L’Hygiène et la Guerre
Ce n’est pas calomnier le paysan de France que de dire qu’il n’a pas le souci de l’hygiène. La vie au grand air, une nourriture saine, les exercices corporels variés lui donnant, en général, une constitution robuste, il croit n’avoir pas d’autres soins à prendre de sa santé.
Pourtant, les statistiques, les terribles statistiques nous révèlent que l’état sanitaire des campagnes est loin d’être parfait, que même dans de trop nombreuses régions, il est moins satisfaisant que dans les villes, enfin que la tuberculose et la fièvre typhoïde en particulier y exercent de continuels ravages.
Il y a longtemps que le fait a été constaté et que la science, s’appuyant sur des exemples bien faciles à trouver, a jeté le cri d’alarme dans nos villages et nos bourgs.
Jusqu’à la guerre, ce cri n’avait pas été écouté. L’apathie, l’indifférence, la routine, une irrésistible aversion pour tout ce qui est nouveau, changement, progrès avaient rendu inutiles les efforts des hygiénistes. Le paysan faisait fi des prescriptions et des avis qu’il regardait comme bons tout au plus à occuper les loisirs du citadin.
La guerre aura, on peut l’espérer, modifié sérieusement cette regrettable mentalité.
Le campagnard qui aura passé de longs mois à l’armée reviendra chez lui avec des habitudes d’hygiène dont il conservera certainement quelque chose. La propreté du corps, le bain, le « tub », l’asepsie, l’antisepsie lui seront devenus familiers. Il connaîtra les moyens pratiques de se préserver des maladies épidémiques et les premiers soins à donner aux blessures de tous genres. Une fois de retour dans sa ferme, il appliquera sans y penser, automatiquement, les notions d’hygiène populaire qu’il aura reçues au front ou à l’arrière. Il abandonnera les remèdes empiriques : les toiles d’araignée, les grenouilles vivantes, les onguents mystérieux et toutes les autres pratiques des "rebouteux".
Dans nos régions du Nord de la France, la présence des troupes britanniques n’aura pas été non plus inutile pour changer des coutumes et des procédés qui pour être séculaires n’en étaient pas moins déplorables.
L’exemple des « tommies » poussant la propreté quelquefois jusqu’à l’exagération ne sera pas entièrement perdu. Les démarches faites par les autorités militaires anglaises en vue d’améliorer la salubrité des fermes ont déjà eu d’excellents résultats. Mais, par exemple, la campagne menée contre l’habitude antihygiénique et anti esthétique qu’ont les fermiers d’élever un tas de fumier environne d’une mare infecte juste en face du logis, est restée stérile. Ah ! la force de la routine !
Un officier anglais, dessinateur de talent, a "croqué" la question du fumier, si je peux m’exprimer ainsi, avec infiniment d’humour.
Deux paysans français, le mari et la femme, cherchent un emplacement pour bâtir une ferme. Ils parcourent leurs champs et s’arrêtent en face d’un terrain bien situé et admirablement nivelé. L’homme et la femme hochent la tête en même temps d’une façon qui veut dire : "L’endroit ne convient pas". Ils continuent leur chemin. Tout à coup, ils poussent tous les deux le même cri joyeux : "Voilà notre affaire !" Ils viennent d’apercevoir un grand mont de fumier au milieu d’un champ. La maison est bâtie autour du mont, et le tableau suivant représente les fermiers, sur leur porte, contents et satisfaits.
La femme. - C’est très bien, mais nous n’avons pas d’eau pour le ménage.
Le mari. - C’est vrai. Attends, je vais commander aux ouvriers de creuser un puits.
Et dans le dernier tableau, on voit les ouvriers qui creusent le puits, au milieu de la cour, juste à côté de la fosse au fumier.
C’est de l’humour anglais, me direz-vous. Sans doute, mais c’est aussi une critique spirituelle d’une des habitudes qui s’opposent le plus à l’établissement d’une hygiène rationnelle dans les campagnes.
Quoi qu’il en soit, de grands progrès ont déjà été réalisés depuis vingt mois. D’autres suivront nécessairement qui complèteront cette évolution désirable des régions rurales.
Il nous faut profiter de toutes les leçons de la guerre, des petites comme des grandes. N’est-ce pas toujours l’avenir de la race, l’avenir de la France qui sont en jeu ?
Louis ROBICHEZ