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La Journée pour les tuberculeux

Autrefois appelée peste blanche, la tuberculose est une maladie infectieuse du poumon et de ses membranes. Contagieuse voire mortelle, elle est la conséquence directe de l'infection par le bacille de Koch. Entre 1914 et 1918, près de 150 000 cas avérés sur 400 000 cas suspects sont diagnostiqués dans les armées françaises, causant la mort de 40 000 combattants. La France, particulièrement touchée, passe du 5ième au 2ième rang des pays les plus exposés.

Favorisée par les conditions de vie et l’hygiène déplorable des tranchées, la maladie se répand dès le début de la guerre de position, notamment à l’automne 1914 et jusqu’à la fin de 1915. La plupart des malades, déjà dans un état critique, sont réformés et ce, sans même obtenir la reconnaissance du  statut de "blessé de guerre", et sans le versement d’une quelconque pension. Dès le retour au foyer, ces hommes, généralement pauvres, incapables de travailler ou encore ignorant la maladie, contaminent leur entourage.

L’épidémie constitue dès lors la priorité des courants hygiénistes, qui ne cessent de se multiplier en ce début du XXe siècle. Le 25 mars 1915, dans son intervention à l’Assemblée nationale, le Professeur Landouzy (1845-1917), éminent phtisiologue et doyen de la Faculté de médecine de Paris, dénonce les dangers de la contagion ; en effet, les anciens réformés sont incorporés sans vérification de leur contagiosité et quelquefois à un stade déjà bien avancé de la maladie.

En l’absence de traitement spécifique, la priorité porte sur l’isolement des malades dans des structures appropriées. Les pouvoirs publics se dotent de nouveaux moyens d’action, en 1916 avec le vote de la loi Léon Bourgeois sur les dispensaires antituberculeux et en 1919 avec la loi Honnorat sur les sanatoriums. La loi du 18 octobre 1915 porte sur l’ouverture d’un crédit de 2 millions pour assistance aux militaires en instance de réforme ou réformés pour tuberculose . En 1916, le budget alloué est de 4 millions. Ces fonds sont affectés à la création et au fonctionnement d’hôpitaux et de stations sanitaires. Dans les premiers, sont soignés les tuberculeux dits "évolutifs", tandis que les stations sanitaires sont dédiées à l’accueil des tuberculeux "ouverts" et à l’éducation à une hygiène adaptée. Dans les départements, des comités spéciaux d’assistance sont également créés autour d’un comité central.

En raison de son statut non reconnu de blessé de guerre, le tuberculeux reste l’exclu des cérémonies réservées aux mutilés. Par ailleurs, son côté contagieux ne correspond en aucun cas aux images véhiculées par la guerre. Afin de sensibiliser les habitants à ce fléau et au mouvement hygiéniste, le Comité central d'assistance aux anciens militaires tuberculeux (sous le patronage du comité du Secours national) organise le 4 février 1917 une "Journée pour les tuberculeux" dans l’optique de récolter des fonds.
Elle s’intègre dans le calendrier des autres journées lancées à l’échelle nationale : "Journée Croix-Rouge et prisonniers", "Journée nationale des orphelins de guerre", "Journée des éprouvés", etc. Annoncés par de grandes affiches, ces appels au public sont organisés de manière récurrente. 

La Journée du 4 février pour les tuberculeux

Contre le plus grand des fléaux

Tous ceux que les problèmes d’après-guerre préoccupent songent dès maintenant à proclamer la nécessité de la lutte contre tout ce qui affaiblit ou détruit la fibre de notre race.

Jamais l’alcoolisme n’a subi d’assauts plus rudes ni mieux concertés. Jamais les questions d’hygiène n’ont été discutées avec plus de fougue ni de passion. Il faut sauver la race, il faut repeupler la France, il faut réparer le mal que la guerre a fait. Voilà ce qu’on dit, voilà ce qu’on pense, parmi les gens qui ont la force de penser.

Mais il y a, de par le monde, un fléau auquel on n’a pas assez songé jusqu’ici et contre lequel on n’a point pris suffisamment la peine de s’armer : c’est la tuberculose. Pourquoi l’a-t-on négligé ?

Nous sera-t-il permis de le dire sans risquer de nous faire lapider : c’est qu’il s’agit d’une maladie. On a pour s’occuper des maladies, en dehors du monde de la science, une instinctive et irraisonnable répulsion ! C’est évidemment une question d’éducation du peuple, on a l’air de considérer les maladies comme des déchéances morales ; on a honte de les avoir, d’en parler, de s’en occuper ! Les vices ne sont pas des tares dans l’opinion du vulgaire, ce sont des petits travers propres à la nature humaine pour lesquels l’indulgence est de mise. L’ivrognerie apparaît comme un défaut préjudiciable à la  santé sans doute mais tolérable encore s’il est modéré. Il est permis de l’avouer et en même temps de s’en préoccuper et de s’employer à en empêcher toute dangereuse généralisation. Mais la maladie, quelle qu’elle soit, est une chose malpropre dont il n’est pas séant de parler dans le monde ; une chose triste dont il n’est pas agréable de s’entretenir en dînant, une chose humiliante dont on ne saurait se vanter. C’est pourquoi on l’avoue le plus tard possible et on ne songe à la combattre qu’alors qu’il n’est plus temps.

La lutte contre la tuberculose n’était donc pas menée avant la guerre, beaucoup s’en faut, avec l’énergie désirable. Croirait-on qu’en 1913, alors qu’il y avait plus de 80 000 décès par suite de la terrible maladie, il fut procédé seulement à 6 000 analyses, mais le grand conflit a rendu évidents les ravages du fléau et montré quelle menace il constitue pour l’avenir de notre race. Les tuberculeux que l’armée réforme sont tellement nombreux que le triste phénomène ne pouvait manquer d’impressionner l’opinion.

D’autre part, comme les malades militaires étaient, suivant l’expression du docteur Landouzy, « des blessés de la tuberculose », des blessés au service de la patrie, leur mal a pris de la noblesse et l’on a senti qu’envers eux aussi le devoir de reconnaissance nationale s’imposait.

Enfin le danger qu’ils présentent pour le public à cause du caractère contagieux, sinon héréditaire, de la tuberculose devait créer dans le public un mouvement favorable à un plus grand effort.

Cet effort a été tenté. En 1915, le ministère de la Guerre créait des hôpitaux sanitaires régionaux et le ministère de l’Intérieur des stations sanitaires pour les militaires tuberculeux et enfin, en 1916, une organisation de défense contre le fléau était constituée, un comité créé où s’associent les plus beaux noms de la politique, de la science, de la charité française, où toutes les aristocraties sont largement représentées, où toutes les communions religieuses figurent dans un même élan de solidarité nationale.

Et ainsi devrons-nous à la guerre d’avoir ouvert largement la lutte contre cette autre grande ennemie de la France et de l’humanité, la tuberculose.

Une occasion se présente de montrer que le pays tout entier, décidément averti, veut contribuer à l’issue victorieuse de cette lutte. Le « Comité central d’assistance aux anciens militaires tuberculeux » annonce pour le dimanche 4 février une journée en faveur de son œuvre. Il s’agit d’assurer le sort et autant que possible la santé des malheureux que la tuberculose a forcé de renoncer à la gloire de servir la France sur les champs de bataille. Il s’agit de veiller à la prophylaxie et en tâchant de détruire le mal, d’en limiter les désastreux effets.

Le Comité central qui, par ces comités départementaux, étend son action dans toute la France, a déjà acquis des droits incontestables à la reconnaissance publique, mais l’immensité de sa tâche exige le concours de tous les citoyens. C’est à la conscience de chacun que le Comité fait appel. La lutte contre la tuberculose est un devoir d’humanité ; donner pour cette sainte cause c’est contribuer à la défense du pays par la défense de l’hygiène nationale, c’est protéger la santé de tous, de soi-même, de ses propres enfants !

Chacun, dans la mesure de ses forces, tiendra à honneur de s’acquitter de ce grand devoir et la « Journée des tuberculeux » sera une belle victoire française.

Le Télégramme, samedi 3 février 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/27.