L'afflux massif d'exilés provoque, dès les premiers mois de la guerre, de réelles difficultés logistiques en termes de gestion d'accueil de ces réfugiés dans les villes. S'ajoutent à cela des problèmes de rationnement de la population et des exilés.
Les premiers convois d’exilés commencent début août 1914 avec l’évacuation de Maubeuge. Ce mouvement est bientôt suivi de la fuite des civils belges lors de l’invasion : 300 000 personnes convergent alors vers la France, et plus d’un million vers les Pays-Bas.
À partir du 20 août, la vision des longs convois de réfugiés belges provoque une vague de panique chez les habitants du Nord qui prennent à leur tour le chemin de l’exil, cherchant à atteindre le littoral ou Paris. Bien souvent, la fuite des administrations incite les habitants à les imiter. Mais c’est surtout le récit des atrocités commises par les Allemands qui pousse les familles à tout quitter.
Début octobre, une deuxième vague d’exode se produit, conséquence de l’avancée allemande dans la " course à la mer". Face au peu de trains disponibles pour les civils, on voit se multiplier le long des routes d’interminables défilés d’exilés, parfois au plus près des zones de combats.
La logistique d’un tel mouvement de population est complexe, d’autant que de nombreuses routes sont fermées. Le 18 octobre 1914, le préfet dresse un constat alarmant au ministre de l’Intérieur :
Rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 18 octobre 1914
État des lieux dramatique
Permettez-moi de vous exposer la navrante détresse des populations qui ont dû abandonner leurs demeures incendiées ou en ruines et qui vont de commune en commune, couchant dans les fossés, n’ayant d’autre nourriture que celle que les soldats partagent avec elles, d’autres vêtements que ceux qu’elles ont pu revêtir dans leur fuite hâtive. Déjà, il m’est revenu que des enfants ont été trouvés morts en plein champ, au pied de meules de paille où le froid et la faim les avaient saisis.
Je me suis efforcé, autant que je l’ai pu, d’arrêter cet exode ; mais l’incendie et la mitraille ont été plus forts que mes exhortations.
Organisation de l’exode
Privé depuis dix jours de moyens de communication avec une grande partie du Département, dans l’impossibilité matérielle de faire parvenir à ces misérables cheminant le long des routes encombrées le moindre morceau de pain, j’ai informé l’autorité militaire de cette situation pitoyable en la priant d’y remédier ; mais je ne m’illusionne pas : quelle que soit sa bonne volonté, elle ne sera pas en mesure de soulager toutes les infortunes errantes : le Pas-de-Calais dont une importante région forme actuellement le front de bataille, dont l’autre donne asile à de nombreux mobilisables et réfugiés venus des contrées envahies tant du Département que de celui du Nord, ne peut conserver plus longtemps la foule des malheureux qui s’y accroît chaque jour.
Ne serait-il pas possible, Monsieur le Ministre, de former des trains d’évacuation vers le Centre de la France où seraient recueillis tout au moins les vieillards, femmes et enfants des communes occupées par l’ennemi et qui traînent lamentablement leur misère ? Il resterait encore trop de pauvres gens dont il faudrait assurer l’existence.
Ces flux migratoires provoquent également des difficultés de rationnement. Le préfet ne parvient pas à nourrir tout le monde et il presse le ministre de mettre en place une logistique en conséquence :
Rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 18 octobre 1914
Organisation du ravitaillement
J’ai dû me borner jusqu’ici à pourvoir à l’alimentation de la population indigente d’Arras et des étrangers qui s’y étaient réfugiés, les approvisionnements de la ville, limitée à quelques jours, ne permettant pas de prélever sur eux ce qui pouvait être nécessaire aux habitants des communes voisines avec lesquelles, d’ailleurs, j’étais dans l’impossibilité de communiquer. L’Intendance de la Ière Région m’a expédié à cet effet plusieurs wagons de pain ; j’ai pu hier en faire parvenir dans un village qui, depuis plusieurs jours, en était totalement dépourvu ; je m’efforcerai demain de répondre à d’autres besoins très pressants.
Mais, ainsi que j’ai eu l’honneur de le signaler à Monsieur le Général, Directeur des Service de l’Arrière, il est indispensable que, tant que durera leur situation critique, les arrondissements d’Arras, de Béthune et de Saint-Pol, soient ravitaillés par les soins de ses services, l’interdiction de la circulation sur le front des armées y rendant impossible toute espèce de transport civil. Je vous serais obligé de vouloir bien, Monsieur le Ministre, insister pour que l’aide que j’ai sollicitée nous soit donnée dans toute la mesure compatible avec les exigences militaires.
[…]
Archives départementales du Pas-de-Calais, M 5569.