Conférence du lieutenant Maury sur l’effort militaire français
Dimanche à trois heures et demie avait lieu, devant un très nombreux public, dans la salle du service de santé, 47 rue Beaurepaire, la conférence, depuis longtemps promise, sur l’effort militaire français.
Disons tout de suite que M. le lieutenant Maury a eu le plus grand et le plus légitime succès.
Dans la salle, les notabilités civiles et militaires avaient répondu à l’appel de M. le Président Barlet. […]
M. Barlet présente le lieutenant Maury en des termes pleins de bonne humeur et d’esprit. […]
L’orateur, très applaudi, montre le rôle joué par l’usine dans cette guerre où le duel des métallurgies remplace les chevauchées épiques des Murat et des Lassalle.
À un peuple qui a fait de la guerre une industrie, il convenait d’opposer une guerre industrielle. C’est à quoi s’est appliquée avec une touchante abnégation la laborieuse population de France, les combattants de l’arrière qui ont fourni à ceux de l’avant, dans les usines improvisées, remplaçant celles qui étaient tombées au pouvoir de l’ennemi, tout ce qui manquait à nos soldats : mitrailleuses, autos-mitrailleuses, autos-camions, obus.
L’ennemi, étourdi par le coup rude et imprévu de la Marne, affaibli par la perte de sa jeunesse qui avait succombé sur l’Yser, laissa à notre pays le temps de se reprendre et de s’organiser.
L’ennemi nous avait ravi 95 de nos hauts-fourneaux sur les 127 que nous possédions ; il nous avait enlevé 50 % de nos charbons ; 90 % de notre minerai de fer ; 80 % de notre fonte.
Les merveilleuses facultés d’improvisation de notre race suppléèrent à tout ; le génie de la France fit surgir non seulement à Saint-Étienne et au Creusot, mais à Lyon, à Marseille, dans le sud-ouest les usines peuplées de nos ouvriers rappelés du front, alors que l’armée anglaise ne comptait que 100 000 hommes et que l’Italie n’était pas entrée dans la lutte.
Et, chose admirable, ce peuple qui supportait à lui seul la pression allemande, produisait assez pour fournir de matériel les alliés russes et serbes qui en manquaient.
On ne saura jamais assez ce que la France doit aux poilus de 1914, qui passèrent l’hiver sans abris et qui résistèrent à l’Allemand presque sans fils barbelés, sans mitrailleuses, sans mortiers de tranchées, sans avions, sans ballons.
On se rendra compte de l’effort fourni si l’on considère que d’une proportion de 100 mitrailleuses en 1914, on est passé à 9 000 en 1916 ; et d’une proportion de 100 obus à 3 000 obus.
Au début de la guerre, nous produisions par jour 13 000 obus de 75 ; en 1917, il sort de nos usines, quotidiennement, 250 000 obus de 75 et 100 000 obus lourds.
Ces chiffres impressionnants expliquent comment nous avons pu submerger les lignes allemandes sous une telle tempête de feu et de fer, que, aujourd’hui, chaque mètre de tranchée ennemie reçoit une moyenne de 1 500 kilos de projectiles qui pulvérisent les défenses et enterrent les fils de fer.
L’activité de nos métallurgies nous permet actuellement une dépense de 6 à 7 000 000 de coups par mois.
Et cette avalanche de projectiles nous permet d’économiser les vies humaines, au point que les pertes qui étaient dans nos régiments de 5,41 % à Charleroi et à la Marne sont tombées en 1916 à 1,38 %. Et non seulement la production nationale suffit à cette formidable consommation, mais la Russie n’a pas reçu mensuellement moins de 16 000 000 de kilos d’acier ; mais l’Italie, la Serbie, la Roumanie ont toutes dû à l’aide française de pouvoir résister à la poussée allemande.
L’effort industriel se poursuit chaque jour et notre effort militaire correspondant, l’emportera fatalement sur la ténacité des masses ennemies.
Très applaudi, le lieutenant Maury poursuit son très intéressant exposé en montrant les différences profondes qui existent entre l’armée de 1914 et celle d’aujourd’hui.
Nos régiments actuels ne ressemblent plus à ceux qui ont combattu au début des hostilités.
Une compagnie d’infanterie est en 1917 une réunion de spécialistes. Elle comprend 14 à 16 équipes de fusiliers-mitrailleurs ; 16 tromblonniers ; 4 escouades de grenadiers, des signaleurs, des téléphonistes, des observateurs, des agents de liaison, des pionniers. La poignée d’hommes qui reste constitue le corps des voltigeurs.
La compagnie est une véritable usine, où se pratique la division du travail et où chacun est employé selon ses aptitudes.
Voilà les transformations profondes que les nécessités de la guerre moderne ont fait subir à la compagnie, au bataillon, au régiment, à la division. […]
L’armée française est arrivée aujourd’hui à une unité de composition et de tactique qui donne aux soldats une force et une foi sans égale.
L’habileté de nos spécialistes est si généralement reconnue que nos alliés russes, américains, italiens, nous demandent de leur fournir des officiers et des généraux.
Le général Bertheloot a réorganisé l’armée roumaine et les généraux Foch et Fayolle sont partis pour le front italien, tandis que des officiers français initient nos alliés d’Amérique aux secrets de la guerre moderne. […]
Nous souhaitons aux amateurs de sobre éloquence d’avoir souvent l’occasion d’entendre une conférence ainsi faite… par ordre.
Quant à nous, nous adressons au trop modeste lieutenant Maury, avec tous nos compliments, l’expression du désir de l’entendre encore dans notre ville. […]