Archives - Pas-de-Calais le Département
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Fermeture de la salle du centre Georges Besnier (site d'Arras)

Pour toute recherche dans les fonds qui y sont conservés (archives contemporaines), la consultation aura lieu dans la salle de lecture du Centre Mahaut-d’Artois, à Dainville. Deux levées sont organisées par semaine :

  • Pour une consultation de vos documents à partir du lundi matin, la commande des cotes doit être passée au plus tard le jeudi précédent, à 12h ;
  • Pour une consultation à partir du mercredi matin, la commande des cotes doit être passée au plus tard le mardi précédent, à 12h.

Le nombre de commandes est limité à 10 par jour et par personne. Le système de navette nécessitant une organisation rigoureuse et de nombreuses manipulations, il est essentiel de venir consulter les documents commandés avant la fin de la semaine, après quoi ils seront rangés.

La commande se fait via notre formulaire de contact.

Nous vous prions de nous excuser pour la gêne occasionnée et vous remercions par avance de votre compréhension.

Le manque de tabac

Photographie noir et blanc montrant deux soldats tête à tête en train de fumer la pipe.

Portrait en gros plan de deux soldats du génie fumant une pipe [1915-1916]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 Fi 3031.

Introduite en France vers 1560, la consommation du tabac est, au début du XXe siècle, essentiellement masculine et encore relativement limitée ; c’est durant la Première Guerre mondiale qu’elle va vraiment s’imposer.

Lorsque cette dernière éclate, le tabac (comme l’alcool) est largement distribué aux soldats, pour les aider à lutter contre la peur et à supporter l’enfer des tranchées. Pour en parler, les poilus ajoutent de nouvelles expressions au "trèfle" habituel dans l’argot militaire, telles que "perlot" ou "gros cul" (le tabac à pipe à gros brins, fourni sous forme de paquets cubiques fermés par une bande sur laquelle est imprimée une lettre Q). Si la plupart fument la pipe au début du conflit, la vie dans les tranchées change rapidement leurs habitudes.
Confrontés à la difficulté de garder leur ration de tabac au sec et à la nécessité de devoir rallumer souvent leur pipe, manœuvre peu commode et surtout dangereuse la nuit, les fumeurs se tournent vers la cigarette (à rouler, et plus rarement manufacturée) qui prend moins de temps à être fumée et est pratique en cas de déplacement brusque. Puisque celle-ci fait partie de la ration des soldats, les compagnies de tabac, désireuses de tirer parti de ce marché lucratif, encouragent les familles et les œuvres à en envoyer aux soldats. Le conflit entraîne ainsi bel et bien une augmentation de la consommation du tabac, mais aussi de nouveaux modes d’utilisation, puisque certaines femmes, par esprit d’émancipation ou au contact de leur mari ou de leur frère, vont considérer que la cigarette, plus décente, leur convient aussi.

En cette fin d’année 1917, les fabricants, les distributeurs et les consommateurs de tabac sont sous le feu de l’actualité, en raison de la pénurie qui frappe la France. Le tabac étant à présent jugé indispensable au soldat, tous s’émeuvent de la disparition à brève échéance de sa culture dans nos régions. Les causes directes de cette crise sont évoquées ici par le président du syndicat des débitants de tabac de Boulogne-sur-Mer : face à la progression constante de la consommation, on doit déplorer la baisse de la culture française, la difficulté d’acheminement par voie maritime des matières premières et du tabac exotique, le manque de main-d’œuvre et de matériel dans les industries, les graves problèmes de transport, etc. Les distributeurs de tabac font ainsi appel au bon sens de la population et au soutien de l’administration pour pallier ce cruel problème d’approvisionnement.

Le manque de tabac

Syndicat des débitants de tabac de la sous-direction de Boulogne-sur-Mer

Depuis un certain temps, il existe une crise de tabac dans notre région.
Jusqu’à présent, le public s’était, sinon privé, du moins restreint dans la consommation des denrées de première nécessité. La pomme de terre a fait défaut, le sucre également et bien d’autres choses encore ; jusqu’au charbon dont il a fallu user avec parcimonie, quand il n’a pas fallu s’en passer complètement. Une chose était restée pour consoler le fumeur. C’était la plante à Nicot.

Aussi, nous les gérants de débits, que de réflexions avons-nous entendues depuis que nous sommes gênés dans nos approvisionnements.
Désireux de satisfaire notre clientèle en même temps que nos intérêts commerciaux, nous avons fait toutes les démarches possibles pour essayer d’atténuer cette crise. L’Administration compétente s’est efforcée de conjurer ; néanmoins, que le public se rende bien compte qu’il faut un certain temps pour que le tout marche bien, surtout dans la période anormale et pénible que nous traversons.

Le manque de tabac est dû à plusieurs causes, et la principale est la progression constante de la consommation depuis le début de la guerre.
Tout le monde fume et plus que jamais. Bien souvent, nous avons entendu dire par nos clients que l’État nuisait aux intérêts du Trésor en négligeant la mise en vente des produits du monopole.
Que le public se détrompe. D’après les enquêtes faites par le conseil d’administration de la fédération des gérants de débits de tabac de France, en dehors de la raison principale citée plus haut, voici quelles sont les causes qui contribuent également à la crise :

  1. La culture du tabac français est en décroissance, car nos départements envahis étaient gros producteurs.
  2. Les tabacs exotiques quoique réclamés en plus grosse quantité chez nos alliés et dans les autres pays de production nous arrivent avec difficulté, la guerre sous-marine intensive y contribuant pour beaucoup.
  3. Comme dans les industries privées, la main-d’œuvre fait défaut. Les matières premières qui servent à l’habillage des scaferlatis et cigarettes, papiers, cartonnages, bois, etc. s’épuisent avec rapidité et se renouvellent difficilement.
  4. Le matériel est trop restreint pour la fabrication intense actuelle et la mise en route de nouvelles machines sera nécessaire pour équilibrer la production et la vente.
  5. La difficulté des transports crée une certaine perturbation et des retards continuels dans la réception des tabacs que les manufactures ne peuvent envoyer qu’irrégulièrement aux entrepôts qui nous desservent.

À ces causes directes auxquelles l’Administration cherche à porter remède, il en existe une autre qui incombe aux consommateurs eux-mêmes ou, au moins, à une partie d’entre eux.
Il suffit qu’un genre de tabacs ou cigarettes manque momentanément dans nos bureaux pour que, dès sa réapparition, un certain nombre de consommateurs cherchent par tous les moyens à s’en accaparer immédiatement.
Ceux-là sont des égoïstes, car ils privent d’autres fumeurs du nécessaire puisqu’ils assaillissent nos bureaux dès leur approvisionnement, créent une panique dans notre clientèle qui cherche à les imiter et font que nos stocks ne nous permettent pas de satisfaire toutes les demandes.

L’Administration en créant des bureaux de tabac s’est toujours efforcée à choisir leur situation de manière à ce que chacun d’entre eux soit chargé d’approvisionner en tabacs et timbres-poste les consommateurs habitant dans son rayon, quoiqu’en période normale, le déplacement de la clientèle n’ait pas les mêmes conséquences qu’en ce moment.
Généralement, tout fumeur s’adresse de préférence dans un bureau où il est connu, soit qu’il habite dans le quartier, soit que son travail ou ses occupations lui ont fait contracter cette habitude. Nous prions donc nos clients de continuer. Connu de son fournisseur, ce dernier s’arrangera pour le servir proportionnellement à sa consommation antérieure, et aux approvisionnements dont il pourra disposer. Nos clients nous aidant, nous nous efforcerons de leur donner satisfaction ; de cette manière, nous n’aurons plus cette cohue qui, il y a 15 jours, nous a fait débiter 640 k. de scaferlati à 0,60, soit 16 000 paquets en quelques heures de temps.
C’est une véritable rafle faite au profit des plus gourmands qui accaparent, car cette quantité de tabac vendue habituellement par nous débitants de Boulogne, dans une période de 8 jours, suffit largement au besoin des consommateurs.

Pour éviter cet accaparement et d’après les ordres reçus, nous ne livrerons de tabac qu’aux fumeurs et non aux dames et aux enfants.
Les prisonniers ne seront pas oubliés dans la distribution, car chacun d’entre nous connaît dans son rayon les dames qui ont un être cher à gâter.
Nous prions les fumeurs de modifier leurs goûts, si possible en faisant le sacrifice de se contenter des genres de tabac dont nous pouvons disposer, et pour la clientèle aisée de fumer le cigare de préférence. Certainement, c’est plus coûteux que le scaferlati à 0,60 et la cigarette ordinaire, mais jusqu’à la mise en circulation de la présente récolte, cela nous permettra de servir plus aisément le fumeur aux ressources plus modestes.

Nous nous permettrons également de faire observer à certains clients qu’il n’y a aucune mauvaise volonté de notre part quand il nous est impossible de les servir, et qu’ils manquent de tact et de bienveillance quand ils s’en prennent aux débitantes en les apostrophant d’une série de qualificatifs insolents et des pires menaces.
Que ces clients, en petit nombre heureusement, sachent bien que les membres de notre corporation font leur devoir envers leur patrie comme tous les citoyens et qu’il est bien juste que pendant qu’ils chassent le Boche, leurs épouses aient droit à leur respect.
C’est au bon sens du public que nous nous adressons et avec l’aide de l’Administration qui s’efforce à nous donner satisfaction, nous retrouverons peu à peu l’équilibre de l’approvisionnement qui permettra de donner à chacun ce qu’il désire.

Le Président,
E. Dejonghe.

La France du Nord, jeudi 15 novembre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/96.