Enterrés vivants
L'Odyssée de deux sapeurs d'Artois
Nous recevons l’intéressant récit suivant dit le Temps.
Le 30 octobre, en Artois, dans la région du Labyrinthe, un fourneau de mine allemand faisait explosion entre les deux lignes, obstruant une sape souterraine que nous étions parvenus à conduire depuis nos tranchées jusqu’au-delà de la tranchée allemande.
À ce moment, deux sapeurs mineurs bretons, Mauduit et Cadoret, travaillaient en tête de la galerie, à 28 mètres de l’entrée.
Après une forte commotion, accompagnée d’une lueur aveuglante, ils purent constater, leur bougie brûlant encore, que l’extrémité de la galerie dans laquelle ils se trouvaient emmurés, leur laissait 2 m 50 pour se mouvoir, Mauduit remarqua que sa montre venait de s’arrêter à 9 h 55.
Travail de taupes
Ils entreprirent immédiatement de revenir à la sape en déblayant la partie comblée de la sape.
Faisant repasser la terre derrière eux et la tassant pour conserver le même espace, ils avancèrent quelque peu. Mais la terre, resserrée par la pression de l’explosion, devenait de plus en plus dure à creuser, et sentant qu’ils avaient de plus en plus de peine à respirer, ils pensèrent qu’ils pourraient se dégager plus facilement en s’élevant obliquement dans le sol, côté de la ligne française.
La percée était ainsi plus longue, moins aisée que ne l’eût été une percée verticale vers le fond de la tranchée ennemie, mais il ne leur vint même pas à l’esprit de songer à sauver leur vie s’ils devaient, à ce prix, rester aux mains des Allemands.
Dans les ténèbres
L’air respirable fut bientôt tellement raréfié que leur bougie s’éteignit et que les allumettes ne brûlaient plus. Dans l’obscurité complète, ils entreprirent donc de percer une cheminée oblique vers la surface du sol en s’élevant peu à peu et en se faisant dans la cheminée la courte échelle, le travailleur monte à pieds joints sur le dos de son camarade à genoux.
Ils s’encouragent l’un l’autre, se chantant à demi-voix des chansons bretonnes.
Après de longues heures, quelques fissures du sol semblent leur apporter un peu d’air et calmer leurs poumons qui étouffent.
L’apparition d’un ver luisant semble leur annoncer la proximité de la surface. Un coup de pelle perce, en effet, bientôt une ouverture par laquelle l’air arrive et où ils aperçoivent quelques étoiles dans le ciel.
On était en pleine nuit du 30 au 31.
Sans perdre leur sang froid, ils s’arrêtent et écoutent.
Tout est à recommencer
Ils perçoivent bientôt qu’à proximité, on parle en langue allemande. L’un après l’autre, ils observent en silence.
Un créneau est à la portée de leur bras : c’est celui d’une tranchée ennemie.
Leur parti est immédiatement pris. Ils rentrent dans le sol et commencent une nouvelle sape horizontale dans la direction opposée au créneau allemand où ils supposent que se trouve la ligne française.
Ils font, au fur et à mesure, passer la terre dans l’espace libre de deux mètres qu’ils ont derrière eux et qui v a se rétrécissant peu à peu.
Tantôt se reposant pour prendre des forces, tantôt travaillant avec ardeur, c’est à la deuxième nuit seulement, celle du 31 au 1er novembre, que leur cheminement débouche dans le large entonnoir (quinze mètres de diamètre) que la mine allemande a creusé entre les deux lignes.
En plein air !
Mais la nuit est très claire, la lune s’est levée. S’ils se hasardent dans cette clarté à traverser l’entonnoir, ils ont toute chance d’être tués par amis ou ennemis. Ils décident donc d’attendre l’obscurité de la nuit suivante.
Leurs vêtements sont en lambeaux ; ils les rajustent en enroulant autour d’eux leurs bandes molletières.
Voici plus de deux jours qu’ils n’ont rien eu à manger ou à boire.
Pendant tout le cours de la journée, les grenades viennent explorer près de l’orifice de leur sape. Nos grosses bombes, tombant à quelques mètres derrière eux dans la tranchée allemande, provoquent des cris, des hurlements, des râles, des mouvements précipités de l’ennemi.
À bout de forces, ils sucent quelques racines, cherchant par une rigole à recueillir un peu d’eau de pluie pour se désaltérer.
À la troisième nuit enfin, le 1er Novembre, à 23 heures, en rampant sur les lèvres de l’entonnoir, Mauduit arrive près du guetteur français.
Dans la tranchée française
Rudement happe par la gorge, il peut cependant se faire reconnaître. Tandis que Cadoret qui le suit, perdant l’équilibre, a roulé au fond de l’entonnoir et reçoit les coups de feu des Allemands mis en éveil par le bruit. Mais, rapidement aidé par le bras de son camarade, il parvient heureusement sain et sauf à escalader le bourrelet et à tomber dans la ligne française, où tous deux sont embrassés par nos grenadiers et restaurés avec le meilleur de leurs provisions.
En réponse aux félicitations dont ils sont l’objet, ils déclarent simplement : "La prochaine fois que cela nous arrivera, nous saurons mieux nous y prendre pour revenir plus vite."
Les sapeurs Mauduit et Cadoret ont reçu la médaille militaire.