Les Gaz asphyxiants
Une arme de prédilection de nos ennemis
Au front
Nous ne savions point ce qu’étaient les gaz asphyxiants ou, du moins, nous ne connaissions, de cet expédient de guerre, pas autre chose que ce que nous en avaient dit jusqu’alors les communiqués officiels.
Deux attaques subies en vingt-quatre heures, au cours desquelles les gaz constituèrent le principal atout de nos adversaires, nous ont instruits suffisamment et ont fourni à nos esprits abondante matière à réflexion.
Ce que nous pouvons en dire n’a d’ailleurs et ne peut avoir que la seule valeur de l’observation personnelle et intéressée.
La question des gaz est, en cette période d’autant plus intéressante que l’attaque par ces gaz semble être le procédé de prédilection de nos ennemis. Inférieurs au point de vue de l’armement, inférieurs aussi au point de vue des munitions, inférieurs encore au point de vue des effectifs, ils ont recours à la seule arme ̶ si on peut appeler ça une arme ̶ qui leur permette soit de s’assurer quelque avantage provisoire, à défaut de succès sérieux, soit de nous forcer à être attentifs, sur tous les points du front à la fois, soit de nous faire du mal sans gros risques pour eux, soit plus simplement encore de nous impressionner.
Les produits qu'ils emploient
Les produits utilisés par les Allemands se classent en trois catégories : les produits seulement suffocants dont l’effet ne laisse pas que d’être provisoire ; les produits asphyxiants, dont les traces dans l’organisme sont ou peuvent être plus durables ; les produits lacrymogènes, dont l’action est toute locale.
Nous laissons de côté les acides et liquides enflammés dont la projection ne saurait s’effectuer sur une grande profondeur et lesquels, par suite, ne peuvent affecter que la toute première ligne.
Les procédés au moyen desquels sont formées les nappes de gaz se ramènent à trois : les jets en avant de la première ligne, lesquels, à force d’être alimentés, arrivent à former des nappes épaisses et étendues ; les obus et bombes et les grenades.
Les nappes, créées par les jets, qui, simultanément partent de plusieurs points de la tranchée ennemie, progressent lentement, aidées par le vent favorable. La hauteur de ces nappes atteint généralement plusieurs mètres.
Les obus, presque toujours des obus de gros calibre servent à former un barrage sur une ligne déterminée et aussi à augmenter la densité des nappes et à supprimer dans celles-ci des lacunes ou solutions de continuité.
Les grenades, lancées avec divers appareils ou à la main, n’ont qu’une efficacité restreinte et ne sont utilisées que sur de courtes distances.
Les moyens de préservation
Les moyens de préservation mis à la disposition de nos soldats garantissent la parfaite innocuité des gaz, mais il reste des inconvénients qui ne sont point négligeables et qu’il n’est pas possible de supprimer complètement : l’obscurité créée par les gaz rend l’observation difficile ; la transmission des ordres est forcément plus lente ; l’exécution s’en ressent. N’oublions pas qu’il est recommandé aux gradés de ne point parler et de se faire comprendre de leurs hommes par gestes.
Les mesures contre les gaz doivent être de deux sortes ; celles qui visent la protection personnelle de l’homme et celles qui se rapportent à la préservation des abris.
Il est, sans doute, recommandé aux hommes de ne pas séjourner dans les abris où la condensation des gaz s’opère facilement. Il faut néanmoins admettre que certains abris ne peuvent pas, ne doivent pas être abandonnés sous peine de désorganiser la défense : abris de commandement, abris de téléphone, etc.
Donc, il est essentiel de rendre les abris "tenables".
Dans certains corps, le service sanitaire avait eu l’idée, à un moment, de créer des salles d’entraînement contre le gaz. Les hommes auraient pris l’habitude de séjourner le plus longtemps possible, munis des appareils protecteurs, dans une salle hermétiquement close et saturée de gaz.
Que vaut cette idée ?
Il serait sot de dire : les gaz asphyxiants, on n’y résiste point ; les herbes et les plantes elles-mêmes se dessèchent et meurent sur le passage de vagues délétères ; comme il serait vain de prétendre : les gaz asphyxiants, ça n’est pas plus dangereux que les boules puantes et ça sent moins mauvais.
La vérité est également éloignée de ces deux manières de voir. On se défend contre les gaz asphyxiants à condition de vouloir et de savoir.