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Nous nous excusons pour la gêne occasionnée.

L’Alsace-Lorraine de l’abbé Wetterlé

Carte postale couleur représentant deux femmes en habit traditionnel, se soutenant mutuellement.

Alsace-Lorraine, carte postale. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Num 01 30/156.

Le 19 juillet 1870, l’empereur Napoléon III déclare la guerre à la Prusse, par suite des provocations orchestrées par le ministre prussien des Affaires étrangères Otto von Bismarck. Six mois plus tard, Paris demande un armistice de quatre semaines. Vaincue, la France s’incline définitivement le 10 mai 1871 lors du traité de Francfort. Elle cède au vainqueur l’Alsace ainsi qu’une partie de la Lorraine (la quasi-totalité de la Moselle). Ces territoires deviennent un Reichsland, c’est-à-dire une terre d’Empire n’ayant pas les mêmes droits que les 25 Länder formant la nouvelle Allemagne.

Ils connaissent une profonde mutation, avec d’importants flux migratoires vers la France et les États-Unis. Pour compenser ces départs massifs, de nombreux Allemands viennent s’y installer, en particulier dans les grandes villes et les cercles ruraux du Bas-Rhin. En 1910, ils représentent un dixième de la population.
Pour parfaire le processus de germanisation, une lutte anti-française particulièrement active est mise en place. Elle se caractérise par des actions de police, des expulsions, des procès politiques ou encore des dissolutions d’associations. À partir de 1888, date de l’arrivée de Guillaume II, ce régime se durcit encore davantage.

Des contestations s’élèvent alors, comme celle d’Émile Wetterlé (1861-1931), conférencier invité à la Société de géographie de Boulogne-sur-Mer le dimanche 1er octobre 1917. Ordonné en 1885, ce militant protestataire natif de Colmar paraît néanmoins s’intéresser plus au journalisme et à la politique qu’aux questions religieuses.
Dirigeant Le Journal de Colmar depuis 1893, il le transforme en quotidien en 1908, sous le titre de Nouvelliste d’Alsace-Lorraine. Dans ces feuilles, l’abbé Wetterlé promeut l’extension des libertés de l’Alsace-Lorraine et le maintien des traditions et de la langue française, tout en aspirant à une entière autonomie de l’Alsace.
Pour mener ce combat, il se fait élire conseiller général du canton de Colmar en 1897, puis député autonomiste au Reichstag de 1898 à 1914. Ses idées d’émancipation lui valent une incarcération en 1909. Lorsqu’éclate la guerre, il rejoint la France pour chercher des soutiens et développer sa propagande anti-germaniste. Là, il donne une série de conférences à partir de 1915 où il affirme que l’Alsace et la Lorraine n’ont pas oublié leur mère patrie et qu’il faut résister contre l’Allemagne.
Après-guerre, il est élu député français du Haut-Rhin de 1919 à 1924, mais renonce à poursuivre sa carrière politique en raison de son caractère trop tranché. Il devient alors conseiller ecclésiastique à l’ambassade de France au Vatican.

La conférence de M. l’abbé Wetterlé         

Parmi les nombreux représentants de l’Alsace-Lorraine qui se sont signalés à l’attention et à la reconnaissance des Français par leur attachement à leur pays d’origine et leur attitude aussi courageuse qu’énergique en face du pouvoir allemand, l’abbé Wetterlé, député de Ribeauvillé au Reichstag, était, bien avant la guerre, célèbre en France, par les tracasseries et les persécutions qu’il a subies.

[…] C’est M. Barlet, principal du collège Mariette et président de la société de géographie qui présente le conférencier à son nombreux et distingué auditoire.
Il esquissa, à grands traits la carrière de l’abbé Wetterlé, dont un des adversaires a dit qu’il était le principal obstacle à la germanisation de l’Alsace. Il salua en lui le prêtre et le patriote alsacien. […]
Inutile de dire que l’abbé Wetterlé fut salué par les applaudissements prolongés du public.

Le peuple alsacien, dit-il, est aujourd’hui aussi français qu’en 1871, peut-être même la séparation a-t-elle accentué son amour pour la France.
Pourtant, le conférencier a entendu émettre des doutes sur le patriotisme des Alsaciens-Lorrains. Un accueil froid et même hostile, parfois, aurait été réservé à nos soldats en 1914, en Alsace. Mais sait-on que sur 1 800 000 habitants, il y a près de 400 000 Allemands émigrés ? Sans doute les Alsaciens n’ont pas émigré en 1871. Mais honneur à ceux qui sont restés plutôt que de faire place aux Allemands.           

Il y a des Alsaciens dans l’armée allemande, mais c’est contre leur gré. Surpris par les événements ils n’ont pu passer assez tôt la frontière.
Peut-on leur reprocher vraiment leur mauvais français et leur accent détestable ?
Les officiers allemands eux-mêmes ont toujours déclaré qu’en Alsace-Lorraine ils se sentaient en pays ennemi.
Nous ne pouvons donc pas douter du patriotisme des Alsaciens-Lorrains.           

Entrant dans le vif de son sujet, le conférencier vient nous dire pourquoi il faut tenir jusqu’au bout.
L’Allemagne désire la paix. Pourquoi ? Parce que ses effectifs sont usés, ses finances dans un état voisin de la faillite et que le blocus fait cruellement sentir ses effets.
L’usure des effectifs est évidente. Depuis septembre 1914 et Charleroi, l’armée allemande malgré la supériorité de son artillerie n’a pu obtenir aucune victoire sur notre front.
Les Serbes, les Roumains, les Italiens, les Belges, l’Amérique elle-même sont venus se ranger aux côtés des Alliés. Aujourd’hui les proportions sont renversées et nous avons la supériorité du nombre et de l’armement. Ce n’est pas l’heure de négocier. La victoire peut et doit s’obtenir sur le champ de bataille. (Applaudissements).           

Les finances allemandes ne sont rien moins que brillantes. Les ministres eux-mêmes ne se cachent pas pour le dire.
L’Allemagne a faim. C’en est fini de la complicité des neutres.
L’orateur cite des faits impressionnants qui semblent indiquer que c’est la famine et que la fin approche.
Nous sommes, déclare l’éminent conférencier, à la veille d’événements sérieux. L’Allemagne cherche à gagner sur le terrain diplomatique ce qu’elle n’a pu gagner par les armes.
C’est le moment d’être plus que jamais sur nos gardes.           

L’abbé Wetterlé s’élève également contre le projet de soumettre à un plébiscite le retour de l’Alsace-Lorraine à la France.
Ces deux provinces sont françaises de par leur consentement, depuis le dix-septième siècle.           

Le conférencier formule quelques vœux. Il faudra, déclare-t-il, reculer la zone dangereuse et empêcher l’Allemagne d’entretenir des forces sur la rive gauche du Rhin. Il faudra exiger une indemnité. Il faut que l’Allemagne paie ce qu’elle a détruit. Elle le peut par ses chemins de fer, ses mines, ses biens domaniaux, l’impôt sur la fortune, la suppression du budget de la guerre, que sais-je encore.
Si nous nous montrons trop indulgents, dans 15 ans, ce sera une nouvelle guerre.
Cette guerre doit être conduite jusqu’au bout. Nous le devons à nos morts dont le sacrifice ne peut avoir été inutile.
"Il faut tenir, malgré toutes les épreuves. Abandonner serait une trahison pour le passé et pour l’avenir !"            

La salle a fait, sur ces dernières paroles une chaleureuse ovation à l’orateur.
Puis, M. Barlet donne la parole à M. Franck secrétaire de la société de géographie qui remercie l’abbé Wetterlé de sa superbe conférence, en termes d’une haute tenue littéraire.

Et la musique du détachement de Boulogne se fit entendre une fois de plus, dans une "Valse lente", composition de M. Georges Carpentier, son distingué chef.
Par deux fois, nous applaudissons de nouveau Mlle Champion, dans "Virlay d’Alsace" et "À la frontière" [ note 1].
Un élève du collège Mariette dont nous aurions voulu ne pas taire le nom, vint déclamer avec un art parfait, une poésie inédite, "À nos aïeux", qui fut très applaudie.
Cette manifestation patriotique qui laissera un profond souvenir se termine par le chant de la "Marche-Lorraine" par M. Reverdy avec accompagnement de la musique militaire.         

C.

Le Télégramme, mardi 2 octobre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/28.

Notes

[ note 1] Sans certitude, mais ces deux titres sont des chansons de Marcel Legay, 1851-1915, né à Ruitz (A la frontière, 1887, texte de Delvallé ; Virelai d’Alsace, 1896, texte de Louis Hérel.