Dresser une liste exhaustive des blessures qu’ont connues les soldats durant la Première Guerre mondiale est presque impossible, tant le conflit a atteint un seuil d’inhumanité jusqu’à présent inégalé. Les connaissances médicales sont encore trop superficielles, face aux obus ou aux gaz : pour y répondre, la médecine va progresser, de manière inattendue parfois.
On notera, entre autres, une nette amélioration des prothèses, conçues en métal alors qu'elles l’étaient auparavant en bois, et qui permettent de remplacer une jambe, un bras, une main, ou de masquer une déformation, pour les gueules cassées…
Philippe Cauët, un mécanicien originaire d’Albert installé à Tournai, s’est trouvé brutalement confronté aux dommages corporels dus aux combats d’août 1914. Réformé, il s’engage comme chauffeur dans l’armée belge et est attaché à l’hôpital de passage établi à Calais. C’est dans ce cadre qu’il se lance dans l’invention et le perfectionnement d’une main artificielle en cuivre nickelé, qui présente de réels avantages sur les modèles américains existants et qui va bénéficier du visa de la Commission de prothèse officielle et de l’Académie des sciences.
La main artificielle
L’épouvantable fléau qui ensanglante l’Europe entière a donné à une foule d’œuvres humanitaires l’occasion d’éclore et de prouver la générosité et la compassion naturelles des cœurs français.
Nombreux sont les inventeurs qui se sont ingéniés de diverses façons soit à protéger nos soldats, soit à alléger leurs maux.
Parmi ceux-ci vient de se distinguer un mécanicien originaire d’Albert dans la Somme, actuellement en résidence à Calais : M. Philippe Cauët.
M. Cauët habitait en Belgique à Tournai lors de la déclaration de guerre. Au cours d’une bataille qui se livra autour de cette ville un de ses amis, un commerçant, fut grièvement blessé à l’avant-bras, si bien qu’on dut l’amputer de la main et de l’avant-bras droit.
M. Cauët qui avait assisté à l’opération eut alors l’idée de rendre, au glorieux mutilé, l’usage du membre perdu et après de patientes recherches, parvint à confectionner une main artificielle qui reproduisait déjà un certain nombre de mouvements naturels.
L’inventeur soumit son appareil au gouvernement français et l’expérimenta devant des délégués et un des administrateurs du "Matin" sur un amputé du bras droit.
La Commission ne ménagea point ses félicitations à M. Cauët et l’encouragea à persévérer dans son œuvre humanitaire.
C’est ce qu’il fit.
Ses nombreux efforts viennent enfin d’être couronnés de succès. Une main faite en cuivre nickelé, d’un poids de 450 gr., a été construite par ses soins et c’est cet appareil que M. Cauët soumettra à nouveau prochainement à la Commission de l’Armée.
La main artificielle nouvellement construite présente de réels perfectionnements sur les modèles américains existants.
Toutes articulations jouent librement et indépendamment les unes des autres.
Elle peut être posée sur un bras qui aurait été amputé même très haut.
Elle fonctionne sans le secours d’aucune autre partie du corps.
L’appareil a rendu officiellement 65 % des mouvements naturels.
Si cette main perfectionnée est définitivement adoptée par le gouvernement français, c’est environ 50 000 mutilés qui retrouveront le membre perdu.
Le gouvernement belge vient de nommer un délégué pour faire un rapport sur l’invention.
Franc PARLEUR
La France du Nord, samedi 13 novembre 1915. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/93.