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Les carnets anthropométriques

En criminologie, l’anthropométrie est l’ensemble des mesures morphologiques pratiquées sur un individu en vue de faciliter son identification. Développée pour la police judiciaire au début du XXe siècle, son utilisation ne tarde pas à se généraliser à d’autres usages, d’où la présence de carnets anthropométriques dans divers fonds des archives départementales du Pas-de-Calais.

Le carnet DKV

Double page noir et blanc d'un carnet montrant des portraits d'hommes annotés en vignette.

Album photographique des individus qui doivent être l’objet d’une surveillance spéciale aux frontières, septembre 1894. Détail. Archives départementales du Pas-de-Calais, M 2024.

Le document mis en lumière aujourd’hui est un carnet de petite taille (21,5 x 12cm), daté de septembre 1894, et intitulé album photographique des individus qui doivent être l’objet d’une surveillance spéciale aux frontières . Il est conservé dans le fonds de la préfecture, en M 2024.

Il est composé d’une notice explicative de quatre pages, suivie de 182 portraits annotés et classés :

  • par sexe (essentiellement des hommes, mais on trouve quelques femmes en fin de fascicule),
  • par taille (trois catégories : jusque 1 m 64 ; de 1 m 65 à 1 m 70 ; plus d’1 m 71)
  • et par sous-catégorie de la forme du nez (cave, rectiligne ou vexe).

L’album se termine par une liste alphabétique générale de près de 250 individus (détaillant leur état civil et la raison de leur surveillance) et par une liste des abréviations utilisées pour décrire les personnes identifiées.

Ce type de carnet, aussi connu sous le nom d’album DKV, est diffusé à la fin du XIXe siècle sur le territoire national comme support de surveillance pour les forces de l’ordre, notamment aux frontières. Les individus recensés dans ce carnet sont essentiellement des suspects politiques aux idées anarchistes, bien qu’il existe d’autres catégories d’individus faisant l’objet d’une surveillance particulière. Les normes de description anthropométrique pouvaient être transmises télégraphiquement, mais rencontraient un certain nombre de problèmes liés à la transcription du code, d’où l’édition de ce type de support imprimé dont l’utilisation était rendue plus aisée grâce à la présence de photographies. Néanmoins, ce système présentait aussi un certain nombre d'inconvénients pour les recherches au niveau national, comme le nombre limité de signalements ou l’impossibilité d’actualiser facilement ses contenus.

Le bertillonnage

Page imprimée sur laquelle on lit : "Tableau des abréviations. Œil. Pigments : jaune, orangé, châtain, marron. Nuances de la périphérie : azuré, intermédiaire c'est-à-dire violacé, ardoisé, verdâtre. Nez. Profil de la ligne du dos du nez : cave, rectiligne, vexe, busqué, sinueux. Inclinaison du bord libre de la narine droite : relevé, horizontal, abaissé. Oreille. Inclinaison de l'antitragus : horizontal, intermédiaire, oblique. Profil de l'antitragus : rectiligne, intermédiaire, saillant. Chevaux et barbe : blond, châtain, roux, grisonnant, clair, moyen, foncé..."

Album photographique des individus qui doivent être l’objet d’une surveillance spéciale aux frontières, septembre 1894. Tableau des abréviations. Archives départementales du Pas-de-Calais, M 2024.

Cette méthode d’identification, révolutionnaire pour l’époque, s’appuie sur les travaux d’Alphonse Bertillon (1853-1914), célèbre pour avoir introduit de nouveaux procédés d’identification policière. En 1879, Bertillon est commis aux écritures du service photographique de la préfecture de Paris, chargé du classement des fiches signalétiques. Pour faciliter leur repérage, il imagine un système de classification des portraits des individus. Son but est de structurer le système national de recherche qu’il considère comme non rationnel.

Son système s’appuie sur quatre éléments :

  • une série de mesures anthropométriques,
  • un signalement descriptif pouvant être transmis à distance (on parle aussi de "portrait parlé"),
  • un signalement photographique,
  • le relevé de signes distinctifs (cicatrices, particularités physiques, etc.).

Les fiches sont ensuite classées selon certains critères, comme c’est le cas dans l’album DKV (sexe, taille, forme du nez). L’analyse biométrique de Bertillon, méthode rigoureuse de transcription des caractéristiques visuelles suivant un code linguistique préétabli, est tout à fait novatrice. C’est pourquoi elle est reconnue dès 1883 et ne tarde pas à se développer au-delà de nos frontières. En 1889, lors du congrès d’anthropométrie criminelle de Paris, le "système Bertillon" est adopté à l’unanimité et est largement diffusé auprès des polices internationales.

L’extension du bertillonnage à la surveillance civile

L’efficacité prouvée du bertillonnage a pour conséquence d’élargir son champ d’intervention initial et d’être appliqué à d’autres systèmes de surveillance, cette fois-ci civils.

Photographies noir et blanc d'un homme de face et de profil. Des annotations entourent les prises de vue.

Album photographique des individus qui doivent être l’objet d’une surveillance spéciale aux frontières, septembre 1894. Détail. Archives départementales du Pas-de-Calais, M 2024.

La loi du 16 juillet 1912 sur l’exercice des professions ambulantes et la réglementation de la circulation des nomades institue le carnet anthropométrique d’identité obligatoire pour une certaine catégorie de population. L’objectif principal est d’identifier les nomades en fixant sur le papier leur véritable état civil ou, au besoin, en leur en créant un. Tout nomade de plus de 13 ans doit obligatoirement faire viser son carnet individuel lors de son arrivée et de son départ dans une commune. De même, en vertu du décret du 16 février 1913, il doit se soumettre aux différentes mensurations et identifications photographiques consignées sur ces carnets : la hauteur de la taille, celle du buste, l’envergure, la longueur et la largeur de la tête, le diamètre bizygomatique (largeur du visage), la longueur de l’oreille droite, la longueur des doigts médius et auriculaires gauches, celles de la coudée gauche, celle du pied gauche, la couleur des yeux, les empreintes digitales et les deux photographies du porteur du carnet.

Les archives départementales du Pas-de-Calais conservent plusieurs carnets de ce type :

  • 4 Z 782 : surveillance des nomades, carnets anthropométriques (1923-1936),
  • 1 W 32372 : surveillance des nomades, carnets anthropométriques (1950-1970) (attention, les dossiers de moins de 50 ans ne sont pas consultables en raison des délais de communicabilité).

On peut également trouver des fiches anthropométriques dans les archives carcérales (par exemple maison d’arrêt d’Arras, fiches anthropométriques, lettres R et P – 1930-1933, 2 Y 1/7), mais à titre d’échantillonnage pour leur valeur historique.

Bien que marginalisant une partie de la population, les carnets anthropométriques sont aujourd’hui très appréciés des généalogistes ou des chercheurs. Car en plus de fournir de très riches renseignements sur l’identité et le parcours des individus, ils apportent une description physique très fidèle des personnes recherchées, matérialisée (ce qui est extrêmement rare dans les archives publiques) par une photographie d’identité.

Pour aller plus loin

  • M. KAMUSZYNSKI, Alphonse Bertillon, savant et policier. L’anthropométrie ou le début du fichage, mémoire de maîtrise, université de Paris VII, 1981 ;
  • H. L'HEUILLET, Basse politique, haute police. Une approche philosophique et historique de la police, Paris, Fayard, 2001, "L’identification", pp. 294-326.
  • P. PIAZZA, Le bertillonnage : violence et processus de rationalisation de l’État en matière d’identification sous la IIIe République, mémoire de DEA, université de Paris I, 1993 ;
  • M.-C. BLANC-CHALÉARD, C. DOUKI, N. DYONET, V. MILLIOT (éd.), Police et migrants. France 1667-1939, Rennes, Pur, 2001.

Webographie