Archives - Pas-de-Calais le Département
Les informations contenues dans cette page ne sont valables avec certitude que jusqu'à cette date et heure.

Fermeture de la salle du centre Georges Besnier (site d'Arras)

Pour toute recherche dans les fonds qui y sont conservés (archives contemporaines), la consultation aura lieu dans la salle de lecture du Centre Mahaut-d’Artois, à Dainville. Deux levées sont organisées par semaine :

  • Pour une consultation de vos documents à partir du lundi matin, la commande des cotes doit être passée au plus tard le jeudi précédent, à 12h ;
  • Pour une consultation à partir du mercredi matin, la commande des cotes doit être passée au plus tard le mardi précédent, à 12h.

Le nombre de commandes est limité à 10 par jour et par personne. Le système de navette nécessitant une organisation rigoureuse et de nombreuses manipulations, il est essentiel de venir consulter les documents commandés avant la fin de la semaine, après quoi ils seront rangés.

La commande se fait via notre formulaire de contact.

Nous vous prions de nous excuser pour la gêne occasionnée et vous remercions par avance de votre compréhension.

Les méfaits de l’alcool

Si la forte consommation d’alcool sur le front est bien documentée, celle de l’arrière est beaucoup plus confidentielle. Pourtant, une circulaire du 6 février 1917 d’Albert Thomas, alors ministre de l’Armement, déplore ouvertement les progrès inquiétants de l’alcoolisme parmi les ouvriers travaillant dans les usines de guerre .

Bien que strictement réglementée, la consommation d’alcool est en effet importante dans les villes et les villages, et ce phénomène est particulièrement vrai près des lieux de cantonnement des troupes. Un rapport de la seconde division de l’armée britannique souligne qu’en 1915, dans certains villages du Nord et du Pas-de-Calais, près d’une maison sur cinq est transformée en estaminet.

Néanmoins, ce problème de société n’est pas directement consécutif des maux de guerre, puisqu’il avait déjà été identifié comme tel bien avant le début des hostilités. La consommation d’alcool fort avait en effet fortement augmenté depuis le début du siècle (en 1875, on produisait 6 000 hl d’absinthe contre 200 000 hl en 1906) et la France comptait en 1914 quelques 480 000 débits de boisson, soit un pour 30 adultes.

Pour remédier aux troubles occasionnés par une consommation excessive, de nombreuses mesures voient le jour durant le conflit : l’interdiction de vente de l’absinthe dès août 1914, puis l’interdiction de vente d’apéritifs et de spiritueux dans les débits de boisson en 1915, une réglementation encadrant la consommation de vin à partir de 1916 ou encore la détermination d’horaires fixes d’ouverture et de fermeture des estaminets.

Car les dérives constatées sont particulièrement décriées à l’heure où l’Union sacrée appelle au rassemblement, à la cohésion et à l’effort commun pour contrer l’ennemi. C’est également dans ce contexte que les propos de la Ligue nationale contre l’alcoolisme (créée en 1905 d’une fusion de l’Union française antialcoolique, de la Société française de tempérance et de l’Étoile universitaire) trouvent une nouvelle résonance auprès de l’opinion publique, alors même que ses campagnes étaient totalement inaudibles avant la déclaration de guerre.

Les méfaits de l’alcool

Une section boulonnaise de la Ligue contre l’alcool signalait ces jours-ci à nos concitoyens le danger de l’ennemi intérieur qui doit être combattu aussi vigoureusement que l’ennemi du dehors. Chacun était invité à signer un bulletin d’adhésion par lequel il s’interdisait l’usage de tout alcool en dehors des prescriptions médicales.

Cette campagne a son utilité dans la région ; nous en trouvons la preuve dans une récente séance du Conseil de guerre de Boulogne qui mérite mieux qu’un banal compte rendu judiciaire.

On jugeait la bande du masque rouge du Portel. Cinq gamins de 16 à 18 ans étaient assis au banc des accusés. De constitution robuste, ils portaient déjà sur le visage les stigmates de l’abrutissement causé par l’ivrognerie. Avec un rictus sarcastique, ils écoutaient les sages avis du colonel-président qui les interrogeait sur leur équipée.

Un samedi, après avoir reçu le salaire de leur semaine de travail, ces jeunes gens avaient passé l’après-midi à absorber, chez de nombreux débitants, de copieuses bistouilles et les spiritueux les plus variés. Dans la soirée, après la fermeture des cafés, ils se réfugièrent dans une cave où ils s’achevèrent en vidant à la "régalade" des litres d’eau-de-vie dérobés chez un épicier. En sortant de là, l’un d’eux se couvrit la figure d’un lambeau d’étoffe écarlate et, tous ensemble, ils terminèrent la nuit en causant du tapage, démolissant les devantures des commerçants, rouant de coups les passants attardés et terrorisant les honnêtes gens de la localité.

Dans un réquisitoire particulièrement énergique, et très en dehors de l’habituelle éloquence de sous-préfecture, le commissaire du gouvernement stigmatisa les débitants qui avaient continué à servir aux prévenus des boissons alcooliques malgré leur état d’ébriété. Ces mercantis indignes, dit-il, qui s’enrichissent au détriment de la santé publique devraient être rendus responsables des actes commis par ceux qu’ils enivrent. À côté des tableaux d’honneur suspendus aux portes des mairies pour rappeler les noms des enfants de la commune qui se sont distingués par des actions d’éclat, il conviendrait de clouer au pilori les noms des Français coupables d’avoir contribué à la dégradation physique et morale de jeunes gens qui représentent l’espoir et l’avenir du pays.

De tels débats, conclut le représentant de la société, devraient avoir lieu sur la place publique, dans un appareil imposant, afin de servir d’exemple à la foule qui y assisterait.
L’avocat des accusés s’empressa de saisir la perche qui lui était ainsi tendue de façon à rejeter sur d’autres la responsabilité des méfaits reprochés à ses clients.
Avec humour, il fit défiler devant un auditoire attentif, la série des mixtures à base d’alcool recherchées par les poivrots et offertes dans les estaminets du pays.

Les prévenus ne ricanaient plus : très intéressés par les renseignements techniques fournis par leur défenseur, ils buvaient – faute de mieux – ses paroles avec recueillement, et, restaient plongés dans de doux souvenirs.

La consommation la plus populaire dans le Pas-de-Calais est la bistouille.
Il ne s’agit pas d’une spécialité pharmaceutique mais d’un mélange de café – ou plutôt de chicorée – et d’eau de vie que l’amateur boit tranquillement en faisant le plein avec du cognac au fur et à mesure que la tasse se vide. Naturellement, au bout d’un moment, il ne reste plus de café, mais seulement de l’alcool.
C’est la bonne bistouille ! chériedes hommes et appréciée aussi parfois par le beau sexe.

Le rincetintin se sert chaud ; il est composé en principe d’un peu de chocolat et de beaucoup de kirch, mais cette dernière liqueur, devenue rare, peut sans inconvénient être remplacée par du genièvre. 

Le gloria tricolore n’a rien de liturgique, il se fait avec du rhum et d’autres alcools diversement colorés. Peu importe, du reste, les flacons pourvu qu’on ait l’ivresse ! Au surplus, après quelques gloria, on perd légèrement la notion des couleurs.

Le tout ensemble est une boisson à emporter. Le cafetier réunit dans un litre : sucre, café, liqueurs variées et le client va déguster son tout ensemble au dehors.

Il y a encore la salade à l’eau-de-vie et bien d’autres excellentes recettes qu’il serait impossible d’énumérer ici.

Ce n’est pas seulement dans les modestes cabarets que l’alcool est ainsi consommé à haute dose, certains restaurants distingués y mettent plus de discrétion quoique le résultat soit identique. Comme, en principe, le petit verre est interdit, on place devant chaque convive à la fin du repas une tasse remplie de café et une autre tasse vide entourée de quelques bouteilles de liqueurs de marque : Martell trois étoiles, Chartreuse, Bénédictine. Le client se sert de larges rasades – ce n’est qu’une question de prix – puis il se retire, la conscience fort tranquille. En effet, il n’a pas bu de petits verres !

On voit, par ces exemples pris tous les jours autour de nous, que les sociétés de tempérance ont encore beaucoup à faire, mais il faut reconnaître que, depuis trois ans, elles sont rigoureusement encouragées par l’opinion, les pouvoirs publics et même par les parlementaires.

Avant la guerre, la bistrocratie triomphante n’aurait pas toléré cette campagne contre le « schnick ». Le candidat, qui au cours d’une période électorale, se serait avisé de prêcher la tempérance, aurait été fraîchement accueilli, et, chacun se souvient, dans l’arrondissement de Montreuil, de cette noce carabinée qui dura quinze jours avant un scrutin resté célèbre dans les annales législatives.

Le sujet n’est pas épuisé ; il y aurait encore beaucoup à dire sur l’alcool, mais le sympathique secrétaire général du Télégramme m’informe qu’en ce moment les chroniques – comme les jupes – se portent très courtes. J’obtempère, en me hâtant de terminer ce bavardage.

Wastelier du Parc 

Le Télégramme, lundi 2 avril 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/27.