La visite présidentielle est avant tout l’occasion de rencontrer la population française à travers des bains de foules, des réceptions et des discours que la presse s’attache à annoncer, puis à rapporter avec plus ou moins d’adhésion en fonction de la tendance politique du journal.
L’accueil du discours gaulliste
Galerie photos
Photographie du président de la République pendant son discours sur la Grand-Place de Béthune, le 25 septembre 1959. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 W 64311.
Le temps des rencontres
Dans chaque ville étape du cortège, il est toujours prévu un temps pour l’expression de la parole et du geste présidentiel. L’exercice reste cependant convenu et fortement contraint par la nécessité de respecter la programmation de la journée.
Le 25 septembre 1959, à 13 heures 20, le général de Gaulle monte sur le podium installé sur la Grand-Place de Béthune, pour prononcer un discours de dix minutes sur les devoirs de la France :
Nous ne croyons pas que soient inutiles certaines conversations d’hommes à hommes, comme celles que vous savez, mais nous savons que pour faire la paix il faut que les peuples s’en mêlent. La France est faite pour aider la compréhension des peuples, c’est sa vocation. Nous n’avons pas d’ambitions territoriales, ni à l’est ni à l’ouest. La France doit remplir trois devoirs : réaliser des progrès sur le plan économique ; en Algérie, les Algériens doivent avoir le libre choix de leur destin ; contribuer à l’établissement de la Paix dans le monde.
Photographie du président de la République saluant la foule sur la Grand-Place de Béthune, le 25 septembre 1959. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 W 64311.
Alors que près de 10 000 personnes viennent d’écouter le discours du général de Gaulle, ce dernier prend le temps d’aller saluer la foule avant de prendre son déjeuner dans l’hôtel du sous-préfet. C’est un moment particulièrement apprécié par la population.
Libre-Artois, 23 septembre 1959. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 W 25921.
Échos de la visite dans la presse
La presse se fait écho du voyage présidentiel en fonction de sa ligne éditoriale politique. Celle favorable au général s’attache particulièrement à attirer les foules en l’incitant à venir se masser le long du passage du cortège présidentiel, puis elle rend compte de l’accueil chaleureux de la population. De son côté, la presse d’opposition nourrit son lectorat des arguments à opposer à la politique gaulliste et souligne les difficultés du moment, à savoir la guerre d’Algérie, le pouvoir d’achat et la suppression de la retraite des anciens combattants.
Ici, le journal Libre-Artois du maire d’Arras Guy Mollet (SFIO) préfère rappeler la figure résistante et libératrice du général de Gaulle pour inciter la population d’Arras à pavoiser les rues.
Revue de presse du préfet, coupure de presse du journal Liberté du 24 septembre 1959. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 W 64311.
Alors que la presse favorable au président de la République s’attache particulièrement à publier des photographies illustrant l’accueil populaire et cordial qui lui est fait, celle d’opposition publie des textes dans lesquels elle expose ses griefs et ses revendications. Plus légèrement, dans cet article du périodique communiste Liberté, le journaliste s’amuse des consignes données par la municipalité de Lens sur le passage du cortège et va jusqu’à suggérer par un subtil procédé les slogans à inscrire sur les banderoles.
Transcription du document
À l’occasion de la visite à Lens du général de Gaulle
Ce qui est subversif et séditieux et… ce qui ne l’est pas.
En gaulliste convaincu et partisan acharné du "régime nouveau" de la 5e République, le docteur Schaffner [député-maire de Lens], invite les habitants à pavoiser leurs maisons sur le parcours suivi par la général-président. Mais se rendant sans doute compte que lesdits habitants auraient plutôt tendance à exprimer en mal qu’en bien leurs opinions sur la politique du… général… président.
Monsieur le député-maire SFIO-gaulliste donne connaissance des dispositions particulières prises à cette occasion :
- Il est interdit d’apposer sur les trottoirs et sur les chaussées tous tracts, affiches ou inscriptions de caractère séditieux ;
- De même qu’il est interdit d’exhiber des banderoles ou des pancartes présentant le même caractère subversif ;
- Ce qui sera toléré, et qui ne sera pas considéré comme "séditieux" ni "subversif", ce sera le seul mot d’ordre suivant : "Vive de Gaulle".
Non, cela le docteur Schaffner ne le dit pas, mais il le fait clairement comprendre. Par contre, ce qui serait "séditieux" et "subversif", ce serait par exemple des mots d’ordre tels que "Paix en Algérie. Négociation avec ceux contre qui on se bat" ; "Nous voulons des augmentations de salaires" ; "La retraite complémentaire" ; "Nous voulons le rétablissement de la retraite des anciens combattants" ; "Pas de subventions aux écoles privées, mais la construction de locaux scolaires pour l’école laïque, l’école de la République".
Nous citons quelques-uns des mots d’ordre qui pourraient être considérés comme séditieux ou subversifs, car dans son communiqué M. le député-maire ne donne aucune précision.
Mais ce qui est précis par contre c’est la mobilisation au "garde-à-vous" qu’il voudrait obtenir.
À cela nous répondrons que les ménagères qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts, les mineurs qui n’ont jamais subi une surexploitation aussi éhontée, les jeunes que l’on sacrifie dans une guerre contraire aux intérêts de la France, et tous les travailleurs et les petites gens qui subissent les effets néfastes de la politique gaulliste décadente, n’ont pas de leçon à recevoir de ceux qui se font les fossoyeurs de la France.
Le docteur Schaffner, quant à lui, ne tiendra pas de propos "séditieux", car la seule parole qu’il pourra prononcer ce sera : "Oui, mon général" ; il ne parlera pas des revendications des travailleurs, car alors il serait considéré comme un élément subversif, ou plutôt, pour un gaulliste "suspect".
Malgré tout, quelles que soient les mesures prises par les "services officiels" pour assurer à de Gaulle un accueil "chaleureux", cela ne masquera pas l’opposition grandissante à la politique gaulliste de misère et de guerre.
Et en définitive, ce seront les travailleurs, les républicains, les laïcs, qui auront le dernier mot.
La Voix du Nord du 25 septembre 1959, compte rendu du passage de De Gaulle à Lillers. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 W 25921.
En quelques mots, le journaliste retrace les étapes du parcours présidentiel à Lillers et décrit l’accueil enthousiaste de la foule.
Transcription du document
[Lillers a réservé un chaleureux accueil au général de Gaulle]
Le général de Gaulle était attendu à Lillers vers 16 h 30, mais le chaleureux accueil qu’il a reçu sur tout le parcours depuis Saint-Omer l’avait un peu retardé. Pendant une heure, le conseil municipal l’a attendu au milieu d’une foule nombreuse d’habitants de Lillers et des environs, qui s’était massée sur la place de la Mairie. Les représentants des diverses administrations, du personnel enseignant, de nombreux enfants des écoles et le conseil municipal, auquel s’était joint M. Toursel, conseiller général du canton, reçurent le président de la République par des applaudissements nourris et aux cris de "Vive De Gaulle".
M. Loubry, maire de Lillers, était encadré, avec les membres du conseil, par le drapeau de la Résistance, à droite, et par celui de l’amicale des S.O.R., à gauche.
Les cloches annoncèrent l’arrivée du cortège officiel et c’est avec la plus grande émotion que l’assistance vit s’avancer le général de Gaulle pour venir serrer la main, avec la grande simplicité qu’on lui connait, aux représentants de la municipalité et aux notabilités, pendant qu’un hélicoptère survolait la ville. Spontanément, le président de la République s’avança vers la foule et vers les enfants pour serrer de nombreuses mains. Sans entrer à l’hôtel de ville, le général de Gaulle s’adressa, du haut de la place, à toute la population pour la remercier chaleureusement de son accueil enthousiaste.
Ajoutons que le service d’ordre présidentiel fut impeccable et qu’il fut aidé par les services locaux de la police et de la gendarmerie, sous les ordres du commissaire Legros, du chef de brigade de Lillers et du capitaine Pinet, commandant la gendarmerie de Béthune.
Compte rendu de presse sur le passage à Lens, La Voix du Nord du 26 septembre 1959. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1424 W 184.
Parmi les photographies publiées par La Voix du Nord dans son édition locale du 26 septembre 1959, celle du discours du président de la République à Lens montre la population compacte venue écouter de Gaulle. Les images de la foule réunie sont utilisées abondamment pour témoigner du succès populaire de la visite présidentielle.
