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Aux urnes citoyennes !

"Quand les femm’s vot’ront" : composée sur un air de Jules Vercolier, à l’origine pour des paroles de Roland Gaël ("Quand les papillons", 1912), cette chanson est extraite du livret de la revue en deux actes de Paul Piquet On repique… !, jouée à l’occasion de la foire de printemps de Saint-Omer en 1923 ; elle confirme (avec un humour assurément daté) l’état d’esprit des Français sur l’opportunité d’octroyer un jour le droit de vote aux femmes. Un regard caractéristique des mentalités de l’entre-deux-guerres, qui éclaire autant sur la longueur que sur l’intensité des débats avant que ce projet civique ne voit le jour en avril 1944.

Prise de conscience au lendemain de la seconde guerre mondiale

Il a fallu en effet attendre un mouvement d’émancipation mondial, la reconnaissance du rôle actif joué par les femmes dans la vie sociale durant la Seconde Guerre mondiale et les soubresauts de la Libération de 1945, pour que les Françaises obtiennent enfin les mêmes droits électoraux que les hommes.

Pendant l’Occupation, de nombreuses femmes avaient rejoint les rangs de la Résistance, d’autres avaient soigné les blessés de guerre dans les hôpitaux de campagne ou remplacé aux champs et dans les usines les hommes partis au combat. On entend ainsi sur les ondes de Radio-Londres le 16 décembre 1943 Maurice Schumann faire écho aux déclarations du général de Gaulle : Si, dans la dernière guerre, la femme a donné des centaines d’héroïnes à la liberté, pour la première fois, dans cette guerre, elle lui a donné des centaines de milliers de combattantes… La délivrance de la patrie entraînera l’émancipation de la Française… .

C’est bien cet engagement qui conduit la France libre à reconnaître l’égalité économique et politique des sexes, et à ratifier l’ordonnance prise par le Gouvernement provisoire à Alger le 21 avril 1944, mentionnant que les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes .

Première participation aux élections de 1945

Après de longues années de combats contre les préjugés et l’injustice, les élections municipales du 29 avril 1945 donnent l’occasion aux Françaises de voter pour la première fois de leur histoire. Quelques mois plus tard, en octobre 1945, trente-trois femmes font leur entrée comme députées à l’Assemblée nationale.

Texte dactylographié sur lequel on lit "Quand les femm’s vot’ront. Quand les femm’s vot’ront, la chose est courue, c’est pour ell’s mêm’s qu’on les verra voter, à tout’s les fonctions ell’s seront élues, les homm’s n’auront plus qu’à s’carapatter, ell’s remplaceront les Parlementaire, la Chambre d’viendra l’Armée du chahut, les ex-sénateurs désirant leur plaire en spectateurs viendront voir leur raffut. Refrain. Quand les députés seront des d’moiselles, on verra Monsieur d’Lamarzelle porter galamment au Bourbon des paquets d’bonbons pour s’faire aimer d’elles. Quand les femm’s vot’ront, Monsieur Alexandre s’ra blackboulé au Conseil général, donjon d’Saint-Martin n’aura plus qu’à s’pendre, pour Brémart ça s’ra l’bonheur sans égal ; Martel et Tilli’ s’ront aussi d’la danse, mais l’maire d’Audruicq, je vous le prédis, près des électric’s aura quelques chances. On sait qu’il est « Boo », son nom nous le dit. Refrain. Délaissant l’jupon, Dam’s et demoiselles port’ront culottes et bretelles : d’Saint-Martin-au-Laërt le mair’ si mignon s’ra l’ seul « Cotillon » trouvant grâc’ près d’elles. Quand les femm’s vot’ront pour élire un maire ell’s balanceront Ehrold et Nimier, mais Albert Tourneur qui est célibataire aura les voix des d’moisell’s à marier : car même dans l’ardeur de la politique les femm’s n’oubli’ront jamais Cupidon, les baisers d’amour, leur douce musique, qu’ell’s soient vieux laid’rons ou gentils tendrons. Refrain. Quand maire et adjoints seront des d’moiselles, monsieur Mariag’ sera fou d’elles, et pour justifier à jamais son nom il f’ra l’ grand plongeon près d’un’ jouvencelle".

"Quand les femm’s vot’ront", dans Paul PIQUET, On repique...! Revue en 2 actes de Paul Piquet jouée à la foire de printemps 1923, Saint-Omer, imprimerie Joly-Thuilliez, 1923. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 689/10. Comme toute chanson de circonstance, « Quand les femm’s vot’ront » contient de nombreuses allusions aux personnalités politiques du moment, élus locaux de l’arrondissement sans doute choisis, il est vrai, pour la seule consonance de leur nom : le docteur Alcide Alexandre est maire d’Arques et conseiller général de Saint-Omer sud, tandis que Gabriel-Henri Donjon de Saint-Martin est maire de Louches et conseiller général d’Ardres (en conflit avec l’un de ses prédécesseurs, Paul Brémart) ; Félix Martel représente le canton de Lumbres tout en étant maire d’Esquerdes ; Louis Boo est maire et conseiller général d’Audruicq et René Cotillon maire de Saint-Martin-au-Laërt ; autour du maire de Saint-Omer, Albert Tourneur, figurent ses deux adjoints Édouard Nimier et Julien Erhold, mais aussi les conseillers municipaux Xavier-Louis Mariage et Joseph Tillie, par ailleurs conseiller général de Saint-Omer nord.

Si l’on regrette encore aujourd’hui que ce droit de vote ait été reconnu assez tardivement en France alors que d’autres pays, dont certains moins développés, l’avaient déjà accordé, il représente néanmoins un pas gigantesque vers l’égalité citoyenne entre les hommes et les femmes.

Julie Darras

Julie Darras en est un exemple frappant pour le Pas-de-Calais. Née le 13 avril 1910 à Courcelles-lès-Lens dans une famille de mineurs et de syndicalistes (son père, Henri Darras, a été maire communiste de Noyelles-Godault de mars 1932 à mai 1935), elle entre tôt à l’usine, comme ouvrière dans le textile. Sa conduite pendant la seconde guerre lui vaut la croix de combattant volontaire de la Résistance. Membre des Francs-tireurs et partisans, elle est arrêtée en 1942 et emprisonnée durant deux ans à Béthune puis à Douai ; elle devient à sa sortie en février 1944 responsable des comités féminins clandestins.

Elle siège au comité départemental de Libération du Pas-de-Calais, puis est adjointe au maire d’Avion à partir du 20 mai 1945 et responsable départementale de l’Union des femmes françaises. Elle figure en quatrième position sur la liste communiste présentée lors des élections de l’Assemblée nationale constituante du 21 octobre 1945, dans la deuxième circonscription du Pas-de-Calais, mais n’est pas élue. Elle est à nouveau battue aux élections des 2 juin et 10 novembre 1946 ; par suite de la démission au profit du Conseil de la République du maire d’Hénin-Liétard, Nestor Calonne, le 23 décembre, elle le remplace à l’Assemblée nationale à partir du 28 janvier 1947 : elle est ainsi la première femme députée du Pas-de-Calais.

Très active sur les questions de ravitaillement, de sécurité sociale et sur la situation féminine, elle intervient aussi lors des manifestations et des grèves dans les bassins miniers, et suit les orientations du groupe communiste. Elle ne se représente pas aux élections suivantes, et meurt à Lagny-sur-Marne, le 30 décembre 2001.

Bibliographie 

  • "Les femmes et le pouvoir", dossier coordonné par C. BARD, Histoire@Politique. Revue électronique du Centre d’histoire de Sciences Po 1, mai-juin 2007
  • "La citoyenneté politique des femmes", dossier sur le site de l'Assemblée nationale
  • A.-S. BOUGLÉ-MOALIC, Le vote des Françaises. Cent ans de débats, 1848-1944, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012
  • "Julie Darras", notice biographique extraite du Dictionnaire des parlementaires français de 1940 à 1958
  • G. DERMENJIAN, I. JAMI, A. ROUQUIER, F. THÉBAUD, La place des femmes dans l’histoire. Une histoire mixte, Paris, Belin, novembre 2010
  • F. FATOUX, Les élections municipales à Arras (Pas-de-Calais) de 1945 à 1971, maîtrise d’histoire contemporaine, Université de Lille 3, 1974. Archives départementales du Pas-de-Calais, MS 260
  • J. MOSSUZ-LAVAU, "Le vote des femmes en France (1945-1993)", Revue française de science politique, vol. 43,  4, 1993, p. 673-689