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Le voyage présidentiel en Russie

Publié le 23 juillet 2014

Le mardi 7 juillet 1914, l’ouverture d’un crédit extraordinaire de 400 000 francs au profit du ministère des Affaires étrangères est soumise au vote de la Chambre des députés, pour financer le voyage du président de la République en Russie, mais aussi en Suède, au Danemark et en Norvège. Durant la discussion, Jean Jaurès, au nom du parti socialiste, se prononce toutefois contre le projet. Il dénonce l’utilisation qui est faite, ou qui peut être faite, de ces entrevues lointaines , pour contracter, au nom de la France, des engagements quelle ne connaît pas , qui ne sont pas étudiés puis validés par les représentants directs des citoyens français. Plus généralement, il affirme refuser la pratique et la politique des traités secrets : il nous paraît inadmissible que la France puisse être jetée dans des aventures naissant de l’obscurité des problèmes orientaux par des traités dont elle ne connaît ni le texte, ni le sens, ni les limites, ni la portée . Enfin, il souligne que si l’institution, récente, de la Douma, forme de représentation parlementaire russe, donnait à espérer que les problèmes de politique internationale qui intéressent à la fois la Russie et la France seraient discutées, contrôlés par le peuple russe lui-même , sa forme et ses pouvoirs actuels ne lui en donnent pas en réalité les moyens.

En réponse, René Viviani, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, rappelle la nécessité de ces rencontres pour fonder, entretenir et développer les alliances visant le maintien de la paix , tout en assurant qu’aucun engagement ayant sa répercussion sur la politique intérieure de l’un et l’autre pays ne peut être pris, car il porterait atteinte à la liberté de décision du Gouvernement et à la liberté de délibération de la souveraineté nationale . Les crédits sont finalement accordés par 428 voix contre 106.

Accompagné par Viviani, le président français Raymond Poincaré part du port de Dunkerque le 16 juillet, et séjourne du 20 au 23 en visite diplomatique à la cour impériale de Russie ; dans un contexte international de plus en plus tendu, il s’entretient longuement avec le tsar Nicolas II et les ambassadeurs de différentes nations européennes. À Saint-Pétersbourg, à la fin du dîner du 20 juillet, le tsar porte, en français, un toast affirmant les objectifs de cette rencontre et de l’alliance entre la France et la Russie :

Unies de longue date par las sympathie mutuelle des peuples et par les intérêts communs, la France et la Russie sont depuis bientôt un quart de siècle étroitement liées pour mieux poursuivre le même but, qui consiste à sauvegarder leurs intérêts, en collaborant à l’équilibre et à la paix en Europe. Je ne doute point que, fidèles à leur idéal pacifique, et s’appuyant sur leur alliance éprouvée, ainsi que sur des amitiés communes, nos deux pays continueront à jouir des bienfaits de la paix assurée par la plénitude de leurs forces, en [res]serrant toujours davantage les liens qui les unissent . ("Le président de la République en Russie", Journal des débats politiques et littéraires, 22 juillet 1914).

Renchérissant surla communauté des intérêts, consacrée par la volonté pacifique des deux gouvernements , Raymond Poincaré assure à son tour que demain comme hier, la France poursuivra dans une collaboration intime et quotidienne avec son alliée, l’œuvre de paix et de civilisation à laquelle les gouvernements et les deux nations n’ont cessé de travailler .

Le "pacifisme" des discours tenus par les chefs d’État dans leurs toasts est salué par la plupart des journaux dans les jours suivants. Pour le Courrier de Saint-Pétersbourg, l’entrevue de la France et de la Russie est ainsi un rempart puissant pour la paix européenne .

Dans L’Humanité du 23 juillet 1914, Jean Jaurès revient sur ces propos dans un article qu’il intitule "La plénitude des forces" en reprenant l’expression employée par le tsar. Pour maintenir la paix en Europe, il invite au rapprochement des deux grands systèmes Triple Entente et Triple Alliance dont le prétendu équilibre n’est que la poussée et la contre-poussée de perpétuelles menaces . Selon lui, la France a le potentiel pour être en Europe et dans le monde l’ouvrière décidée de la paix et serait plus à même de proposer une Sextuple Entente que le tsarisme, régime autocratique. En effet, le voyage en Russie de Raymond Poincaré est marqué par de violentes grèves à Saint-Pétersbourg, dont Jaurès ne manque pas de souligner l’importance dans plusieurs de ses articles, en particulier dans "L’Avertissement" (L’Humanité du 24 juillet 1914) : Partout la révolution est à fleur de terre. Bien imprudent serait le tsar s’il déchaînait ou laissait déchaîner une guerre européenne ! Bien imprudente aussi serait la monarchie austro-hongroise si, cédant aux aveugles fureurs de son parti clérical et militaire, elle créait entre elle et la Serbie de l’irréparable ! […] Sous tous les régimes de compression et de privilèges, le sol est miné, et si la commotion de la guerre se produit, il y aura bien des effondrements et des écroulements .

De fait, l’envoi, le 23 juillet au soir, de la note comminatoire de l’Autriche-Hongrie à la Serbie écourte le voyage présidentiel et, le 29, le France transportant Raymond Poincaré et la délégation française rentre en urgence dans le port de Dunkerque.

Mauvaise foi

Texte imprimé retranscrit ci-contre.

"Mauvaise foi", article d'Albert Hénic dans le Courrier du Pas-de-Calais du 16 juillet 1914.

[…] En ce moment, la presse antimilitariste fulmine contre la Russie. Il n’est plus permis de douter que notre alliée nous lâchera poliment le jour où nous serons tentés de réduire la durée du service militaire en France. Des avertissements très nets nous ont été signifiés par l’entremise de l’ambassadeur Paléologue et le voyage de M. Poincaré dans l’Empire des Tzars, sera certainement mis à profit pour nous les renouveler, d’une façon courtoise, mais très ferme.
Aussi les organes du Bloc radical et socialiste, depuis le Radical et l’Humanité, jusqu’à la plus humble feuille de chef-lieu de canton, font entendre un bruyant concert d’imprécations contre le gouvernement russe. Ils crient à l’intimidation, en adjurant le Parlement de délibérer en toute indépendance, sans se laisser intimider par l’odieuse tentative de chantage qu’une nation étrangère voudrait faire peser sur ses décisions.

Pas plus que d’autres, nous n’entendons être conduits en laisse par une puissance du dehors, quelle qu’elle soit ; une semblable sujétion serait vraiment indigne d’un peuple libre. Mais d’autre part, les clameurs que nous enregistrons correspondent-elles à la majorité des faits ? C’est ce que nous allons examiner brièvement. Mettons-nous un instant à la place de la Russie. Ce n’est pas un fol amour qui l’a jeté dans nos bras, mais une question d’intérêt et de défense réciproque contre la Triplice menaçante. Mariage de raison, et non pas d’inclination, ce qui du reste ne prouve pas qu’on doive faire mauvais ménage…

Toujours est-il que les liens qui unissent les contractants leur créent des obligations particulières, que chacun d’eux doit remplir avec la plus scrupuleuse loyauté. La question militaire joue tout naturellement ici un rôle prépondérant, puisqu’elle est l’une des raisons d’être du traité. Si nous laissons affaiblir notre armée, nous violons nos engagements et par ricochet, nous nous exposons à provoquer la rupture du contrat.

Le parti de Bouffandeau et de Jaurès, pour satisfaire à ses instincts de basse démagogie, n’hésiterait pas à conduire le pays à sa ruine. Ces gens-là au fond n’ignorent pas quels terribles dangers résulteraient pour la France de la dénonciation de l’Alliance. Non, sans doute. Alors ?... Alors ce sont des criminels ! L’histoire les jugera sévèrement, mais les désastres qu’ils nous préparent de gaieté de cœur, seront irréparables.

Albert HENIC

Le Courrier du Pas-de-Calais, 16 juillet 1914

Chez les Russes !

Texte imprimé retranscrit ci-contre.

"Chez les Russes !", article de Brutus dans Le Grand Soir du 2 août 1914.

Pendant que Nicolas II et Raymond 1er buvaient à la santé des peuples russe et français, une grève formidable éclatait à Saint-Pétersbourg. La bonne presse s’exclame en disant : Étrange coïncidence !
Allons donc ! Est-ce que le peuple russe n’a pas les mêmes aspirations que le peuple français ? Exaspérés par le régime abject du tsarisme, les travailleurs russes ont profité de la présence du président de la république française pour montrer aux yeux du prolétariat leur vif mécontentement.

[…] Camarades, vos frères de Russie n’ont-ils pas déclaré une grève d’ordre corporatif, non, c’est une grève politique et sociale. C’est le cri de guerre de la révolution. C’est le cri de guerre contre toutes les violences dont s’est rendu coupable le knouteur de toutes les Russies. Le peuple s’est réveillé. Il a montré qu’au fond de son cœur il n’avait que de la haine pour Nicolas ; il n’a pas craint d’affronter le feu des soldats du tsar, il n’a pas craint de s’emparer des drapeaux français et de leur arracher le blanc et le bleu, il n’a pas craint de renverser les tramways et de dresser des barricades.

Tandis que les souverains des prolétaires russes et français s’amusent, la révolution fermente au sein de la classe ouvrière russe.
Les journaux cachent la vérité au peuple français, mais peu à peu elle se dévoile. Nous sommes à la veille d’une conflagration européenne que les despotes : kaiser, tsar, koning, dirigeants prennent garde. Les temps nouveaux approchent.

BRUTUS

Le Grand Soir, 2 août 1914

Bibliographie