Bien que la censure ait toujours existé, c’est dans les années 1870 qu’apparaît le personnage d’Anastasie. Cette allégorie est toujours représentée avec les mêmes attributs : le costume de concierge – véritable indicateur de la police à cette époque, des ciseaux démesurés pour railler la finesse de ses coupes, des lunettes pour dénoncer ses décisions arbitraires et une chouette sur l’épaule pour symboliser l’obscurantisme d’un âge reculé. L’étymologie de son nom (renaissance en grec ancien) rappelle le caractère récurrent de sa mise en place au fil des époques.
La proclamation de l’état de guerre suspend en effet la liberté de la presse et rapidement, on remarque le retour d’Anastasie dans les colonnes des papiers. Le 5 août 1914 est créé le bureau de la presse du ministère de la Guerre, chargé de supprimer toute critique et d’empêcher la diffusion d’informations susceptibles de renseigner l’ennemi. En réalité, la censure gouvernementale se transforme vite en propagande de masse. S’il est logique de constater qu’Anastasie se soit attaquée à un poème dénonçant un tel système, il est en revanche cocasse de remarquer qu’au lieu de le censurer dans sa totalité, elle n’ait découpé que certains passages… À moins que l’auteur, facétieux, ne se soit lui-même autocensuré !
Anastasie
I.
Vous êtes vieille ! et cependant,
Je vous dis, pour être galant,
Que devant vous je m’extasie,
Anastasie.
II.
Mais je ne vous fais point la cour…
D’humeur fantasque et d’esprit court,
Vous n’avez rien, aux yeux qui luise
Et qui séduise.
III.
Le beau m’émeut…, le drôle aussi ;
Or je vous vois avec souci.
[Supprimé par la Censure]
IV.
Le monocle que vous portez
Étayé par votre long nez,
Fait mal l’office de lunettes
Aux vitres nettes.
V.
[Supprimé par la Censure]
VI.
Vos doigts tiennent, chagrins fuseaux,
Comme un scalpel, de lourds ciseaux,
Qu’ils promènent à la dérive
Dans la chair vive.
VII.
[Supprimé par la Censure]
VIII.
Sagesse, droiture, équité,
Pour tous égale liberté :
Que ce soit la devise sûre
De la Censure !
IX.
Pour mettre un terme à ce conflit,
Évitez le même délit ;
Sinon, je vous change en momie,
Inerte, ô mie !
Arras, mai 1916,
Un vieux Calaisien
Le Lion d’Arras, 5 juin 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.