Une Ville martyre
Depuis de longs mois, Arras a le douloureux honneur de subir les horreurs du bombardement par quoi les Allemands se vengent de leur impuissance.
Un envoyé du Petit Journal a visité la malheureuse ville. Il décrit le courage et la bonne humeur souriante des 1 200 habitants (Arras en comptait 29 000) qui n’ont pas voulu abandonner les ruines de leur ville.
Ces douze cents derniers Arrageois, comment vivent-ils dans leur ville dévastée ?
Leur vie n’est plus, depuis plusieurs semaines, à cause du redoublement du bombardement et de l’emploi par l’ennemi de projectiles à gaz asphyxiants, ce qu’elle était auparavant.
Très loin sont aujourd’hui ces jours d’octobre et de novembre où, entre deux pluies d’obus, les ménagères faisaient un détour en allant au marché pour pouvoir constater les derniers dégâts commis et où, pendant les mêmes accalmies, les enfants jouaient à la petite guerre dans les décombres de l’hôtel de ville. Il n’y a plus d’enfants à Arras. Les derniers ont été évacués.
Les Arrageois aujourd’hui ne peuvent plus quitter leurs caves, ils y mangent, ils y dorment, ils y travaillent – car chacun de ceux qui restent à Arras continue d’y travailler de son métier.
Les commerçants qui avaient persisté jusqu’aux dernières semaines à conserver leurs boutiques du rez-de-chaussée où ils revenaient et dont ils relevaient à demi la devanture dans les moments de calme, ont dû suivre l’exemple général : le pain se vend maintenant dans les fournils souterrains où on le fabrique, et j’ai lu sur un seuil cette inscription : "La mercerie est dans la cave"…
N’allez point croire que malgré le risque perpétuel de mort et d’asphyxie – contre lequel des sacs de sable humide accolés aux moindres soupiraux sont la seule défense – cette vie souterraine soit morose. Il n’y a que l’ennui parfois de manquer de luminaire, lorsque l’on n’a pas assez ménagé le pétrole et les bougies.
Les caves d’Arras sont les derniers salons où l’on cause. On y fait des visites ; j’en ai fait deux.
Cette vaillance tranquille et sans pose, n’est-ce pas le plus beau caractère de l’âme française ?