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La musique et la guerre

Photographie sepia montrant douze soldats sur deux rangs, chacun un instrument devant lui.

Orchestre de soldats. Collection particulière. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Num 01 111/13.

Bien que la mobilisation des professeurs et des musiciens dès août 1914, tout comme l’état de siège qui interdit attroupements et activités nocturnes éclairées, aient initialement mis en sommeil la plupart des orchestres ou fanfares et des écoles de musique communales, la pratique s’est maintenue toutefois, en zones occupée comme non occupée, favorisant les échanges entre professionnels et amateurs, et participant à la survie des soldats fragilisés par la durée et l’horreur du conflit.

Comme dans d’autres domaines, la guerre bouleverse les traditions musicales : si certains regrettent un manque de rigueur, de repères ou même de virtuosité, tous reconnaissent à la musique l’avantage de réunir des hommes de cultures et de nationalités différentes. La réorganisation de la vie musicale et la création de nouvelles formations témoignent de l’intérêt qu’on lui porte et de son impact sur les populations qui se croisent et se côtoient sur un même territoire. Au fil des années, les airs de musique, les instruments et leur emploi évoluent, tout comme le répertoire qui s’élargit aux influences étrangères.

Au-delà du simple accompagnement des troupes au combat ou au défilé, les orchestres régimentaires s’emploient aussi à répondre à un besoin d’agrément. Ils servent ainsi de trait d’union entre les forces armées, françaises ou alliées, et les citoyens. 

Boulogne : la musique et la guerre

Dans le profond bouleversement apporté par la guerre à notre vie sociale, il est intéressant de suivre l’évolution de la musique. À Boulogne, par exemple, nos sociétés locales ont interrompu pour la plupart le cours de leurs réunions, les unes désorganisées par la mobilisation, les autres hésitant à poursuivre dans un moment aussi tragique un but uniquement artistique. Mais, dans notre population militaire, dans les formations britanniques en particulier, des groupements se sont formés, des orchestres se sont ébauchés d’abord timidement, puis, grâce au concours de toutes les bonnes volontés, sont devenus d’excellentes phalanges musicales. Parmi celles-ci, je parlerai d’abord – à tout seigneur tout honneur – de l’orchestre de l’hôpital canadien n° 3 (Mac Gill) modifié tout récemment en "orchestre philharmonique fondé par l’hôpital canadien n° 3".

Il y a de longs mois que quelques membres du personnel de l’hôpital se réunirent pour improviser de petits concerts uniquement destinés à distraire les blessés. Puis, sollicités par des hôpitaux et des camps voisins, ils donnèrent plus d’étendue à leur société et se placèrent sous la direction d’un musicien de grande valeur M. Herbert Withers, violoncelle-solo de Beccham’s orchestre de Londres – alors mobilisé à l’hôpital. Les résultats de son excellente impulsion ne se firent pas attendre et l’orchestre a été depuis de succès en succès. À la demande de l’Y.M.C.A. il organisa chaque samedi au siège de cette société, rue de l’Ancienne Comédie, de très intéressants concerts auxquels il m’a été donné d’assister fréquemment. Avec une louable opportunité, M. Withers sollicita le concours de quelques musiciens français et son groupement musical est arrivé maintenant à un degré qui le place à la tête des entreprises du même genre. Le public boulonnais a pu, d’ailleurs, apprécier les rares qualités de l’orchestre philharmonique au cours de deux concerts donnés au Kursaal et au théâtre municipal, au profit d’œuvres de bienfaisance.

Dans une récente réunion le lieutenant Herbert Withers a rappelé en quelques mots les débuts de son œuvre ; il a tenu à adresser un hommage reconnaissant à ceux de nos concitoyens qui sont devenus ses collaborateurs. Je crois utile de traduire de cette allocution les quelques phrases suivantes qui montrent tout le prix qui s’attache à ce concours désintéressé :

Je désire dire quelques mots en réponse à ces applaudissements. Quelques-uns de nous, de l’hôpital canadien n° 11, avons formé un petit orchestre qui a été graduellement augmenté par des éléments venus des autres camps britanniques jusqu’à ce qu’il soit devenu ce que vous venez de constater. Chacun de nous a travaillé dans ce but et nous avons dû surmonter les plus grandes difficultés ; le peu de temps que nous avons pu consacrer aux répétitions a été pris sur les heures de liberté de tous. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’aucun de nous n’est payé pour ses services qui sont volontairement acceptés pour l’agrément de nos soldats.           
Je pense que vous serez heureux de manifester votre appréciation de la collaboration de nos amis français de l’orchestre. L’origine de cette collaboration remonte au jour, déjà assez éloigné, où nous manquâmes d’une clarinette-solo. L’un de nos musiciens sollicita le concours de son professeur M. Sergeant, professeur au conservatoire de Boulogne, ex-clarinette-solo du théâtre municipal et du casino de Boulogne-sur-Mer, qui nous l’accorda avec empressement. Malheureusement pour raison de santé, il lui fut impossible de continuer, mais il nous procura l’un de ses élèves M. Bailly, admis l’an dernier au conservatoire de Paris, et tous deux nous ont aidés de tous leurs moyens. Nous devons une reconnaissance spéciale à M. Sergeant qui tient maintenant la partie de timbales, d’une importance capitale dans l’orchestre. C’est encore lui qui nous a amené un bassoniste, M. Montador, premier prix du conservatoire de Paris, MM. Volant Henri et Robert, deux violonistes, également lauréats de ce conservatoire, un hautboïste, M. Soret, premier prix du conservatoire de Boulogne. Pendant mon voyage en Angleterre, M. Sergeant, qui a déjà une longue expérience de la baguette a bien voulu me remplacer dans la conduite de l’orchestre dont le travail n’a pas été interrompu et qui, ainsi, n’a pas eu à souffrir de mon absence. En résumé, M. Sergeant nous a donné son concours le plus entier et le plus désintéressé et je vous demande de lui manifester votre gratitude comme savent le faire les soldats de la Grande Bretagne .

Des applaudissements nourris et prolongés ont montré l’unanimité des sentiments exprimés par M. Withers au nom de l’orchestre.

Malheureusement ce dernier doit quitter prochainement Boulogne, appelé dans un autre poste par les nécessités de son service. Au cours de la réunion de samedi dernier, il a annoncé cette nouvelle et a tenu à se faire entendre une fois encore dans cette salle Jeanne d’Arc qui a vu l’évolution triomphale de son groupement artistique. Il a interprété avec son admirable maestria le 1er Concerto de Saint-Saëns pour violoncelle avec accompagnement d’orchestre, sous la direction de M. Sergeant. Ce fut un véritable régal musical. Il nous a été donné d’entendre également dans une précédente réunion Mlle Speliers du conservatoire de Paris, qui touche la harpe à pédales avec une grande délicatesse et une âme profondément sentimentale et Mlle F. Foullet qui a toujours été une accompagnatrice aussi expérimentée que complaisante.

Je formule en terminant le vœu que M. Sergeant veuille bien accepter de continuer à collaborer, pendant l’absence du lieutenant Withers, qui sera de courte durée, croyons-nous savoir, à la direction de l’orchestre. Sa grande habitude et ses réelles qualités de chef, sa connaissance de la langue anglaise le désignent tout spécialement. Il est fort estimé de tous les musiciens et je suis persuadé que la continuation de son étroit concours facilitera beaucoup le travail de l’orchestre philharmonique.

De semblables initiatives doivent être encouragées. En sollicitant le concours des élèves de notre conservatoire, elles créent entre eux une salutaire émulation qui les tient en haleine pendant la période des vacances. L’habitude du pupitre est d’ailleurs un excellent complément aux leçons de leurs dévoués professeurs.

Nous espérons pouvoir constater encore de nouveaux progrès de l’orchestre philharmonique, et nous adressons en attendant nos chaleureuses félicitations à MM. Withers et Sergeant qui appliquent si bien dans leur collaboration l’entente cordiale, plus vivante que jamais.

André NOLLET

La France du Nord, samedi 22 septembre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/96.

Pour aller plus loin

"Canchon d'guerre". Chants et chansons de soldats chtimis pendant la Grande Guerre sur le site Siècles. Revue du centre d'histoire "espaces et cultures"