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Le tunnel sous la Manche

Abandonné depuis un quart de siècle, le projet de tunnel sous la Manche n’est pas complètement oublié et fait l’objet de relances régulières. C’est ce que rappelle cet article, inspiré d’une recension par Charles Leboucq (Cambrai, 1868-Nice, 1959), publiciste collaborateur du Journal, mais aussi du Rappel et de La France, député radical de la Seine de 1906 à 1928.

Quelques jours après, le 31 juillet 1914, au Havre, la séance générale du 43e Congrès de l’association française pour l’avancement des sciences, tenue conjointement avec la British Association, traitera à son tour de la question du tunnel sous la Manche.

On vient de donner à Londres un banquet auquel un certain nombre de parlementaires anglais invitaient quelques-uns de leurs collègues français.
Le but en était un entretien sur la question du tunnel sous la Manche et M. Charles Leboucq, député de Paris qui parle de cela dans un article du Journal, espère voir les dernières difficultés se dissiper sous l’influence de l’opiniâtreté dont témoignent sans trêve les partisans résolus du tunnel.

M. Charles Leboucq rappelle qu’il y a près d’un an, exactement le 5 août 1913, une délégation de quinze membres du parlement britannique, de ceux pour lesquels la question de la réalisation du tunnel est primordiale, était allée trouver M. Asquith et M. Arthur Fell, lui exposant, au nom de cette délégation, les deux faits qui, suivant son expression, avaient métamorphosé la position de splendide isolement de l’Angleterre : l’inouï développement de l’aviation et l’entente cordiale.

Les craintes de Lord Wolseley – ajoutait-il – qui considérait naguère le tunnel comme devant être une arme pour la France – semblent à cette heure un peu puériles. Aujourd’hui la Manche unit plus qu’elle ne sépare deux peuples réciproquement conquis à une amitié qui dure depuis dix ans .
Et à cela, M. Asquith, abondant dans ce sens, répondit : Il n’y a d’autres facteurs modernes tels que les nouveaux modes de combat naval et militaire et la question de temps .

Et le signataire de l’article s’empresse de se réjouir : si le personnel gouvernemental anglais est lui-même – écrit-il – gagné à la cause du tunnel, on peut dire que l’ouverture n’est plus qu’une question de temps .

Ce consentement implicite, émanant de la personne la plus qualifiée pour parler officiellement, en Angleterre, de cette si intéressante question, dissipe le souvenir pesant des objections qu’avaient dressées jadis contre le projet, certains cabinets, comme ceux de Gladstone et de Lord Derby, et la grande presse, volontiers conservatrice, le Times, le Daily News, le Saturday-Review.

Le tunnel, tôt ou tard – c ’est évidemment là une façon de parler puisque nous sommes au seul point de vue de réalisation en présence d’un travail qui durera plusieurs années, quelle que soit l’activité apportée de part et d’autre simultanément – tôt ou tard le tunnel – disons nous – sera donc percé parce que c’est l’intérêt des deux peuples voisins qui l’exige, qui l’ordonne.

Il restera toutefois entendu qu’il sera permis à chacun des deux gouvernements et quand il le jugera convenable, dans l’intérêt de son pays :

  1. de suspendre l’exploitation du chemin de fer sous-marin et les passages à travers les tunnels ;
  2. d’endommager ou de détruire en totalité ou en partie les travaux du tunnel et du chemin de fer sous-marin ;
  3. de noyer au besoin le tunnel.

C’est rigoureux et définitif !
Toutes les précautions – conclut M. Charles Leboucq – semblent être ainsi prises, les scrupules de part et d’autre être plus sérieusement ménagés .

Et les conséquences commerciales et économiques du percement du tunnel ? Elles seront infiniment importantes, on le sait, pour l’Angleterre aussi bien que pour la France, car elles sont les résultantes directes et obligées d’une amélioration dans la rapidité et la commodité des moyens de transport – des gens et marchandises d’un pays à l’autre – les relations franco-anglaises doubleront et tripleront même leur importance actuelle.
En se plaçant maintenant au point de vue de l’Entente cordiale, le tunnel permettra à l’un ou l’autre des deux peuples amis de se porter au secours du voisin au cas où on l’attaquerait.
Enfin, le mal de mer serait supprimé pour les cœurs fragiles !

Au point de vue technique, le problème se pose à coup sûr, difficultueux.
M. Sartiaux, qui a fait un article à ce sujet, dans la Revue des deux mondes, en parle comme d’un travail tel qu’il ne s’en est encore jamais vu de pareil, et qui ménagera sans doute des surprises.
Travail plus facile – écrit-il – parce que le terrain à traverser, si le tracé est bien établi, sera percé avec une grande tarière, comme on perce le bois avec un vilbrequin ; plus difficile, parce qu’il s’agit d’un tunnel d’une longueur de plus de cinquante kilomètres, fait sans précédent, et, surtout, parce qu’il faudra cheminer dans la bonne couche à la hauteur la plus convenable, c’est-à-dire dans le tiers inférieur .

Et M. Leboucq, qui se promet de revenir sur le côté technique de la question, termine cette phrase que nous avons trouvée tout à fait dans la note :
Quoi de plus noble au surplus que de travailler à resserrer les liens entre peuples, et de remuer des activités, des forces, des engins, dans un dessein de concorde, par hasard, en haine des destructions fraticides ?

Nous sommes entièrement de son avis.

Le Mémorial artésien. Journal républicain quotidien. Politique, littéraire et agricole, 11 juillet 1914.