Le vendredi 6 août 1926, à 21 heures 33, l’américaine Gertrude Caroline Ederle est la première femme à traverser la Manche à la nage.
Record du monde
Elle réalise un exploit entre le cap Gris-Nez (Pas-de-Calais) et Kingsdown, près de Deal dans le Kent, en 14 heures et 32 minutes. Elle bat ce jour-là, de près de deux heures, le record réalisé par l’Argentin Sebastian Tiraboschi le 12 août 1923, et accomplit l’un des plus formidables exploits sportifs de l’après-guerre. Elle conservera son record féminin pendant vingt-cinq ans, jusqu’à ce que Florence Chadwick traverse la Manche en 1950, en 13 heures et 23 minutes.
La traversée de 1926 est sa seconde tentative dans la Manche. Une première expérience, le 18 août 1925, s’était soldée par un échec : entraînée par la Française Jane Sion, la Britannique Harrisson, l’Égyptien Helmi et le Suisse Denneville, Gertrude Ederle nage pendant neuf heures avant d’abandonner.
Une préparation minutieuse
En 1926, elle s’est entourée d’une équipe solide et d’une logistique médiatique importante. Les Américains se sont adressés aux meilleurs spécialistes : Joe Costa, déjà organisateur matériel de plusieurs traversées, et Thomas William Burgess, alors âgé de 53 ans, qui n’est autre que le deuxième homme à avoir vaincu la Manche à la nage, le 6 juillet 1911, en 22 heures.
La traversée est retransmise par radio en temps réel, mais est aussi suivie par une équipe de cinéma de la société Marconi et par un second navire, affrété par Gaumont. Gertrude Edele est ainsi l’une des premières sportives à bénéficier d’une telle présence médiatique à ses côtés.
Elle arrive surtout au Cap Gris-Nez riche des expériences des précédents nageurs, notamment de Sebastian Tiraboschi. Sa performance de 1923 a marqué un véritable tournant dans l’histoire de la traversée, car elle découlait d’une étude minutieuse du détroit : il avait à l’époque étudié des heures durant les courants marins, avec l’aide d’un spécialiste ; la connaissance de la Manche devient ainsi aussi importante que la résistance physique du nageur.
Une traversée houleuse
Le 6 août, les conditions sont jugées favorables. À 5h, dans un garage adjacent à l’hôtel et avant d’enfiler son maillot de bain, Gertrude Ederle est enduite d’une couche d’huile d’olive puis de trois couches de graisse, mélange de vaseline et de lanoline. C’est devant un public venu en nombre assister à l’aventure que Burgess lui applique la dernière couche sur la plage, avant le départ à 7h05.
La traversée se déroule dans des conditions assez difficiles, la presse américaine insistant sur le mauvais temps que rencontre la nageuse vers 18 heures. Le détroit est agité par des vagues d’un mètre à un mètre cinquante, et la pluie rend les conditions encore plus pénibles. Il est impossible de tenir debout sur le pont des bateaux d’escorte, les nageurs qui s’étaient jetés à l’eau pour supporter la jeune femme sont obligés de regagner le bord. À 20h30, elle n’est plus qu’à 2 miles de la terre, mais la marée l’entraîne au large. À 21h00, elle se trouve devant Kingsdown. Redoublant d’efforts, elle touche terre à 21h33.
Polémique
Les presses anglaise et française ont très vite mis en cause sa victoire, suspectant les bateaux d’escorte puis l’équipe de bord, polémiquant autour d’une corde qui aurait pu traîner la nageuse…
Beaucoup de marathoniens de la Manche ont été victimes de telles contestations, y compris Matthew Webb, le premier homme à avoir traversé la Manche à la nage, le 25 août 1875, en 21 heures et 45 minutes. Celles qui ont touché Gertrude Ederle, une Américaine d’origine allemande, ont eu une portée plus grande car, dans un contexte d’après-guerre, la rivalité sportive a pris une dimension nationale et idéologique.
Après son exploit de 1926, Gertrude Ederle donne des exhibitions de crawl en aquarium lors d’une tournée dans l’ensemble des États-Unis, collabore un temps au cinéma et se consacre essentiellement à l’enseignement de la natation pour les sourds, dont elle partage le handicap.
Blessée à la colonne vertébrale en 1933, elle vit enfermée dans un corset durant quatre ans. Elle meurt, à 97 ans, le 30 novembre 2003 dans le New Jersey.