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Traduction du procès-verbal du chapitre de Boulogne, 1580

Procès-verbal du tremblement de terre

L’an du Seigneur 1580, le mercredi après la fête de Pâques, c’est-à-dire le 6 avril, vers six heures du soir, la mer étant agitée et la marée montante, la terre commença à trembler sous la force d’un souffle si rapide que le tremblement de terre se fit sentir en même temps à Boulogne et en plusieurs endroits distants l’un de l’autre de 30 ou 40 lieues pendant l’espace d’un demi-quart d’heure environ.

Ce souffle enfermé dans les entrailles de la terre et se cherchant une issue agita de secousses répétées non seulement le sol, mais aussi tous les édifices de la ville ; si solides qu’ils soient, ils furent agités comme feuilles au vent.

Se frayant un chemin par une série de secousses, sortant avec une grande violence des cavernes de la terre qui le retenaient prisonnier, il se dispersa et se répandit dans l’air en vapeurs visqueuses et fumeuses, émettant, avec un sifflement, un son semblable au bruit et au grincement de plusieurs chars transportant une lourde charge.

Si des secousses de cette sorte avaient duré plus longtemps, nul doute qu’elles eussent causé de plus grands dommages et que l’épouvante en eût été d’autant plus nocive, elle qui suffisait à priver (en quelque sorte) de vie les hommes abattus de stupeur et terrifiés par l’horreur du spectacle, en raison surtout de la force et de la violence particulières de telles secousses.

Leur fureur faisait céder tout ce bas monde, entièrement soumis à leur empire. Et d’abord la masse même de la terre, avec ce qu’elle embrasse, était remuée comme une balle dansant sur un filet, au point qu’elle parut presque vouloir s’ouvrir et engloutir le tout.

Ainsi vit-on l’ensemble des édifices sacrés de Notre-Dame de Boulogne – il ne s’agissait pas d’une illusion d’optique – s’élever de terre au rythme fréquent des secousses sans toutefois quitter sa place.

La pyramide du clocher oscillant en tout sens, s’inclinant vers la chute. Le faîte de la tourelle toute proche du lieu capitulaire, qui depuis les coups des bombardes anglaises lors du siège de Boulogne était battue des vents, s’écroula.

De même, de nombreuses pierres, tant dans le chœur de l’église que dans les chapelles adjacentes, tombèrent sans blesser personne ; on peut chiffrer la réparation des dégâts à un minimum de deux écus d’or.

Les maisons des particuliers souffrirent aussi du tremblement de terre. Dans quelques-unes, la vaisselle et autres ustensiles, fortement ébranlés, tombèrent sur le sol ; on vit les tables et les convives s’élever presque à la hauteur de deux pieds et les verres placés devant eux se briser ; dans certaines caves, des tonneaux remplis de vin, enlevés à leur chantier, tournoyèrent.

Fait mineur, certes, mais notable : le fourneau de la maison épiscopale, partagé en quatre morceaux, retrouva bientôt son premier état. Chez les habitants de la campagne, des pots remplis de lait [….] [ note 1]

Chevaux, juments, vaches et autres bêtes couraient et se roulaient sur le sol, errant ça et là comme agités de quelque frénésie. Les chevaux et les juments hennissaient, les vaches meuglaient, les moutons bêlaient, les chiens aboyaient et les autres donnaient de la voix chacun selon sa nature.

Les lapins cachés dans leurs terriers et forcés d’en sortir par l’épouvante qui frappait la terre gisaient sur le sol, presque inanimés. Même chose pour les lièvres. Les cours d’eau, à l’occasion d’une si extraordinaire commotion, débordèrent. Dans bien des églises, les cloches sonnèrent. Châteaux, remparts et autres édifices les plus solides semblèrent se déplacer sous l’effet de la secousse ; haies, ronces et arbres parurent se déraciner et s’éloigner de leur place.

Mais l’événement à coup sûr miraculeux où apparaît l’admirable puissance de Dieu qui frappe ou épargne à son gré se produisit, comme l’ont relaté des hommes dignes de foi, à Calais : pendant que le guetteur de la ville dînait avec sa femme, la tour où ils étaient à table se coupa en deux parties ; l’une s’écroula avec l’escalier, l’autre resta miraculeusement en place avec les convives, assis et stupéfaits ; mais grâce aux échelles et aux cordes qu’aussitôt on leur procura, ils sortirent indemnes d’une situation si périlleuse.

L’événement passé, le peuple entier de Boulogne, épouvanté par tant de fléaux extraordinaire et frappé par la menace de la mort, plutôt que mû par l’espoir d’une vie future, ceux qui étaient à table quittant leur repas et laissant leurs maisons ouvertes, tous sans exception du plus petit au plus grand, coururent aussitôt se réfugier à l’église comme à une ancre sacrée pour implorer en tremblant la très clémente majesté divine à qui ils s’adressèrent en ces termes ou en termes semblables :

"O Dieu très grand, très bon et très puissant, s’il est possible à l’humanité, par des prières humbles et pieuses, de mériter le secours des faveurs divines et d’être exaucée par toi, nous t’invoquons maintenant, repentants et affligés de toutes nos faiblesses et offenses passées. Que ton infinie divinité nous libère de ces périls pour qu’ainsi nos vies se poursuivent jusqu’à une fin différente et meilleure.
S’il est vrai, comme ton fils bien aimé l’a promis, que c’est en cherchant que nous trouvons, en frappant qu’il nous est ouvert, en demandant que nous recevons, nous te cherchons maintenant en pleurant et en gémissant, fais que nous [te] trouvions ; nous frappons aux oreilles de ta miséricorde, fais qu’elles s’ouvrent ; nous demandons le pardon de nos fautes, fais que nous l’obtenions.
O souverain père éternel, qui régis le ciel et la terre, si, pour finir, les prières de tes très humbles serviteurs méritent d’être exaucées, nous te supplions de bien vouloir exaucer la prière que nous lançons vers toi car elle est fondée sur le ferme espoir d’obtenir ce que nous demandons et recherchons, à savoir que tu appliques un remède bienveillant à tant de malheurs et de dangers qui de toutes parts nous agitent, en écartant loin de nous les fouets de ta colère.
Il n’est pas douteux, ô père très clément, que tu seras dans ta bonté très prompt à porter secours à ceux qui, d’un cœur sincère, implorent ton aide, et nous croyons fermement que ta puissance est telle que tous les cœurs désolés reçoivent de toi une consolation quelle qu’elle soit et reviennent au meilleur espoir. Forts de cette espérance, nous nous réfugions donc auprès de toi qui n’as pas coutume de mépriser le cœur contrit et humilié, proclamant d’une voix plaintive : « Épargne Seigneur, épargne ton peuple que tu as racheté de ton précieux sang, ne t’irrite pas à jamais contre nous".

Cependant, ces messieurs du chapitre, leurs prières particulières dites, sachant que les prières publiques ont plus de poids et de force si elles émanent de ceux qui sont le lot du Seigneur et que ceux qui crient dans le besoin sont exaucés d’autant plus facilement qu’ils en sont plus dignes, n’oubliant pas leur charge, pour augmenter et exciter d’autant plus la piété des fidèles et obtenir la grâce la plus féconde, firent chanter les versets "Seigneur, ne nous traite pas selon nos péchés", etc., par deux jeunes choristes devant le Saint-Sacrement afin que, comme la parfaite louange de Dieu sort de la bouche des tout jeunes enfants, ainsi leur voix obtienne la grâce.

On croit vraiment que ces chants exécutés en toute piété et déférence par les voix des dits enfants, avec réponse du chœur au dernier verset, eurent aux yeux du Très Haut tant de force et d’efficacité que, comme jadis David au doux son de la cithare chassa de Saül l’esprit malin et le guérit, ainsi le chant triste de ces versets sembla l’apaiser sur le champ. Néanmoins, le peuple persévérant dans ses prières, on chanta devant la vénérable statue de Notre-Dame de Boulogne l’antienne "Salve regina misericordiae", etc., avec une oraison appropriée pour implorer ses suffrages […] [ note 2] "que la miséricorde, que la miséricorde de Dieu nous soir propice".

Et finalement le remède pour les égarés aura été une confession sincère. Effectivement, chacun ayant prié le plus dévotement possible, on n’entendit ni ne vit plus rien du tremblement de terre, sauf un peu vers dix ou onze heures, mais peu de gens l’entendirent, et ainsi chacun, fort de la protection divine, retourna en ses foyers. Mais, bien qu’elles n’aient duré, comme on l’a dit, qu’un demi-quart d’heure et qu’elles aient cessé tout à fait, les secousses furent telles que certains esprits en furent remplis de crainte et de stupeur pendant plusieurs jours et tellement marqués qu’au moindre bruit, à la moindre tempête, de jour comme de nuit, ils croyaient entendre résonner à leurs oreilles l’impétuosité et la violence des ébranlements.

Le lendemain matin, après mûre délibération, messieurs du chapitre, désireux pour leur part de rendre grâces au souverain créateur du monde qui avait arraché son peuple à un péril si grand, si manifeste et si remarquable, décidèrent et ordonnèrent des cérémonies générales auxquelles assisterait, si faire se peut, plus de monde encore qu’à toutes celles du passé, avec transport de châsses et de reliques et chant d’antiennes appropriées, ainsi qu’un sermon que maître François Pasquier, religieux et prieur du couvent des frères prêcheurs de Beauvais, prédicateur du récent carême, donnerait en l’église Saint-Nicolas de la basse ville de Boulogne, afin que, frappé par ces cérémonies solennelles, le peuple simple et ignorant tourne l’esprit vers les réalités invisibles de Dieu et une pénitence sincère et que, complètement réconcilié avec Dieu et les hommes, il puisse à coup sûr mériter la grâce de Dieu tout puissant.

Pour que personne vraiment n’ignore les cérémonies, les plus grosses cloches de l’hôtel de ville de Boulogne au son desquelles le peuple est habituellement averti des affaires urgentes sonnèrent à six heures du matin pour rassembler les habitants. Et vers neuf heures, après la célébration d’une grand-messe de "Recordare", le clergé tout entier marcha en procession vers l’église Saint-Nicolas, dans la plus grande pompe – c’est-à-dire revêtu des chapes les plus précieuses, notamment les chanoines et quelques autres, et aussi le prêtre, le diacre et le sous-diacre tenant en leurs mains les reliques sacrées – précédé d’une foule d’enfants et suivi d’une multitude d’hommes et de femmes de tous rangs et de toutes conditions, tous répondant avec piété et ferveur les antiennes d’usage à deux choristes et aux vicaires, sans interruption jusqu’à l’arrivée à ladite église dans laquelle le susdit maître Pasquier fit une prédication très éloquente, toute remplie de science.

Celle-ci terminée, les deux mêmes choristes chantèrent solennellement devant le maître-autel les versets "Seigneur ne nous traite pas selon nos péchés". Puis, retournant vers l’église Notre-Dame de Boulogne, les vicaires reprirent en musique la même litanie en répondant aux mêmes enfants. Ces messieurs décidèrent de prolonger les cérémonies les jours suivants, dans l’église et au dehors.

Et pour perpétuer le souvenir de l’événement, ils me donnèrent l’ordre, à moi Firmin Caffier, leur scribe et secrétaire, de rédiger ce procès-verbal et de le transcrire au registre du chapitre [pour que leurs successeurs, les chanoines des temps à venir, puissent se rappeler ce jour et amener le peuple de Boulogne à la pénitence grâce à des prédicateurs qui leur représenteraient] [ note 3] la force et la violence du tremblement de terre décrit ci-dessus, qui fut si grand et si horrible qu’aucun témoin, si ferme et solide soit-il, ne pourrait retenir ses larmes en le racontant. Reste maintenant à conclure ce discours […] [ note 4]. Amen.

Traduction et notes tirées de l'article de Ghislaine BELLART et Albert VION, "Documents sur le tremblement de terre du 6 avril 1580", Bulletin de la Commission d’histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, t. XII, 1990, p. 540-550.

Notes

[ note 1] Deux lignes manquent en haut de la deuxième page.

[ note 2] Passage lacunaire que le traducteur a renoncé à traduire.

[ note 3] Traduction approximative en raison des lacunes de l’original.

[ note 4] Passage lacunaire que le traducteur a renoncé à traduire.