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Le gala des Rosati à Calais

Document monochrome montrant trois bustes d'hommes dénommés Chapelle, Lafontaine et Chaulieu, dans un bosquet fleuri, en dessous desquels est représentée une table dressée de fleurs, bouteilles et verres.

Berceau des Roses. Société des Rosati d'Arras, 1778-1788. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 481/38.

Malgré la guerre, et au grand dam de certains patriotes pour qui il est de mauvais goût de s’amuser pendant que les soldats se battent au front, les Calaisiens n’oublient pas d’aller au théâtre.
Le divertissement se double habituellement d’une intention charitable, mais aussi bienveillante pour les artistes que la guerre n’a pas épargnés. On retrouve donc au théâtre municipal de Calais la société des Rosati, société littéraire et poétique née à Arras en juin 1778, qui perpétue son attachement à l’art et à la connaissance en organisant avec sa jeune société des "Rosati Calaisiens" un gala au profit des prisonniers.

On distingue dans la foule plusieurs notables locaux et représentants des armées alliées, venus à la découverte d’œuvres créées ou interprétées par des artistes tels que Robert de Flers, Francis de Croisset ou encore Alexandre Georges.

Calais. Le Gala des Rosati

La solennité artistique et littéraire organisée dimanche au Grand Théâtre au profit des prisonniers de guerre par la jeune société des "Rosati Calaisiens" avait attiré salle archi comble.

Elle a ainsi obtenu un triple résultat.

Elle a posé sur un excellent pied la Société des Rosati, qui est une œuvre excellente en elle-même ; elle a fait passer quelques moments particulièrement agréables aux amis des lettres, aux fervents du grand art et enfin permis de réaliser une somme importante dans un but essentiellement humanitaire et patriotique.

De combien d’organisations du même genre en pourrait-on dire autant ?

Parmi la foule énorme qui se pressait au théâtre toutes les notabilités, les fonctionnaires ainsi que les armées alliées de terre et de mer étaient brillamment représentées.

Dans l’avant scène de gauche se tenait M. le Général Ditte, gouverneur de Calais, ayant à ses côtés M. le général Clooten, commandant supérieur de la base belge de Calais, MM. les généraux Martin et Petit de Thozé, de l’armée belge : M. le colonel Micholson, commandant la base anglaise.

On remarquait également au nombre des officiers M. le colonel Amiot, M. le colonel Sadi-Carnot, fils du regretté président de la République ; M. le colonel Chauvet représentant le général Eydoux, gouverneur de Dunkerque.

On notait encore dans l’assistance M. Robert de Flers, directeur du "Figaro" auteur de tant de fines comédies applaudies pour la plupart en ce même grand théâtre, M. Francis de Croisset, auteur dramatique et officier de l’État-Major de Calais ; Alexandre Georges, le compositeur bien connu, auteur de "Charlotte Corday" et des "Chansons de Miarka", M. Béquignon, inspecteur départemental, etc., etc

Tous les artistes annoncés, chose rare, avaient scrupuleusement tenu leur promesse si bien que le programme qui, lors des premières annonces, avait semblé quelque peu prétentieux a été suivi de point en point.

On se souviendra longtemps à Calais de cette superbe matinée.

Après l’exécution comme ouverture des hymnes nationaux français, belge et anglais par l’excellente musique du … territoriale, écoutés debout par la salle entière on eut le régal intellectuel de la présentation des Rosati faite en style aussi élevé que poétique par le distingué président de la nouvelle société M. Millequant.

La même musique ouvrait la seconde partie, avec un sémillant allegro "Le Rêve passe" et une belle fantaisie sur "Hérodiale" qui soulevèrent d’unanimes applaudissements.

La place nous manque pour nous étendre comme nous le voudrions sur le compte des éminents artistes que les "Rosati" avaient eu la bonne fortune de pouvoir grouper pour la circonstance ; contentons nous de dire qu’ils se sont tous montrés à la hauteur de leur grande réputation.

M. Devriès, le suggestif artiste de l’Opéra Comique a chanté avec sa maestria, son style et son charme séducteur habituels le "Rêve de Manon", le lamento de la "Tosca" en français et en italien, la chanson de "Fortunio" et le Rhin allemand.

Une nouvelle ovation fut faite au grand artiste après chacun de ces morceaux.

Galipaux se chargea de donner la note fantaisiste et spirituellement enjouée dans plusieurs œuvres dont il est l’auteur et qui furent toutes également l’objet des plus chaleureux bravos.

Mlle Madeleine Roch s’éleva aux derniers degrés du pathétique avec une composition de M. F. du Croisset : À la gloire d’un héros belge, En avant, de Déroulède, la Mort des Loups, de M. Millequant et enfin avec les strophes enflammées de la Marseillaise qui valurent à la brillante tragédienne l’accueil enthousiaste qu’elle soulève au Théâtre Français et dans toutes les solennités parisiennes où elle interprète notre hymne national.

Mme Réjane fut acclamée dans le Carillon, une œuvre anglaise à la glorification de la Belgique martyre, mais aussi grande dans l’espoir des revanches futures que dans le sacrifice.

N’oublions pas le jeune boy-scout de 13 ans Robert Blindenbergh qui, précoce émule de Galipaux, interpréta ses propres œuvres avec une verve et un aplomb impayables. Son succès a dépassé toute limite.

Dans la partie instrumentale, également bien représentée, on n’a pas marchandé les ovations à M. Maynien, qui, après avoir donné comme soliste un large échantillon de son beau talent de harpiste, interpréta un duo avec M. Denoyer, le distingué violoniste dont le succès dépassa toute limite dans la Méditation de Thaïs.

Enfin, le quatuor habilement dirigé par M. Julien Dupuis, le chef d’orchestre si apprécié à Calais, compléta le magnifique programme de cette fête artistique et littéraire, dont on s’entretiendra longtemps et qui prouva que pour leur coup d’essai les Rosati avaient voulu un coup de maître.

La France du Nord, mercredi 1er décembre 1915. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/93.