Archives - Pas-de-Calais le Département
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L’effort des alliés et le tunnel sous-marin

Camions du ravitaillement anglais sur une place d'une vill du Pas-de-Calais pendant la Grande Guerre : carte postale noir et blanc.

Les "torries" (auto-camion) du ravitaillement anglais : carte postale. Archives départementales du Pas-de-Calais, 12 J 356/56.

La Première Guerre mondiale a sans doute été le premier conflit industriel de l'histoire : la capacité des entreprises, françaises et anglaises en particulier, à innover et à produire en quantité les armements et munitions nécessaires aura fortement contribué à la victoire.

Dès la fin de septembre 1914, l'état-major français réclame 100 000 obus par jour, un défi majeur lorsqu'on sait que les régions du Nord et de l'Est de la France, fournissant une part importante de la production de charbon, d'acier et de fonte (67 % du charbon pour le Nord et le Pas-de-Calais en 1913), sont occupées par l'ennemi. Pour y répondre, l'État mobilise les industriels et crée sept groupements régionaux à l'automne 1914, autour des grands établissements sidérurgiques, métallurgiques et mécaniques. Chargés de dialoguer avec les militaires, ils reçoivent les commandes, organisent et se partagent la production. Si certains poursuivent leurs activités habituelles en augmentant néanmoins les cadences et le rendement en vivres, habillement ou équipements, d'autres mettent leurs outils de production au service de la fabrication d'armes ou de munitions, tandis que d'autres encore modernisent leurs avions, voitures ou camions et en réalisent des versions adaptées à un usage militaire. Les matières premières sont quant à elles contrôlées par les États, qui fournissent des avances destinées à la conversion des usines. Les métaux étant réquisitionnés dans toute l'Europe, ce sont les Alliés qui achètent massivement en Amérique du Nord. La cogestion de la production en temps de guerre est surtout l'occasion de rapprochements fructueux entre les États et le patronat.

Cet aspect économique et industriel de la guerre entraîne un autre défi, sociétal cette fois, en raison de la mobilisation de millions d'hommes issus du milieu ouvrier, départs qui ont rendu nécessaire la fermeture d'entreprises faute de main-d'œuvre qualifiée ou la mise au chômage de millions de jeunes ou de personnes trop âgées pour aller combattre. Pour répondre aux commandes, les industriels français obtiennent, grâce à la loi Dalbiez, que les ouvriers qualifiés reviennent du front pour aider à la relance de l'industrie. L'armée refusant de dépeupler le front, il est fait appel à la main d'œuvre coloniale, aux volontaires étrangers et aux femmes, qui représentent jusqu'à 80 % des effectifs dans certains ateliers.

Pour financer la guerre, les belligérants doivent emprunter auprès d'autres nations, les États-Unis notamment, auprès de banques des nations neutres et surtout auprès de leurs propres populations. La situation amène de vifs débats entre les parlementaires et leur gouvernement : à bien des égards, la politique française reste moins contraignante que celle adoptée à Londres, par exemple. Tous les champs d’intervention et d'intérêt de la puissance publique étant concernés, on peut dire que sur le continent européen, pour la première fois, des nations entières sont plongées dans un conflit majeur et doivent en assumer toutes les implications quotidiennes.

La France et ses Alliés ont aussi à faire face au problème posé par la crise des transports. La relance du projet de tunnel sous la Manche paraît ainsi d’autant plus nécessaire, comme l’évoque Charles Brun, lors de sa conférence à Boulogne-sur-Mer.

Société de géographie de Boulogne-sur-Mer

L’effort des alliés et le tunnel sous-marin

Conférence de M. Charles Brun

La vingtième et dernière conférence de la saison a eu même succès et même éclat que ses devancières. Beaucoup de musique, beaucoup de monde, beaucoup de fraîches toilettes et une floraison de communications diverses.

La séance est présidée par M. Barlet.
Sur la scène ont pris place : MM. Certeux, sous-préfet, Haffreingue, adjoint au maire représentant la Municipalité, Dulot, Hieulle, Baclez, Francq.

Avant que soit donnée la parole à M. Charles Brun, la Musique de la Place exécute de façon impeccable les différents hymnes des Alliés que le public écoute debout.
Comme c'est aujourd’hui la fête anniversaire de l'Indépendance des États-Unis, la musique militaire a eu la délicate attention de jouer en bonne place l'hymne de nos alliés qui est chaleureusement applaudi par l’assistance.

Puis viennent les communications. M. Baclez se fait l'écho éloquent des appels des Comités et de Xavier Privas contre l'alcool et la Pornographie.
MM. Roger Leroy et Charles Hauw donnent au public un avant-goût du talent souple et délicat du conférencier, en détaillant avec bonheur deux de ses plus expressives poésies : le Sang des Vignes et les Belles au Bois Dormant.

Enfin, M. le Président Barlet donne la parole à M. Charles Brun.

Nous n'avons pas à présenter ici M. Charles Brun, il est connu du public boulonnais qui récemment applaudissait cet orateur de race dont l'esprit souple et alerte s'adapte à tous les genres, évoluant à son aise à travers tous les sujets, soit qu'il les choisisse, soit qu'on les lui propose.

M. Charles Brun dans sa conférence, sur l'effort Industriel des Alliés a été égal à lui-même, c'est le plus bel éloge que l'on puisse faire de son rare talent.
Le succès de l'orateur a été très grand, comme partout où il passe, et le public dont il a l'oreille et dont il tient le cœur ne lui a pas ménagé des applaudissements.

Après avoir rendu hommage aux milices américaines qui défilent devant les Parisiens frémissants, M. Charles Brun à la grande satisfaction du public aborde le premier de ses sujets : l'Effort Industriel des Alliés.

Nous n'en sommes plus, dit-il, au temps des chevauchées épiques de Murat et de Lasalle, au temps où l'effort industriel était l'antithèse de l'effort guerrier. Aujourd'hui, la guerre devenue essentiellement industrielle se résume en un duel formidable d'usines qui ne doivent cesser de fournir à pleins fourgons explosifs et munitions, sous peine de rendre inutile et impuissant l'héroïsme de nos soldats.

La France et ses Alliés avaient à faire face à un double et formidable problème posé par la double crise des transports et du Crédit. Ce problème a été résolu par la méthode suivante :

  1. Établissement d'un répertoire des ressources industrielles des pays alliés.
  2. Organisation scientifique de ces richesses.
  3. Constitution de ministères des munitions et de l'armement dont les actifs titulaires ont été M. Albert Thomas pour la France, M. Lloyd George pour l'Angleterre.

La question ainsi posée, M. Charles Brun, dans un superbe mouvement d'éloquence, évoque le spectacle émouvant de l'activité surhumaine, de la patriotique ardeur déployées par tous les ouvriers de France qu'ils travaillent à Tulle ou à Bourges, à Roanne ou à Saint-Chamond, à Saint-Étienne ou à Sèvres.

L'esprit de guerre, dit l'orateur très applaudi, s'est emparé des patrons et des ouvriers, réalisant dans l'usine l'Union Sacrée.
L'usine de guerre, poursuit M. Charles Brun redonne au travail d'aujourd'hui la signification spirituelle qu'il avait au Moyen-Age.
La probité professionnelle, l'amour de faire bien, égalent l'esprit de sacrifice, de désintéressement et de foi qui animaient nos ancêtres, les constructeurs de cathédrales.
Nos mécaniciens de guerre voient au-delà du fer qu'elles travaillent le Destin de la France.

Une fureur sacrée anime les âmes des ouvriers et c'est dans un style d'une violence presque biblique que le président des Dockers Anglais adresse à ses camarades le manifeste dans lequel il les exhorte à ne pas chômer le jour de Pentecôte.

Parvenus à cette hauteur, remarque M. Charles Brun, il n'est plus que la poésie qui puisse nous élever encore davantage et, salué par les vifs applaudissements de l'assistance, l'éminent conférencier dit avec feu une poésie du poète belge Verhagen : les Ailes Rouges de guerre.

Ne maudissons pas la science, observe M. Charles Brun, cette guerre ne s'est parée de son nom que pour mieux assurer le châtiment du crime et le triomphe des idées élémentaires pour lesquelles nous combattons tous.

Puis, le conférencier entrant dans le détail de l'effort industriel des Alliés, décrit le Creusot, les usines d'Angleterre, de Chicago ou d'Italie : il montre l’activité métallurgique des États-Unis dont la production de fonte passe de 30.000.000 de tonnes en 1912, à 39.000.000 en 1916.

Il exprime par des chiffres impressionnants l'effort prodigieux de la France, qui, produisant en août 1914 une quantité d'explosifs égale à 100 est passée successivement à 1.400 en mai 1915 ; à 3.500 en décembre 1915 ; à 4.400 en mars 1916 ; à 6.500 en juillet 1916. Tandis qu'aux mêmes périodes sa fabrication en mitrailleuses passait du chiffre comparatif 100 en août 1914, à 2.300 en mai 1915 ; à 5.500 en décembre 1915 ; à 9.800 en mars 1916 ; à 13.630 en juillet 1916 pour atteindre 16.430 en octobre 1916.

Pour la production des fusils même activité, elle est actuellement 30 fois plus forte qu'au début de la guerre. Et la proportion des canons s’élève de 100 à 3.220.
Tel est le formidable effort industriel fourni par la France seule. Et l'on se fera une idée des moyens mis à la disposition des armées en remarquant que nos alliés marchent d'un pas égal dans la voie de la production du matériel de guerre.

Gardons pour l'après-guerre, poursuit le conférencier, le goût du travail, l'esprit d’invention.

Les Allemands ont trouvé le moyen de faire des locomotives sans cuivre, de remplacer le coton par le bois, de fabriquer le caoutchouc par synthèse. Sachons-nous autres, trouver les industries de remplacement qui nous affranchissent du concours industriel germanique, utilisons les leçons de la guerre en transformant, par exemple, nos fabriques d'explosifs en usines à matières colorantes, en renonçant au malthusianisme économique qui nous faisait restreindre notre production ; il faut que la France devienne exportatrice, qu'elle multiplie son activité intelligente par le développement de l'Instruction technique, qu'elle la féconde par la création de laboratoires nationaux d'applications pratiques des découvertes scientifiques.
L'alliance étroite de la Science et de l'Industrie doit être la règle de l'Industrie moderne.

Cette conférence fortement documentée, d'un poignant intérêt actuel vaut à M. Charles Brun, une véritable ovation de la part du public.

Mais l'orateur n'a pas fini. Sans même relayer, il continue sa course, il n'a pas épuisé le programme qui lui a été tracé. L'affiche inexorable porte : le Tunnel Sous-Marin ; pour ne pas faire mentir l'affiche, M. Charles Brun s'exécute, et, en quelques minutes, il expose les raisons en faveur du tunnel, les objections des adversaires, la technique des ingénieurs.
L'orateur dit quels ont été les résultats des sondages. Ils ont prouvé que sous la double couche crétacée et argileuse se trouve une couche cénomanienne épaisse de 60 mètres, dure comme la pierre à ciment, aussi facile à percer que le bois soumis à la morsure d'une lanière. Les sondages opérés par les géologues entre Calais et Wissant prouvent donc la possibilité du percement du tunnel.

Sa longueur serait de 48 km., le cubage des terres à enlever serait de 2.600.000 mc.
 La durée du travail serait de 7 ans, la dépense prévue s’élèverait à 400.000.000 de francs, le coût du kilomètre ne dépasserait pas 8.000.000 de francs.

Tels sont les intéressants détails que nous devons à l'obligeance de M. Charles Brun qui n'a pas reculé devant l'effort supplémentaire qui lui était demandé pour que le programme de la soirée correspondît aux promesses trop généreuses de l'affiche.

Le public a montré par ses applaudissements chaleureux et répétés à quel point il savait gré à M. Charles Brun de sa bonne grâce.

M. Francq, secrétaire général, remercie ensuite M. Charles Brun au nom de la Société de Géographie et il assure de la gratitude du public M. Barlet, l'infatigable organisateur des vingt conférences, qui depuis un an, ont été données au théâtre de Boulogne sur l'Effort de la France et de ses Alliés.

Après un dernier morceau brillamment enlevé par la musique militaire, la séance est levée et l'assistance se sépare. Il est onze heures.

H. FRANCQ
Le Secrétaire Général

La France du Nord, vendredi 6 juillet 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/96.