Après vos graves défaites au commencement de la guerre, on vous a également dit, pour vous consoler, que les armées gigantesques de la Russie ne tarderaient pas à vous venir en aide, que des millions de Russes marchaient à grands pas sur Berlin. Abstraction faite d’un million et demi de prisonniers qui remplissent nos camps de concentration, il n’y a pas de Russes sur notre sol. Nous avons occupé, au contraire, de grandes parties de leur territoire. Rien que dans les deux derniers mois ̶ tout en repoussant victorieusement toutes vos tentatives de rompre nos lignes de fer, et malgré l’intervention de l’Italie, ̶ nous leur avons pris, avec nos alliés austro-hongrois, environ 650 000 prisonniers, des centaines de canons et d’innombrables mitrailleuses, nous avons reconquis Przemysl et Lemberg et chassé les armées du tsar hors de Galicie.
Les forteresses russes d’Ostrolenke, Rozan et Pultusk sont entre nos mains, nos armées victorieuses et celles de nos alliés serrent de près Nowo Georgiewsk, Varsovie et Iwangorod.
Vous protestez lorsqu’on vous traite de dupes, vous, les Français intelligents ! Vous l’êtes doublement ! D’abord vous êtes les dupes des Anglais. Voyant que le développement de notre commerce et de notre industrie menaçait de plus en plus sa prépondérance absolue l’Angleterre décida de nous anéantir. Mais comment faire ? L’Allemagne était forte, son armée brave et nombreuse, alors que les bons marchands de Londres n’ont pas ̶ personnellement, du moins ! ̶ l’instinct guerrier ! Il s’agissait donc de trouver quelqu’un qui voulût bien se faire casser la tête pour eux. Quoi de plus naturel que de penser tout d’abord à vous autres Français ! La France, ou du moins la plus grande partie de la population française ̶ paysans, ouvriers, artisans, commerçants, etc. ̶ ne voulait nullement la guerre et ne demandait, comme nous autres, qu’à pouvoir vivre et travailler tranquillement et honnêtement. Mais il y avait la clique des revanchards, peu nombreuse il est vrai, mais experte et toujours prête à exciter les instincts populaires. C’est à eux qu’on s’adressa. Avec l’aide d’une presse honteusement achetée, on sut non seulement rendre de plus en plus puissant ce parti, qui voulait la guerre à tout prix contre l’Allemagne, mais encore inquiéter la nation française entière. À force d’entendre répéter le même mensonge : que l’Allemagne ne tarderait pas à attaquer la France, votre pays fut poussé dans cette politique d’armements à outrance, qui aboutit au service de trois ans.
Mais il fallait d’autres dupes encore. De la guerre russo-japonaise la Russie était sortie affaiblie. Pour réorganiser son armée et sa flotte, il lui fallait beaucoup d’argent. Les Anglais, dans leurs entreprises politiques, n’aiment à risquer ni leur peau ni même leur argent. Ce fut donc encore une fois la France qui dut se sacrifier, en prêtant toujours et toujours de nouveaux milliards à la Russie.
Au commencement de l’année 1913, la France, nation de 39 millions d’habitants, disposait d’une armée active aussi nombreuse que celle de l’Allemagne, nation de 65 millions d’habitants. L’armée russe, grâce aux milliards français, était même montée à 1 300 000 hommes. L’heure de la réalisation du grand projet semblait venue. Le livre : La destruction de l’Empire allemand en 191…, écrit en 1912 par un officier d’état-major, avec préface du député de Nancy, dévoila crûment les belles intentions des militaristes français, et Paul Déroulède, chef de la Ligue des patriotes, prononça la même année, lors de l’anniversaire des combats de Champigny (30 novembre et 2 décembre 1870) un discours où il osa dire, dans une glorification éperdue et agressive du militarisme français :
"Pourquoi retarder la revanche ? La France est prête grâce à ses incomparables artilleurs, à ses aviateurs hors de pair, à ses fantassins devenus d’habiles tireurs, à ses cavaliers de plus en plus entraînés. LA FRANCE N’ATTEND PLUS QUE LE METTEUR EN ŒUVRE.
Quant aux sophistes du patriotisme, aux conditionnels de la bravoure qui n’admettent qu’une guerre défensive contre l’envahisseur, il faut leur rappeler qu’aussi longtemps que Metz, Strasbourg, Mulhouse sont aux mains de l’ennemi, il y a invasion. N’ayons donc plus qu’une seule volonté, qu’un seul but et UNE ANNÉE NE SE PASSERA PAS, SANS QUE L’ALSACE-LORRAINE REDEVIENNE FRANÇAISE, sans que la France réapparaisse dans tout son éclat, dans toute sa grandeur, dans toute sa gloire.
Vive la France libre ! Vive l’Alsace-Lorraine libérée ! Vive la revanche libératrice !"
Peu de temps après, on avait trouvé le « metteur en œuvre » assez peu scrupuleux et assez vaniteux pour jeter votre pays dans l’entreprise ; les derniers préparatifs de guerre furent faits, le service de trois ans imposé : L’œuvre était prête à être mise en scène ! C’est la Serbie, valet de la Russie, qui fut chargée de donner le signal par le crime aussi lâche qu’infâme de Sérajewo.
L’Autriche-Hongrie, menacée dans son existence même, outragée dans ses sentiments les plus sacrés, voulut punir les meurtriers ; la Russie s’interposa et, le gouvernement français ayant refusé de rester neutre, comme le lui avait proposé le gouvernement allemand, l’Allemagne et la France, furent du même coup entraînées par leurs traités d’alliance respectifs dans la guerre générale ̶ si ardemment désirée et préparée par la clique de vos revanchards, qui n’en eurent pas moins le toupet de vous dire : "On nous attaque, nous qui avons toujours voulu la paix !"