Archives - Pas-de-Calais le Département
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Le lion d'Arras à l’exposition des œuvres d’art mutilées

Au grand regret du chroniqueur du Télégramme qui ne manque pas d’un certain humour dans ses propos, le lion du beffroi d’Arras s’en est allé à Paris pour être montré à la vue des belles madames et des messieurs fatigués (hum !) de Paris , dans le cadre de l’Exposition d’œuvres d’art mutilées ou provenant des régions dévastées par l’ennemi,qui est présentée au Petit Palais du 25 novembre 1916 à décembre 1917.

C’est Charles Humbert, vice-président de la commission sénatoriale des armées mais aussi directeur du Journal, qui est à l’initiative de cette exposition. Dès février 1916, avec le soutien de Paul Ginisty, inspecteur général des Monuments historiques, il demande la concession temporaire du Petit Palais à Marcel Delanney, préfet de la Seine. Bien que cette autorisation ne relève pas de sa responsabilité mais de celle de la ville de Paris, Humbert reçoit un accord à la condition que l’équipe du Petit Palais soit l’organisatrice de l’exposition en la personne de son conservateur Henry Lapauze, assisté de son attaché Adrien Fauchier-Magnan. Selon cet accord, Paul Ginisty et Charles Humbert sont responsables du choix, de la collecte et du rapatriement des objets, tandis qu’Henry Lapauze et son équipe prennent en charge la mise en scène des objets et l’édition d’un catalogue.

En plaçant ce patrimoine comme témoin et victime des atrocités allemandes, cette exposition contribue à la culture de guerre. Afin d’attiser l’opinion publique, les visiteurs découvrent au fil d’un parcours bien pensé des objets en provenance des dix départements de la ligne de front (Nord, Pas-de-Calais, Somme, Aisne, Oise, Marne, Meuse, Meurthe-et-Moselle, Alsace française et les Vosges). Les objets ou œuvres sont présentés selon certains angles, avec trois profils dominants :

  • emblématiques pour les villes de Reims et d’Arras,
  • fantômes pour Gerbeviller,
  • ou reconquis héroïquement pour Vermelles et Carency.

Collectés par Paul Ginisty en divers points du front avec l’autorisation du Grand Quartier général, les objets sont emballés, assurés et expédiés aux frais du prêteur dans des caisses portant la mention "Conservateur du Palais des Beaux-arts. Petit Palais" pour faciliter le passage des deux octrois de la gare d’Aubervilliers et de la gare de La Chapelle.

Le parcours de certaines pièces est bien connu, à l’exemple des objets en provenance d’Arras qui composent la section la plus importante de l’exposition par leur nombre. Ayant notifié qu’il souhaitait des pièces de grandes dimensions, spectaculaires et surtout significatives, Paul Ginisty sélectionne ces objets avec l’autorisation du maire d’Arras Rohart, du doyen de l’église Saint-Nicolas et de l’abbé Miseron. Dans ce cas précis, leur transport est pris en charge par la mission militaire française attachée à l’armée britannique, service des réquisitions et évacuations d’Arras. Réparties dans quatorze colis, les œuvres arrivent à Paris par wagon plombé et sont réceptionnées à la gare du Nord le 5 octobre 1916.

Le lion d’Arras est assurément l’une des pièces les plus spectaculaires de l’exposition.

Arras - Petite Chronique

Ainsi donc, notre vieux lion du beffroi d’Arras s’en est allé à Paris. Après avoir, durant de longues années, veillé sur la cité et les environs, le voilà exposé à la vue des belles madames et des messieurs fatigués (hum !) de Paris.

Veinards de Parisiens ! On leur envoie, à domicile, les curiosités de la guerre… Les quatre canons de bronze, que j’ai salué[s] tant de fois  ̶  il y a longtemps  ̶  à Verdun ; la cloche de Gerbéviller ; le lion d’Arras, etc., ont été réunis au Petit-Palais. On pourra regarder sans danger.

Approuve qui voudra. Je blâme ces ballades d’objets vénérables. On peut être assuré que notre lion reviendra (car il faut qu’il revienne : il est à nous), bien maigri, bien "déplumé", par les amateurs de souvenirs.

Je souhaite que le retour de notre lion soit prochain. Sa place est au pied de notre beffroi écroulé ; debout, face aux boches (comme il est tombé !) ; il doit reprendre sa faction vigilante et impérieuse : "On ne passe pas !"

Bientôt, avant d’ouvrir les journaux de Paris, nous devrons enserrer notre tête dans un cercle de fer afin d’en éviter l’éclatement. Car, parfois, "ça" dépasse les bornes de la plaisanterie.

Un visiteur (?) de notre ville, l’autre matin, expliquait froidement dans son journal que, de la place de la Gare il avait vu la statue du Père Halluin !!! Çà, c’est un malin. Il devait avoir des lunettes "perce-murailles" ?

Et cet autre ? Il s’est donné la peine d’interviewer une commerçante et nous apprend que, "chaque semaine, 14 400 fromages quittaient Arras et ses caves chéries…"

"Çà est queque chose, meinheer", disent mes a[m]is les bons Belges. Je me contente de pousser la même exclamation et de me comprimer le crâne !

Que va dire la Hollande ? 14 400 fromages !!!

Une personne de passage à Arras, il y a quelques semaines, a tenu des propos malhonnêtes sur les habitantes actuelles de la cité. M. Quidedroit, aimable et très dévoué fonctionnaire sans peur, a rivé son clou à cette peu aimable et aigre personne.

Bravo ! bravo !  ̶  Les gens de cœur saluent bien bas les vaillants demeurés à Arras. Leur admiration va surtout aux femmes énergiques qui, depuis deux ans, bravent la mort et les monstres d’en face. Qu’on le sache bien, ces femmes peuvent marcher le front haut.

La personne en question s’est trompée… sans trompette. Ça arrive. À Paris, on a jugé utile de rétablir la brigade dite des mœurs. À Arras, pareil besoin ne se fait pas  ̶  et ne se fera jamais sentir.

À bon entendeur, salut.

R. D’Artois

Le Télégramme, mercredi 11 octobre 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/26.