Du contrôle...

Siècle de grands bouleversements scientifiques et technologiques, le XIXe siècle voit se diversifier et s'intensifier les voyages, notamment avec l'apparition du chemin de fer, la modernisation des voitures, d'abord hippomobiles puis motorisées, le développement des voies d'eau et des routes.

La France s'équipe d'infrastructures rénovées qui permettent tant aux hommes qu'aux marchandises de circuler plus librement. L’amélioration des installations portuaires et les progrès de la navigation sont suivis d’une augmentation spectaculaire du trafic entre l’Angleterre et Boulogne. Les autorités ont alors besoin d’identifier les individus qui entrent sur le territoire national. Les mesures de surveillance vont se renforcer.

Durant le XIXe siècle un certain romantisme entoure les populations itinérantes, et se retrouve par exemple dans la littérature ou la peinture. Toutefois, le besoin de contrôler le vagabondage et la circulation des forains n'est pas une invention du XXe siècle : dès 1863, est créé le carnet de saltimbanques musiciens, chanteurs ambulants… Celui-ci associe les fonctions du passeport intérieur et l’autorisation d’exercice de profession ambulante.

Au début du XXe siècle, de nombreux petits métiers sont encore exercés par des marchands ambulants qui parcourent les rues en annonçant à voix haute leurs marchandises ou leurs services pour attirer la clientèle. Leurs "cris" qui retentissent à chaque coin de rue constituent l’une des attractions principales à la ville comme à la campagne. D’une grande diversité, les petits métiers vont peu à peu disparaître, menacés par l’industrialisation croissante et la naissance de l’économie moderne.

La loi du 16 juillet 1912 sur l’exercice des professions ambulantes et la réglementation de la circulation des nomades institue un carnet anthropométrique d’identité. Il est une réponse à une forte demande des populations rurales qui ressentent de la méfiance et de la peur à l’égard des "Romanichels".

Le carnet anthropométrique a comme principal objectif d’identifier les nomades en fixant sur le papier leur véritable état civil ou, au besoin, en en créant un. La loi oblige tout nomade, quelle que soit sa nationalité, à faire viser son carnet individuel établi dès l’âge de 13 ans révolus, à l’arrivée et au départ de chaque commune, comme elle le contraint en vertu du décret du 16 février 1913 à se soumettre aux différentes mensurations et identifications photographiques consignées sur ces carnets : la hauteur de la taille, celle du buste, l’envergure, la longueur et la largeur de la tête, le diamètre bizygomatique [largeur du visage], la longueur de l’oreille droite, la longueur des doigts médius et auriculaires gauches, celles de la coudée gauche, celle du pied gauche, la couleur des yeux, les empreintes digitales et les deux photographies du porteur du carnet .

Ce régime conçu comme un instrument d'ostracisme à caractère racialiste ne ne sera être abrogé qu’en 1969 : le "livret ou carnet de circulation", toujours en vigueur, visé chaque mois puis trimestriellement par un commissaire de police ou un commandant de gendarmerie, se substitue alors au carnet anthropométrique.

L'article 2 de la loi du 16 juillet 1912 établit une distinction entre les ambulants et les forains, et les nomades. Exerçant leur profession parfois loin de leur ville d’origine, les forains étaient jusqu’alors considérés comme des étrangers (le mot forain vient du bas latin foranus qui signifie étranger).

L’article 2 de la loi du 16 juillet 1912, classe en tant que forain tous individus de nationalité française qui, n’ayant en France ni domicile ni résidence fixe, voudront circuler sur le territoire français pour exercer la profession de commerçant ou industriels forains . 

Les dispositions de contrôle et d’identification des marchands forains, musiciens, saltimbanques, chanteurs sont beaucoup moins dures que pour les populations tziganes. Ils sont soumis à une déclaration préalable en préfecture et doivent posséder un carnet d’identité, sur lequel figure une photographie, établissant clairement l’état civil du titulaire et son signalement. 

En 1806, Joseph Fouché, alors ministre de la Police, rend le passeport obligatoire et impose un modèle identique dans tout l’Empire. Nul ne peut quitter le territoire de son canton ni voyager sans être porteur d’un passeport qui énonce le lieu de destination. Pour faciliter les contrôles des individus, on ajoute à l’état civil la description physique de la personne. Le signalement permet la reconnaissance physique du sujet.

Cette législation sur les passeports, en vigueur jusqu’aux alentours de 1860, tombera alors peu à peu en désuétude sous les effets conjugués de la révolution industrielle et du chemin de fer qui ont considérablement augmenté le nombre et le flux de voyageurs.

Dès août 1914, tous les États rétablissent des formalités strictes qui perdurent tout au long de la Première Guerre mondiale, et qui sont rendues permanentes par la suite. Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale que les formalités de passeport ont été véritablement uniformisées dans le système international.

La Grande Guerre accélère le processus de contrôle des populations étrangères. En plus de l'obligation d'enregistrement dans la commune , les étrangers sont soumis dès août 1914 au port obligatoire d’un "permis de séjour".

Dans un contexte qui voit la montée des sentiments nationalistes et xénophobes, les étrangers sont suspectés de velléités d’espionnage. Face à l’afflux massif de réfugiés et anticipant des problèmes de sécurité, l’État décide le 12 mars que les permis de séjour des étrangers en France devront être munis d’une photographie timbrée par le commissaire ou le maire.
Grâce à ces titres de séjour, les autorités militaires peuvent contrôler la circulation des voyageurs, vérifier l’identité des personnes et mettre à jour les listes de réfugiés.

L'entre-deux-guerres marque l'apogée de l'immigration économique en France. La Pologne, redevenue un état indépendant, connaît un surpeuplement de ses campagnes, tandis qu'après la Première Guerre mondiale, la France manque de main-d'œuvre. En 1919, les deux pays signent une convention d'accueil des travailleurs polonais sur le sol français. En 1931, la présence polonaise en France atteint un sommet en 1931 quand elle dépasse les 500 000 individus et constitue la population étrangère la plus importante après les Italiens.

La législation sur les immigrés se durcit. Les étrangers doivent être munis d’une carte d’identité de travailleurs qui n’est valable qu’un ou deux ans.