Archives - Pas-de-Calais le Département
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Lettre aux prêtres anglais et belges

Carte postale noir et blanc montrant une girouette en forme de lion tenant un étendard.

Arras. Le Lion du Beffroy après sa chute de 75 m du 21 octobre 1914. Archives départementales du Pas-de-Calais, 38 Fi 73.

Durant la guerre, l’évêque d’Arras, Mgr Lobbedey, saisit toutes les occasions pour rassembler les peuples sous l’étendard de la religion. Prières nationales (et internationales), discours lyriques ou lettres ouvertes sont autant d’outils qu’il utilise pour porter son message de rassemblement.

Dans cette lettre adressée aux prêtres anglais et belges résidant dans son diocèse, il évoque quelques événements historiques intéressant la France, l’Angleterre et la Belgique, à travers le filtre très subjectif de la fraternité.

Davantage d’objectivité permettrait ans doute de considérer ces événements sous d’autres angles, bien moins fédérateurs que ceux proposés. Car s’il est vrai que les six bourgeois de Calais furent graciés par suite de l’intervention de la reine Philippa de Hainaut, n’oublions pas que cet épisode intervient lors la guerre de Cent Ans, qui oppose Anglais et Français.

De plus, le fier lion des Flandres vanté par l’évêque ("den fieren Vlammschen Leeuvi") fait référence à celui qui ornait le blason des comtes de Flandres, symbole d’identité revendiquée face à la crainte d’une éventuelle annexion par la France, après l’éclatement du royaume uni des Pays-Bas en 1830. Les deux citations proposées par Émile Lobbedey proviennent du poème d’Hippoliet Van Peene, "Vlaamse Leeuw" (sous une forme légèrement différente) écrit en 1847, et mis en musique par le compositeur Karel Miry.

Boulogne, le 29 janvier 1916,

Chers Messieurs,

Je viens vous saluer et vous bénir. Aumôniers, infirmiers, brancardiers, chapelains, prêtres intérimaires attachés à nos paroisses, à nos collèges, à nos orphelinats. Soyez heureux (autant qu’on peut l’être aujourd’hui), sur notre territoire diocésain, en attendant que vous puissiez rentrer victorieux dans votre patrie.

Je sais que mes prêtres fraternisent avec vous et ne forment avec vous qu’un cœur et qu’une âme. Puisse cette alliance durer ! […]

Aux prêtres anglais

Prêtres anglais, que de saints communs à l’Angleterre et à notre Artois ! Quoi d’étonnant, dès lors, si nous marchons d’un même pas, sous les mêmes étendards ? Saint Vulgan, saint Kilien, saints Lugle et Luglien, saint Etton, saint Fursy, saint Pierre d’Ambleteuse, vous les vénérez comme nous les vénérons ; vous les invoquez comme nous les invoquons.

Quels sont les catholiques anglais venant à Boulogne qui ne visitent sa cathédrale et ne s’agenouillent devant sa célèbre Madone ? En des temps difficiles, Calais envoya ses bourgeois au-devant de votre Roi, et le dévouement de ces héros sut attendrir le cœur de votre reine. Saint-Omer n’oublie pas le souvenir d’O’Connell. Lors de la Révolution française, l’un de nos prédécesseurs, Mgr de Conzié, trouva une large hospitalité sur la terre d’Angleterre. Que de prêtres d’Artois imitèrent leur évêque, passèrent le détroit et trouvèrent l’accueil le plus fraternel dans le clergé !

N’est-il pas juste qu’à notre tour et à l’exemple de nos devanciers, Nous témoignions aux prêtres anglais la même charité, le même dévouement, d’autant plus qu’ils viennent avec leurs compatriotes soldats protéger nos côtes et défendre notre pays. Autour de Loos, de Givenchy, de Festubert, de Richebourg, de Laventie, que de milliers d’Anglais sont tombés glorieusement, héroïquement ! Nous garderons avec un soin jaloux leurs cendres et leur mémoire. Nous le disions naguère à l’illustre maréchal French et au vaillant aumônier catholique, Mgr Keating ! Lœtamur itaque de gloria [ note 1] (I Mach., XII, 12.).

Aux prêtres belges

À côté de la puissante Angleterre, brille d’un éclat resplendissant la vaillante et catholique Belgique. […] Pendant dix siècles, n’avons-nous pas eu les mêmes destinées, les mêmes rêves, les mêmes intérêts ? Et aujourd’hui encore, par le tempérament, les habitudes et le caractère, l’Artois n’est-il pas le frère de la Belgique ?

D’autre part, combien de nos villes et villages portent le nom du saint qui les a fondés, de l’apôtre dont ils gardent le tombeau, du moins qui a porté la hache dans leur forêt druidique et creusé dans leur sol vierge le premier sillon ! Or, ces saints, ces apôtres, ces moines, forment notre patrimoine commun. Estis fratres nostri : malvimus renovare fraternitatem et amicitiam [ note 2] (I Mach., XII, 10).

Saint Amand, saint Ghislain, sainte Rictrude, sainte Aldegonde sont vôtres. Ils sont nôtres aussi. Nos glorieux prédécesseurs : saint Vaast, saint Géry, saint Aubert, saint Omer, saint Folquin, saint Humfroi, saint Jean de Warneton n’ont-ils pas planté leur houlette pastorale dans la Gaule-Belgique, jusqu’à Bruxelles même, où mourut saint Vindicien, en pleine course apostolique ?

À l’époque des croisades, les pèlerins armés du Brabant, du Hainaut, de la Flandre, de l’Artois, ne s’unirent-ils pas au cri de "Dieu le veut !" en vue de la libération du tombeau de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Chevaliers-apôtres, ils écrivaient les gestes de Dieu. Qui n’a lu leurs exploits légendaires ? Notre chère ville de Boulogne ne se glorifie-t-elle pas à bon endroit d’avoir vu le diadème royal ceindre le front de Godefroy de Bouillon, fils de sa pieuse comtesse Ide, dont le seul nom fait battre nos cœurs et auquel vous avez érigé une statue sur une des places de votre capitale ?

À la sympathie provoquée par la communauté de souvenirs, de race et de religion, voici que s’ajoutent des sentiments nouveaux, faits d’admiration pour l’attitude sublime de tout un peuple, de pitié pour ses douleurs, de reconnaissance pour les services rendus, et de confiance dans le même avenir réparateur. […]

Si le lion du beffroi d’Arras a été mordu (je le baisais naguère avec respect, dans la poussière où les obus l’ont fait tomber), le lion belge est debout :

Den fieren Vlammschen Leeuvi [ note 3]

Mais le nôtre, un jour, se relèvera : nous le savons, chers Messieurs ; nous le savons, cher Monseigneur Marinis, qui portez si noblement votre dignité et votre charge d’aumônier en chef : et la Belgique viendra le chanter dans la langue flamande.

Zy zullen hem hooit temmen ! [ note 4]

Avant de terminer, chers Messieurs d’Angleterre et de Belgique, laissez-moi vous féliciter de votre zèle à encourager les soldats, à consoler les blessés, à porter partout le secours très apprécié de votre auguste ministère. Sanctificate bellum [ note 5] (Joël, III, 9.). […]

Tous les matins, au canon de la Messe, Vous priez pour moi. En retour, je ne cesse de Vous recommander au Tout-Puissant Allié, tu solus Altissimus, à Celui qui seul Nous donnera la victoire.

Émile, évêque d’Arras.

La guerre en Artois. Paroles épiscopales. Documents. Récits, sous la direction de Mgr Lobbedey, Paris, 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHA 1877.

Notes

[ note 1] "Nous nous réjouissons de la gloire [dans laquelle vous vivez]".

[ note 2] "Vous êtes nos frères : nous préférions renouveler notre fraternité et notre amitié".

[ note 3] "Le fier lion des Flandres".

[ note 4] "Ils ne le dompteront pas !"

[ note 5] "Sanctifiez la guerre".