Archives - Pas-de-Calais le Département
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Pour toute recherche dans les fonds qui y sont conservés (archives contemporaines), la consultation aura lieu dans la salle de lecture du Centre Mahaut-d’Artois, à Dainville. Deux levées sont organisées par semaine :

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Nos cimetières

Dessin monochrome représentant des tombes surmontées de croix. En-dessous, on lit : "À gauche, la tombe du comte de Pimodan : "l'Aïeul est mort pour Dieu, le Petit-fils pour la Patrie. Au centre, la tombe de Paul Proust "député de la Savoie. Mort au champ d'honneur". Au second plan, la tombe d'un paysan. À droite, l'église ruinée".

Un coin du cimetière de Saint-Nicolas-lez-Arras, illustration tirée du Lion d'Arras du 15 juin 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.

Arras a souffert et le spectacle désolant de ses cimetières témoigne de la violence auxquels les soldats français, leurs alliés et les civils ont été confrontés depuis le début du conflit. En décrivant le paysage meurtri de la campagne alentour, P. Dumas célèbre ici la mémoire des victimes connues et méconnues dont les sépultures reposent en terre arrageoise. Issus de nationalités et d’horizons différents, ces combattants sont tombés pour un même idéal ou au nom de l’Union sacrée et restent unis par la mort en ces lieux. Chacun comprend que ceux-ci seront à l’avenir des lieux de pèlerinage, où les familles endeuillées et les patries reconnaissantes viendront en nombre pour rendre hommage à leur héroïsme et saluer leur mémoire.

Ces cimetières et leur image de désolation rappellent aussi que les autorités nationales et locales ont été confrontées à une gestion des morts totalement inadaptée, tant dans l’identification des corps que dans leur inhumation, le repérage des sépultures ou encore l’établissement des procès-verbaux de constat de décès. Autorités militaires et administratives, reconnaissant l’inefficacité de leurs services, doivent d’urgence les réorganiser.

À compter du 19 juillet 1915, chaque armée s’est vu dotée d’un service d’état civil chargé de l’inhumation des morts, qui s’est toutefois s’avéré insuffisant ; il a en conséquence été instauré l’année suivante un service d’état civil aux armées. Pour répondre aux critiques et aux attentes des poilus et de leurs familles, l’État attache en outre une plus grande importance aux sépultures militaires : sur les lieux de sépulture à établir pour les militaires français et leurs alliés tombés au champ d’honneur, la loi du 29 décembre 1915 préconise des tombes individuelles dans le respect de leurs confessions religieuses, officialisant de fait l’abandon des fosses communes.

Toute affaire relative aux victimes militaires est alors centralisée au ministère de la Guerre, avec un bureau rattaché au cabinet du ministre pour les renseignements aux familles, et une section d’état civil du bureau des archives qui gère les avis et actes de décès en fonction des renseignements transmis par les corps de troupe. De cette section d’état civil, naît un bureau des renseignements chargé de recevoir les états des maires, faisant connaître les noms, prénoms, grades, régiments, numéros de matricule, bureaux et numéros de recrutement militaire des morts inhumés sur le territoire de leur commune. Une section du bureau de la comptabilité et des renseignements, au sein du service de santé militaire, est, elle, chargée de transmettre aux familles les effets des militaires décédés ou disparus.

Cette gestion bureaucratique est en totale inadéquation avec la réalité du front, car les soldats morts sont dans le meilleur des cas inhumés sur place, dans les fossés ou trous d’obus, ou à proximité des postes de secours et ambulances de campagne ; c’est dire la difficulté, voire l’impossibilité de dresser convenablement les procès-verbaux de décès demandés. De nombreux cadavres ont été ainsi abandonnés sur les champs de bataille.

Ceci explique la diversité des tombes, le nombre important de fosses communes et de militaires non identifiés et sans sépulture, augmentant de fait le bilan des disparus. Le repérage des tombes incombant aux maires des communes où se trouvent les sépultures militaires n’est pas réalisé avec la rigueur nécessaire : il est bien difficile pour les municipalités confrontées à la guerre de repérer les sépultures militaires et de respecter les procédures : on comprend de la sorte le recours rapide au Souvenir français dont l’aide sera précieuse.

De nombreuses familles touchées par le deuil réclament le droit d’exhumer les dépouilles de leurs morts pour les transporter au cimetière familial. Comme la procédure d’exhumation ne distingue pas les civils des militaires, elles doivent obtenir une double autorisation d’exhumation et de transport des corps : une autorisation administrative délivrée par le maire de la commune, le sous-préfet ou le préfet du département où a eu lieu le décès, et une autorisation militaire délivrée par le commandant du corps d’armée ou le commandant de région. Une fois l’autorisation de transport consentie, la famille doit prendre à sa charge une mise en bière spéciale et le rapatriement dans des véhicules appropriés. Celui-ci exigeant une pénible logistique et d’importants moyens financiers, des restitutions ont bien été accordées, mais en nombre limité, et les autorités militaires et civiles n’ont cesse d’en dissuader les familles.

Nos cimetières

Les cimetières de la région d’Arras seront, après la guerre, des lieux de pèlerinage où viendront, de tous les points de France et d’Angleterre, pleurer les familles.

J’ignore quel sera le sort de ces cimetières ; laissera-t-on les sépultures isolées dans les champs où elles formeraient des taches noires sur les moissons futures des terres fécondes ? Groupera-t-on autour des centres les plus importants les petites tombes éparses ? Probablement.

Dans le feu de la bataille, et même après l’action, il n’est pas facile d’enlever les blessés à travers les boyaux battus irrégulièrement par des canons toujours pointés, prêts à tirer ; à plus forte raison, on n’a que le temps d’enterrer sur place ceux que la mitraille a fauchés. À peine quelquefois un ami ramène son compagnon d’armes à l’arrière vers le poste de secours à côté duquel on l’ensevelit. Mais la fureur de l’ouragan passée on entoure d’un soin jaloux les tombes des premières lignes, ces humbles tombes que les obus et les balles ne respectent pas toujours.

Arras sera environné de ces cimetières où nos morts monteront une garde éternelle devant la ville pour laquelle ils sont tombés. Il faudra que la population civile en prenne soin ; elle le fera ; il suffit pour n’en pas douter de traverser le nouveau cimetière, trop peuplé, hélas ! où les tertres des civils voisinent avec ceux des soldats.

Toutes les classes de la société auront fourni leur tribut à la défense de l’Artois. Témoin le petit cimetière de Saint-Nicolas.

Les ruines de l’église ont submergé les tombes de ceux qui abritaient leur dernier sommeil à l’ombre du clocher. Les décombres de ce clocher se sont arrêtés devant quelques croix aujourd’hui ternies par le temps car elles datent de notre première offensive de Chantecler. Sur la plus proche de l’église, on devine plutôt qu’on ne la lit l’inscription suivante :

Sergent Proust, député de la Savoie, mort au champ d’honneur [ note 1].

Une balle de schrapnell a enlevé un morceau de croix ; sur la tombe pousse un arbrisseau bien maigre couvert de la poussière blanche des pierres de l’église.

Aucun discours ne fut prononcé sur sa tombe. Sa sépulture ne "disparaissait pas sous les fleurs", comme on lit dans les obsèques des personnages officiels, mais sa récompense est ailleurs. Prenez la bouteille qui, renversée au pied de la croix, gardera le nom du mort ; ici vous serez ému plus qu’en cherchant un nom quelconque.

Après les indications d’usage, nom, prénoms, recrutement, adresse, régiment, date du décès, vous lirez ceci : Hommage de deux artilleurs compatriotes et électeurs du vaillant député de la Savoie. Nous venons souvent sur sa tombe et nous repartons à nos pièces, meilleurs et plus forts . N’est-ce pas qu’elle vaut, cette inscription, toutes les oraisons funèbres qu’aurait pu prononcer un collègue de la Chambre ? N’est-ce pas qu’elle est plus émouvante, cette humble bouteille renversée, que les inscriptions sculptées dans la pierre ? N’est-ce pas qu’il dut être plus émouvant cet enterrement de soldat à travers les rues bombardées de Saint-Nicolas, qu’une parade aux funérailles d’un député dans les rues de son arrondissement ?

Tout près de Proust, une autre tombe. Elle a dû se refermer quelques jours plus tard. Le nom, là aussi, est effacé on le devine à peine : "Comte de Pimidan, mort au champ d’honneur. L’aïeul mourut pour Dieu, le petit-fils pour la Patrie" [ note 2].

Près du représentant du peuple, dort le représentant d’une des plus vieilles familles françaises, une de celles qui avaient pour devise : "Pour Dieu, pour la France". Membre des clubs aristocratiques de Paris, esprit distingué, fin lettré, il n’a pas non plus ménagé sa vie ; comme ses ancêtres, il a sacrifié à la patrie un avenir souriant et riche d’espérances.

Un peu en arrière et à l’écart, d’autres tombes aux croix uniformes. Bien alignées mais fières, au milieu des autres. Ils sont légion les cultivateurs tombés dans cette guerre ; ils auront été les plus éprouvés ; ils le savent et l’un d’eux disait ce mot qui mérite un souvenir : Après tout, la terre nous nourrit, c’est bien à nous de la défendre .

Lui, l’homme des champs, habitué aux grands horizons, il entendait ces mots de "Terre de France" dans le sens matériel, dans le sens du "pain quotidien" et en l’incitant à reconquérir un champ, comme il voyait dans ce champ un morceau de terre, les chefs ont fait de ce paysan un héros.

Plus que partout dans le cimetière de St-Nicolas vous voyez l’Union Sacrée en action. Elle a sauvé la France, elle a sauvé Arras ; elle reconstruira demain la cité et replacera le Pays au premier rang des nations.

Arras, demain, à côté du nom de ses enfants morts pour la patrie, inscrira le nom de ses fils d’adoption morts pour elle sous ses murs et rendra à leur tombe l’hommage dû à l’héroïsme.

Député, comte, prêtre, paysan, unis par la mort dans l’humble cimetière, tombés pour le même idéal, comme par l’union, vous avez fait la France de jadis, faites que toujours aussi nous sachions nous unir pour rendre forte la France de demain !

P. Dumas

Le Lion d’Arras, jeudi 15 juin 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.

Notes

[ note 1] Paul-Louis-Isidore Proust naît à Ouzouer-le-Marché (Loir-et-Cher) le 10 avril 1882. Son père, Auguste Proust, est une figure politique locale : maire et conseiller général d’Ugine, il est également élu député de 1901 à 1906. Après des études de droit, Paul devient avocat à Paris. À la suite de son père, il est élu conseiller général d’Ugine en 1907, puis député républicain libéral de l’arrondissement de Chambéry-nord en 1914. Appelé sous les drapeaux, il est sergent au 97e RI lorsqu’il meurt au combat le 24 octobre 1914 à Saint-Nicolas.

[ note 2] Henri-Fernand-François-Gabriel-Marie de Rarécourt de La Vallée est comte de Pimodan. Né à Amiens le 7 décembre 1887, il est capitaine au 237e RI lorsqu’il est tué à Saint-Nicolas le 25 octobre 1914. Son frère Pierre suit ses traces puisqu’il succombe à son tour le 31 mai 1918, épuisé par des mois de campagnes. Les deux frères ont été déclarés morts pour la France. L’aïeul dont il est question dans l’épitaphe est Georges de la Vallée de Rarécourt de Pimodan (1822-1860) qui a rejoint les rangs de l’armée pontificale en avril 1860. Promu général, il participe aux combats de défense des frontières des états pontificaux et trouve la mort en septembre sur les hauteurs de Castelfidardo.