin du XIXe siècle, ont été publiés en 1891 par Henri Loriquet (1857-1939) dans son ouvrage "Cahiers de doléances de 1789 dans le département du Pas-de-Calais".

Les cahiers de doléances du Pas-de-Calais

Dans le Pas-de-Calais, c’est courant mars 1789, que l’on s’est assemblé dans toutes les paroisses, pour rédiger les doléances et élire les délégués aux assemblées des bailliages secondaires. Au total, un peu moins de 3 000 délégués eurent à cœur d’ordonner, de trier, parfois d’expurger les revendications des populations du futur département.

De nos jours il subsiste 261 cahiers de communautés d’habitants sur les 950 assemblées de villes et de villages dont la très grande majorité sont conservés aux archives départementales sous la cote 2 B 881 à 884 pour la gouvernance d’Arras et 9 B 54 pour la sénéchaussée du Boulonnais. La quasi-totalité des cahiers a été publiée par Henri Loriquet en 1897. Un florilège a également été édité en 1989 par Jean-Pierre Jessenne et Dominique Rosselle.

Les cahiers de doléances ont fait l’objet d’une campagne de numérisation et sont aujourd’hui accessibles sur notre site internet.

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Pour aller plus loin

Rechercher un cahier de doléances de 1789 sur le site FranceArchives