Archives - Pas-de-Calais le Département
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Conférence sur l’effort canadien

Photographie noir et blanc montrant un groupe de soldats défiler devant des civils.

Soldats canadiens (?) défilant à Lorette. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 Fi 1858.

Lorsque la Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne en août 1914, elle entraîne automatiquement le Canada dans le conflit : si cette colonie de l’Empire britannique est officiellement indépendante depuis 1867, elle n’est pas, pour autant, maître de sa politique extérieure. Toutefois, le gouvernement canadien conserve la liberté de décider de la nature de son intervention militaire. Le fait que les chambres fédérales votent la participation du pays à la guerre dès le mois d’août 1914 est une décision relativement bien accueillie, particulièrement par ceux qui étaient nés dans les îles britanniques et qui vont se porter volontaires en grand nombre.

Depuis la fin de la guerre sud-africaine de 1902, le Canada n’a que rarement pris part à des conflits d’envergure internationale. Si les Canadiens sont divisés sur la nature de leur contribution, leur engagement à l’effort de guerre ne fait aucun doute. Outre une aide financière conséquente pour la création d’hôpitaux en France et la mise en place d’une assistance aux familles des mobilisés canadiens servant dans les armées alliées, c’est surtout la capacité du pays à fournir une aide militaire immédiate qui fait défaut. L’effectif de l’armée régulière canadienne compte à peine 3 000 hommes et quelque 70 000 réservistes : le premier effort à fournir est de constituer une armée, charge donnée au ministre canadien de la Milice Sam Hughes, avec la mise en place d’un camp d’entraînement à Valcartier dès septembre 1914. Les 30 000 premières recrues reçoivent l’ordre de s’y rendre pour l’entraînement.

Le premier contingent du corps expéditionnaire canadien, constitué de 32 000 hommes, s’embarque pour la Grande-Bretagne au début d’octobre 1914 : composé à 70 % d’hommes nés dans les îles britanniques et récemment immigrés, on y compte environ 1 200 Canadiens français, dispersés dans l’ensemble des unités anglophones. Le corps des officiers est de même presque entièrement anglophone, Sam Hugues ayant en effet écarté du contingent les rares officiers supérieurs francophones membres de l’armée permanente.

À la demande d’une délégation, composée d’hommes d’affaires, de politiciens et de membres du clergé, est toutefois bientôt envisagée la création d’un bataillon exclusivement francophone, jugé nécessaire pour l’unité nationale. Le gouvernement donne officiellement son accord le 20 octobre 1914. Le 21, est en conséquence constitué le 22ième bataillon d’infanterie, connu sous le nom de régiment royal canadien-français ; son entraînement s’effectue à Saint-Jean-sur-Richelieu (banlieue de Montréal), avant son transfert à Amherst en Nouvelle-Écosse, le 12 mars 1915. Le 20 mai, les 1 200 officiers et soldats du 22ième embarquent à bord du Saxonia pour l’Angleterre. Durant l’été, ils s’entraînent dans le sud-est du pays, jusqu’à leur départ pour la France. Depuis Boulogne-sur-Mer, le 22ième bataillon arrive le 20 septembre en Belgique, non loin de la frontière française, où il est Intégré au sein de la 5ième brigade de la 2ième division canadienne.

Déployés dans le secteur d’Ypres au printemps de 1915, les soldats canadiens connaissent un baptême du feu d’autant plus pénible qu’ils sont victimes des premières attaques au gaz : la 1re division y perd la moitié de ses effectifs d’infanterie. Parvenues à colmater une brèche de plus de cinq kilomètres qui s’était ouverte au moment de l’assaut allemand, les troupes canadiennes acquièrent dès lors une réputation de force combattante tangible.

Un second contingent canadien part en Europe au début 1915, pour former la 2ième division d’infanterie. Après les entraînements d’usage en Angleterre, celle-ci rejoint la France en septembre. La présence sur le front de deux divisions permet la formation du corps expéditionnaire canadien, toujours sous commandement britannique avec le lieutenant-général E. A. H. Alderson, jusque-là commandant de la 1re division. Fin 1915, une 3ième division s’y joint, suivie d’une 4ième au mois d’août de l’année suivante.

C’est dans la Somme que les Canadiens, sous le commandement du lieutenant-général Julian Byng, vont véritablement confirmer leur réputation de troupes de choc. Déplacés plus au nord à la fin de 1916, ils reçoivent comme mission, pour la prochaine offensive du printemps 1917, de capturer la crête de Vimy. Pour la préparer, ils élaborent une incroyable logistique avec des tunnels, des voies ferrées, des reproductions à ciel ouvert des tranchées ennemies… C’est cette pédagogie militaire qui va distinguer la bataille de Vimy des précédentes.

La Première Guerre mondiale marque ainsi une étape cruciale dans le développement du Canada au plan international. Entré en guerre comme une simple colonie de l’Empire britannique, le Canada ajoutera sa signature sur le traité de Versailles quatre ans plus tard. Bien que purement symbolique, cette signature aura coûté quelque 65 000 soldats tués et plus de 180 000 blessés, pour un État qui ne comptait que huit millions d’habitants en 1914. 

Boulogne Société de géographie

Conférence de M. Salone, vice président de l’Alliance française, sur le Canada

Hier, au théâtre avait lieu la onzième conférence sur l’effort des Alliés. Le sujet choisi était le Canada ; le conférencier M. Salone [ note 1], professeur au lycée Condorcet, vice-président de l’Alliance française.

La séance était présidée par M. Barlet, vice-président de la Société de géographie, autour duquel avaient pris place : MM. le colonel Daru, gouverneur de Boulogne ; Haffreingue, adjoint au maire représentant la municipalité ; Carpentier, vice-président de l’Alliance française de Lille ; Didier, secrétaire général du comité de l’Alliance française de Boulogne ; Dulot, Francq.

En une délicate et savoureuse allocution très goûtée du public, M. le Président Barlet présente le conférencier auquel il donne la parole.

M. Salone dont la conférence sera écoutée avec la plus vive attention et coupée par les fréquents applaudissements du public, est un orateur méthodique, d’une clarté parfaite que l’on a plaisir et profit à entendre. Sa causerie est de celles qui portent, parce qu’il n’est personne qui ne l’ait suivie d’un bout à l’autre avec satisfaction et sans fatigue.

M. Salone ne s’embarrasse pas d’inutiles et oiseux préambules, de plain-pied, il entre dans le sujet.

Il commence par un rapide et substantiel historique de ce Canada que nous fit perdre la paix de 1763, que ne nous rendit pas celle de 1783 et où nous laissions 60 000 Français.

Le dualisme des races française et anglaise, les rivalités d’écoles, les luttes pour la langue firent un moment espérer à ces bons pangermanistes qui n’ont pas le don de la psychologie des foules que le Canada ne viendrait pas au secours de l’Angleterre dans le cas où la Grande-Bretagne se porterait à l’aide de la France.

Au Canada comme au Cap, les espérances des Barbares ont été déçues. Anglais et Français du Canada ont fait preuve à l’égard de la Mère Patrie du plus parfait loyalisme. Ce peuple de 8 000 000 d’habitants, appuyé par les ressources immenses d’un sol neuf, bénéficiant de l’autonomie politique depuis 1867, libre par conséquent de ses destinées, n’a pas hésité, dès le début, à se jeter bravement dans la lutte.

Dans le mois d’août 1914, les chambres canadiennes fédérales votent la participation du pays à la guerre. D’abord, on crut qu’un simple effort de charité suffirait et l’on créa, avec l’argent canadien un hôpital à Dinard, puis deux hôpitaux de 600 et de 1 500 lits à St-Cloud et à Troyes.

L’Association canadienne assura d’importants subsides (100 fr. par mois aux femmes, 60 fr. par mois aux enfants) aux familles des mobilisés canadiens servant dans les armées alliées.

La Croix-Rouge bénéficia de dons importants provenant à la fois des œuvres particulières, des villes de Québec et d’Ottawa, et de la Nation. Le distingué conférencier poursuit son très intéressant exposé par la lecture de lettres naïves et touchantes qui témoignent de la sincérité des sentiments d’amitié des Canadiens pour notre pays.

La lettre de l’abbé Chamberlon, prêtre canadien, qui se dit fier d’être français, qui se déclare prêt à partager ses pauvres guenilles avec ses chers cousins de la Mère Patrie et qui conclut par l’antique acclamation : Vive Dieu qui aime les Francs ! a un vif succès dans l’auditoire qui applaudit chaudement.

Mais, ajoute M. Salone, les Canadiens ne se sont pas contentés d’envoyer des lettres touchantes, ils ont expédié des soldats en France et dans les plaines de Flandre.

Les membres du gouvernement, les archevêques de Québec et de Montréal qui ne voulaient pas, disaient-ils, être Allemands, ont contribué, chacun pour leur part, à susciter et à encourager les énergies guerrières.

Les résultats de la patriotique propagande ont été magnifiques.

Dès septembre 1914, le Canada levait 30 000 hommes, chiffre initial qui devait bientôt passer à 50 000, puis à 100 000, puis à 250 000 pour atteindre 350 000 le 15 juillet 1916 ; 375 000 le 15 novembre de la même année et 500 000 hommes actuellement.

Le conférencier donne ensuite d’intéressants détails sur l’organisation des troupes, sur la participation des races ; il cite le Royal Canadien français dont tous les officiers, colonel Gaudet, capitaine Miot, etc., jusqu’au dernier des officiers subalternes, sont français et portent des noms français.

L’orateur très écouté, poursuit en montrant la transformation rapide de l’armée canadienne dont les soldats se classent au rang des plus intrépides.

Depuis la première fois qu’ils ont vu le feu et ressenti les effets du début des jets de gaz asphyxiants à Ypres, en mai 1915, ils se sont distingués partout où ils ont paru, Givenchy, à Festubert, à Thiepval. M. Salone glorifie comme il convient ces valeureux soldats, puis il termine sa remarquable conférence en signalant l’activité de l’arrière qui n’est pas inférieure à celle du front.

Non seulement la fourniture d’obus dépasse 1 200 000 par mois, mais le Canada nous envoie le zinc et le nickel et son effort financier se chiffre par 2 milliards.

Si l’on ajoute, qu’à l’heure actuelle, le Canada a perdu 74 000 hommes dont 18 000 ont été tués, on se rendra compte de l’intensité de l’effort produit par nos frères canadiens.

Cette remarquable conférence a été d’autant plus goûtée à Boulogne que voyant défiler sous nos yeux, depuis des mois, en un flot ininterrompu, les forces de l’Empire britannique qui passent des sources où elles naissent au front où elles combattent, ne s’arrêtant dans les camps que pour doubler leur remarquable puissance de choc par le repos, nous sommes heureux d’apprendre quelle solidité, que la cohésion donnent à ces admirables troupes coloniales la communauté de la gratitude envers la Grande-Bretagne et la solidarité de la haine contre les Barbares contempteurs du Droit !

Après que M. Francq, secrétaire général, eut remercié M. Salone pour sa brillante et instructive conférence, M. le président Barlet déclara la séance levée à 10 heures 1/2.

Le Secrétaire général 
H. FRANCQ.

La France du Nord, vendredi 26 janvier 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/96.

Notes

[ note 1] Émile-Auguste Salone : né à Paris le 12 avril 1858, décédé à la Savarière, commune de Landevieille (Vendée), le 18 août 1928. Archiviste paléographe en 1883, agrégé d’histoire en 1884, il enseigne au lycée Condorcet pendant trente et un ans (de 1893 à sa retraite). Il consacre ses recherches personnelles à l’histoire coloniale et maritime.

Membre correspondant de la société royale du Canada, il est lauréat de l’Académie française et a obtenu le prix Thérouanne en 1907, pour sa thèse sur La colonisation française au Canada. Organisateur dans un sa jeunesse d’un comité local de l’Alliance française à Nice, il devient secrétaire général et vice-président de l’Alliance française, est délégué par le ministre des Affaires étrangères pour venir faire la dixième conférence sur l’Effort de la France er de ses Alliés à Boulogne-sur-Mer.