Boulogne, le 29 janvier 1916,
Chers Messieurs,
Je viens vous saluer et vous bénir. Aumôniers, infirmiers, brancardiers, chapelains, prêtres intérimaires attachés à nos paroisses, à nos collèges, à nos orphelinats. Soyez heureux (autant qu’on peut l’être aujourd’hui), sur notre territoire diocésain, en attendant que vous puissiez rentrer victorieux dans votre patrie.
Je sais que mes prêtres fraternisent avec vous et ne forment avec vous qu’un cœur et qu’une âme. Puisse cette alliance durer ! […]
Aux prêtres anglais
Prêtres anglais, que de saints communs à l’Angleterre et à notre Artois ! Quoi d’étonnant, dès lors, si nous marchons d’un même pas, sous les mêmes étendards ? Saint Vulgan, saint Kilien, saints Lugle et Luglien, saint Etton, saint Fursy, saint Pierre d’Ambleteuse, vous les vénérez comme nous les vénérons ; vous les invoquez comme nous les invoquons.
Quels sont les catholiques anglais venant à Boulogne qui ne visitent sa cathédrale et ne s’agenouillent devant sa célèbre Madone ? En des temps difficiles, Calais envoya ses bourgeois au-devant de votre Roi, et le dévouement de ces héros sut attendrir le cœur de votre reine. Saint-Omer n’oublie pas le souvenir d’O’Connell. Lors de la Révolution française, l’un de nos prédécesseurs, Mgr de Conzié, trouva une large hospitalité sur la terre d’Angleterre. Que de prêtres d’Artois imitèrent leur évêque, passèrent le détroit et trouvèrent l’accueil le plus fraternel dans le clergé !
N’est-il pas juste qu’à notre tour et à l’exemple de nos devanciers, Nous témoignions aux prêtres anglais la même charité, le même dévouement, d’autant plus qu’ils viennent avec leurs compatriotes soldats protéger nos côtes et défendre notre pays. Autour de Loos, de Givenchy, de Festubert, de Richebourg, de Laventie, que de milliers d’Anglais sont tombés glorieusement, héroïquement ! Nous garderons avec un soin jaloux leurs cendres et leur mémoire. Nous le disions naguère à l’illustre maréchal French et au vaillant aumônier catholique, Mgr Keating ! Lœtamur itaque de gloria [ note 1] (I Mach., XII, 12.).
Aux prêtres belges
À côté de la puissante Angleterre, brille d’un éclat resplendissant la vaillante et catholique Belgique. […] Pendant dix siècles, n’avons-nous pas eu les mêmes destinées, les mêmes rêves, les mêmes intérêts ? Et aujourd’hui encore, par le tempérament, les habitudes et le caractère, l’Artois n’est-il pas le frère de la Belgique ?
D’autre part, combien de nos villes et villages portent le nom du saint qui les a fondés, de l’apôtre dont ils gardent le tombeau, du moins qui a porté la hache dans leur forêt druidique et creusé dans leur sol vierge le premier sillon ! Or, ces saints, ces apôtres, ces moines, forment notre patrimoine commun. Estis fratres nostri : malvimus renovare fraternitatem et amicitiam [ note 2] (I Mach., XII, 10).
Saint Amand, saint Ghislain, sainte Rictrude, sainte Aldegonde sont vôtres. Ils sont nôtres aussi. Nos glorieux prédécesseurs : saint Vaast, saint Géry, saint Aubert, saint Omer, saint Folquin, saint Humfroi, saint Jean de Warneton n’ont-ils pas planté leur houlette pastorale dans la Gaule-Belgique, jusqu’à Bruxelles même, où mourut saint Vindicien, en pleine course apostolique ?
À l’époque des croisades, les pèlerins armés du Brabant, du Hainaut, de la Flandre, de l’Artois, ne s’unirent-ils pas au cri de "Dieu le veut !" en vue de la libération du tombeau de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Chevaliers-apôtres, ils écrivaient les gestes de Dieu. Qui n’a lu leurs exploits légendaires ? Notre chère ville de Boulogne ne se glorifie-t-elle pas à bon endroit d’avoir vu le diadème royal ceindre le front de Godefroy de Bouillon, fils de sa pieuse comtesse Ide, dont le seul nom fait battre nos cœurs et auquel vous avez érigé une statue sur une des places de votre capitale ?
À la sympathie provoquée par la communauté de souvenirs, de race et de religion, voici que s’ajoutent des sentiments nouveaux, faits d’admiration pour l’attitude sublime de tout un peuple, de pitié pour ses douleurs, de reconnaissance pour les services rendus, et de confiance dans le même avenir réparateur. […]
Si le lion du beffroi d’Arras a été mordu (je le baisais naguère avec respect, dans la poussière où les obus l’ont fait tomber), le lion belge est debout :
Den fieren Vlammschen Leeuvi [ note 3]
Mais le nôtre, un jour, se relèvera : nous le savons, chers Messieurs ; nous le savons, cher Monseigneur Marinis, qui portez si noblement votre dignité et votre charge d’aumônier en chef : et la Belgique viendra le chanter dans la langue flamande.
Zy zullen hem hooit temmen ! [ note 4]
Avant de terminer, chers Messieurs d’Angleterre et de Belgique, laissez-moi vous féliciter de votre zèle à encourager les soldats, à consoler les blessés, à porter partout le secours très apprécié de votre auguste ministère. Sanctificate bellum [ note 5] (Joël, III, 9.). […]
Tous les matins, au canon de la Messe, Vous priez pour moi. En retour, je ne cesse de Vous recommander au Tout-Puissant Allié, tu solus Altissimus, à Celui qui seul Nous donnera la victoire.
Émile, évêque d’Arras.