Boulogne Société de géographie
Conférence de M. Salone, vice président de l’Alliance française, sur le Canada
Hier, au théâtre avait lieu la onzième conférence sur l’effort des Alliés. Le sujet choisi était le Canada ; le conférencier M. Salone [ note 1], professeur au lycée Condorcet, vice-président de l’Alliance française.
La séance était présidée par M. Barlet, vice-président de la Société de géographie, autour duquel avaient pris place : MM. le colonel Daru, gouverneur de Boulogne ; Haffreingue, adjoint au maire représentant la municipalité ; Carpentier, vice-président de l’Alliance française de Lille ; Didier, secrétaire général du comité de l’Alliance française de Boulogne ; Dulot, Francq.
En une délicate et savoureuse allocution très goûtée du public, M. le Président Barlet présente le conférencier auquel il donne la parole.
M. Salone dont la conférence sera écoutée avec la plus vive attention et coupée par les fréquents applaudissements du public, est un orateur méthodique, d’une clarté parfaite que l’on a plaisir et profit à entendre. Sa causerie est de celles qui portent, parce qu’il n’est personne qui ne l’ait suivie d’un bout à l’autre avec satisfaction et sans fatigue.
M. Salone ne s’embarrasse pas d’inutiles et oiseux préambules, de plain-pied, il entre dans le sujet.
Il commence par un rapide et substantiel historique de ce Canada que nous fit perdre la paix de 1763, que ne nous rendit pas celle de 1783 et où nous laissions 60 000 Français.
Le dualisme des races française et anglaise, les rivalités d’écoles, les luttes pour la langue firent un moment espérer à ces bons pangermanistes qui n’ont pas le don de la psychologie des foules que le Canada ne viendrait pas au secours de l’Angleterre dans le cas où la Grande-Bretagne se porterait à l’aide de la France.
Au Canada comme au Cap, les espérances des Barbares ont été déçues. Anglais et Français du Canada ont fait preuve à l’égard de la Mère Patrie du plus parfait loyalisme. Ce peuple de 8 000 000 d’habitants, appuyé par les ressources immenses d’un sol neuf, bénéficiant de l’autonomie politique depuis 1867, libre par conséquent de ses destinées, n’a pas hésité, dès le début, à se jeter bravement dans la lutte.
Dans le mois d’août 1914, les chambres canadiennes fédérales votent la participation du pays à la guerre. D’abord, on crut qu’un simple effort de charité suffirait et l’on créa, avec l’argent canadien un hôpital à Dinard, puis deux hôpitaux de 600 et de 1 500 lits à St-Cloud et à Troyes.
L’Association canadienne assura d’importants subsides (100 fr. par mois aux femmes, 60 fr. par mois aux enfants) aux familles des mobilisés canadiens servant dans les armées alliées.
La Croix-Rouge bénéficia de dons importants provenant à la fois des œuvres particulières, des villes de Québec et d’Ottawa, et de la Nation. Le distingué conférencier poursuit son très intéressant exposé par la lecture de lettres naïves et touchantes qui témoignent de la sincérité des sentiments d’amitié des Canadiens pour notre pays.
La lettre de l’abbé Chamberlon, prêtre canadien, qui se dit fier d’être français, qui se déclare prêt à partager ses pauvres guenilles avec ses chers cousins de la Mère Patrie et qui conclut par l’antique acclamation : Vive Dieu qui aime les Francs ! a un vif succès dans l’auditoire qui applaudit chaudement.
Mais, ajoute M. Salone, les Canadiens ne se sont pas contentés d’envoyer des lettres touchantes, ils ont expédié des soldats en France et dans les plaines de Flandre.
Les membres du gouvernement, les archevêques de Québec et de Montréal qui ne voulaient pas, disaient-ils, être Allemands, ont contribué, chacun pour leur part, à susciter et à encourager les énergies guerrières.
Les résultats de la patriotique propagande ont été magnifiques.
Dès septembre 1914, le Canada levait 30 000 hommes, chiffre initial qui devait bientôt passer à 50 000, puis à 100 000, puis à 250 000 pour atteindre 350 000 le 15 juillet 1916 ; 375 000 le 15 novembre de la même année et 500 000 hommes actuellement.
Le conférencier donne ensuite d’intéressants détails sur l’organisation des troupes, sur la participation des races ; il cite le Royal Canadien français dont tous les officiers, colonel Gaudet, capitaine Miot, etc., jusqu’au dernier des officiers subalternes, sont français et portent des noms français.
L’orateur très écouté, poursuit en montrant la transformation rapide de l’armée canadienne dont les soldats se classent au rang des plus intrépides.
Depuis la première fois qu’ils ont vu le feu et ressenti les effets du début des jets de gaz asphyxiants à Ypres, en mai 1915, ils se sont distingués partout où ils ont paru, Givenchy, à Festubert, à Thiepval. M. Salone glorifie comme il convient ces valeureux soldats, puis il termine sa remarquable conférence en signalant l’activité de l’arrière qui n’est pas inférieure à celle du front.
Non seulement la fourniture d’obus dépasse 1 200 000 par mois, mais le Canada nous envoie le zinc et le nickel et son effort financier se chiffre par 2 milliards.
Si l’on ajoute, qu’à l’heure actuelle, le Canada a perdu 74 000 hommes dont 18 000 ont été tués, on se rendra compte de l’intensité de l’effort produit par nos frères canadiens.
Cette remarquable conférence a été d’autant plus goûtée à Boulogne que voyant défiler sous nos yeux, depuis des mois, en un flot ininterrompu, les forces de l’Empire britannique qui passent des sources où elles naissent au front où elles combattent, ne s’arrêtant dans les camps que pour doubler leur remarquable puissance de choc par le repos, nous sommes heureux d’apprendre quelle solidité, que la cohésion donnent à ces admirables troupes coloniales la communauté de la gratitude envers la Grande-Bretagne et la solidarité de la haine contre les Barbares contempteurs du Droit !
Après que M. Francq, secrétaire général, eut remercié M. Salone pour sa brillante et instructive conférence, M. le président Barlet déclara la séance levée à 10 heures 1/2.
Le Secrétaire général
H. FRANCQ.