Le 24 décembre 1916 s’éteignait Émile Lobbedey, évêque d’Arras, de Boulogne-sur-Mer et de Saint-Omer, épuisé par deux ans d’activité effrénée. Porte-parole de l’Artois dévasté, il multipliait les rencontres et conférences, tout en publiant de nombreux textes, comme La guerre en Artois : Paroles épiscopales, documents, récits, recueil rédigé sous sa direction et édité post-mortem à Paris en 1917.
On y trouve un poème, "Noël de la Patrie française", rédigé en 1915 par l’abbé Joseph Merlent. Joseph-Achille-François Merlent (né et mort à Boulogne-sur-Mer, 26 février 1874-27 avril 1953) a été successivement professeur à l’institution Saint-Joseph d’Arras (octobre 1899), puis au pensionnat Saint-Pierre de Calais (octobre 1903) ; il est depuis août 1911 vicaire de Saint-Pierre de Calais, et sera nommé en septembre 1920 curé de Saint-Michel de Boulogne.
Collaborateur de la première heure de Romans-Revue (1908), le "guide de lecture" et de censure catholique de l’abbé Bethléem, il est l’auteur de pièces en vers (les drames historiques Gilles de Bretagne en 1899, et Jean le Parricide en 1904 ; À la gloire de sainte Ide, comtesse de Boulogne, pour le huitième centenaire de sa mort en 1913) et de poèmes (Saint Paul au tombeau de Virgile, 1897 ; Mon petit coin : rimes boulonnaises, 1902). Il compose aussi les paroles de plusieurs œuvres musicales : Gloire à saint Joseph ! pour l’abbé Eugène Roupain (1896) ; et surtout, sur une musique du maître de chapelle de la cathédrale d’Anvers (puis directeur du conservatoire royal d’Anvers) Émile Wambach (1854-1924), un « poème lyrique en trois parties », Ode à la bienheureuse Jeanne d’Arc, oratorio joué pour les fêtes de béatification d’Arras en 1909. Tous deux réalisent en outre, en 1915, ce Noël de la patrie française, pour mezzo-soprano ou baryton et chœur (dont la partition autographe est conservée au Koninklijk Conservatorium AP Hogeschool Antwerpen) et un autre Noël de guerre, ainsi qu’en 1916, L'Appel de la France à Jeanne d'Arc. Cantique national, chœur à deux voix égales.
Traditionnellement, les fêtes de la Nativité sont porteuses de paix et d’espoir. Mais en cette fin 1917, une lassitude générale gagne bon nombre de pays harassés par trois longues années de conflit.
Les contestations internes se manifestent de plus en plus : fin de l’Union sacrée (chute des gouvernements Ribot et Painlevé, départ des socialistes, affaires Malvy et Caillaux, etc.), multiplication des grèves et des manifestations dans les villes, mouvements de mutineries chez les soldats, etc.
Pourtant, il est primordial que la France reste unie face à l’ennemi. Poincaré l’a bien compris en nommant le "Tigre" à la tête du Conseil des ministres. Plus que jamais, l’heure est au rassemblement. Clemenceau somme les troupes de tenir bon et encourage les civils à soutenir l’effort de guerre. Tous doivent avoir foi en la victoire finale, comme l’exhortait déjà ce poème deux auparavant.
Noël de la Patrie française
[musique d’Émile Wambach, de l’Académie royale de Bruxelles, directeur du Conservatoire national]
Noël ! ce fut le cri joyeux
De la France de nos aïeux,
Cri de liesse et de victoire
Aux plus beaux jours de notre histoire.
O douce France, ô fier pays
De Clovis et de saint Louis,
Noël fut ton jour de baptême :
Qu’il s’élève encore dans ton ciel,
Le cri vibrant : Noël ! Noël !
Comme autrefois, France, Dieu t’aime.
Noël ! Noël ! Noël ! Noël !
Paix à la terre et gloire au ciel !
Aux jours noirs comme aux jours prospères,
Proclamons la foi de nos pères.
Noël ! Noël ! Noël ! Noël !
Vers l’Étoile de l’Espérance
Sachons encor lever nos fronts,
Et glorieux nous reprendrons
Les gestes de Dieu par la France !
Noël ! Les anges dans la nuit
Ont chanté sur l’humble réduit
Où Jésus-Christ venait de naître :
Paix aux mortels élus du Maître !
O mon pays, tu te trompais,
En cherchant loin de Dieu la paix
Qu’ignore le monde anathème…
Dieu t’invite : comme Israël,
Reviens à Lui… Noël ! Noël !
Comme autrefois, France, Dieu t’aime.
Noël ! le Dieu petit enfant,
Sur la croix un jour triomphant,
Par sa souffrance volontaire
Affranchira toute la terre.
S’il faut ton sang, France au grand cœur,
Pour rançon du Droit, de l’Honneur,
Noël ! offre ce don suprême :
T’immoler à l’ordre immortel,
C’est te grandir… Noël ! Noël !
Comme autrefois, France, Dieu t’aime.
J. Merlent
Mgr Émile Lobbedey (sous la dir.), La guerre en Artois : Paroles épiscopales, documents, récits, Paris, Pierre Tequi éd., 1917, p. 408. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHA 1877.