Société de Géographie. Conférence du 5 mai 1918
Le président, M. Barlet, ouvre la séance par une charmante allocution – à la fois émue et spirituelle – sur la bonne humeur française. Il exprime en même temps ses remerciements à M. le général Dumas – ainsi qu'à notre G. Q. G. – qui ont tout fait pour faciliter le voyage de M. Laugel, lequel, néanmoins, n'a pu venir.
M. Francq, l'actif secrétaire général, prend la parole. Nous devons, dit-il, tenir et poursuivre la guerre jusqu'à sa conclusion logique : la victoire.
Pour mieux nous convaincre, l'orateur refait l'historique des origines de la guerre depuis le drame de Sarajevo : La Serbie avait consenti à s'incliner devant l'insolent ultimatum de l'Autriche. Et pourtant, l'ambassadeur de cette puissance quitta précipitamment Belgrade : c’est que la Serbie est "le verrou des Balkans", "le vestibule de l'Orient". Il fallait lui passer sur le corps, car derrière l'Autriche, il y a l'Allemagne, il y avait les appétits pangermanistes qui visaient Salonique…, Bagdad…, le Golfe persique. C'est de Berlin qu'est parti le coup.
La préméditation allemande est donc évidente, alors que la France, au contraire, avait retiré ses troupes à 8 kilomètres en arrière de ses frontières.
Ce n'est pas nous qui avons déchaîné cette terrible guerre, mais céder maintenant serait la plus lourde des fautes.
Céder, se serait accepter une paix comme celle signée à Brest-Litovsk, soi-disant "sans annexions ni indemnités", tandis que les Allemands mettent la main sur les territoires, les vivres, les vaisseaux russes.
Céder, ce serait subir le sort de la malheureuse Roumanie, privée de la Dobroudja, c'est-à-dire de son débouché sur la mer, privée de son pétrole et de toutes ses richesses nationales.
Céder enfin, ce serait trahir l'héroïque soldat français, le premier du monde, trahir tous ceux qui tiennent en ce moment à Griselles, au mont Kemmel et ailleurs, et qui tiendront jusqu'à l'arrivée prochaine et certaine des renforts américains, dont les transports – d'après les renseignements officiels les plus sûrs – se font tous les jours plus rapides et plus fréquents.
Toute la salle applaudit vigoureusement les mâles paroles de M. Francq.
Le Président présente ensuite M. Camys, directeur de l'école nationale de musique de Calais.
Il a littéralement enlevé son public en parlant sur la haine que nous devons nourrir contre les Boches. Sans doute, dit-il, ce sentiment répugne au caractère généreux et chevaleresque du Français. Mais il faut haïr le peuple allemand.
1° La haine est un droit.
Il faut haïr par réciprocité, parce que la Haine allemande s'est dressée devant nous.
Le Kaiser qui a, dit-on, brigué jadis le prix Nobel de la paix, qui se dit le prophète du vieux bon Dieu, pouvait en disant "Non" éviter la guerre. Il a préféré déchaîner la catastrophe. Il a beau dire maintenant : "Je n’ai pas voulu cela !" Évidemment il n'a pas voulu la Marne, ni tant d’autres échecs : Dunkerque, Calais et Boulogne également "ratés".
Puis faut-il rappeler tous les crimes aussi odieux qu'inutiles : pillages, viols, assassinats, incendies et destructions de monuments et d'objets d'art, bombardements de villes ouvertes, torpillages et noyades ?
En somme, les Allemands s'acharnent sur notre civilisation, parce qu'ils la sentent supérieure à la "Kultur" ; la preuve qu'il nous détestent, c'est ce "Chant de haine" dont M. Camys lit quelques passages.
2° La haine est aussi un devoir.
Nous ne pouvons oublier l'espionnage – cette vertu nationale allemande – qui a sévi chez nous 44 ans.
Nous ne devons pas oublier les martyrs de cette guerre : la noble Belgique piétinée, les civils comme M. Odent, maire de Senlis, comme Miss Cawell, fusillés, le coulage du "Lusitania", etc.
Oublier ces crimes, ce serait oublier les victimes. Et puis, quel compte terrible nous aurions à rendre – si nous les oubliions – à nos soldats, à nos héros des tranchées, qui souffrent depuis bientôt 4 ans, aux aveugles, aux blessés, aux mutilés, aux disparus, à tous nos chers morts !
3° Enfin la haine est une nécessité.
L'Allemagne vaincue n'aura qu'une pensée : se venger ; soumise en apparence, elle cherchera à prendre sa revanche, dans un temps plus ou moins éloigné. Rappelons-nous cette pénétration lente et sûre dont nous avons failli être victimes : ces domestiques, ces institutrices, ces ingénieurs, ces contremaîtres, ces ouvriers travaillant à des salaires de famine, qui nous envahissaient peu à peu, chercheront à revenir.
Pour s'opposer à cette infiltration, il faudra rester unis, unis entre alliés, unis entre Français et entretenir éternellement la haine légitime, saine et protectrice.
Ce que ce modeste compte rendu ne peut reproduire, c’est l'accent vibrant de M. Camys, par lequel il a enthousiasmé son auditoire, qui par ses applaudissements et par les remerciements de M. Barlet, lui a témoigné sa reconnaissance.
Ensuite plusieurs Alsaciens-Lorrains résidant à Boulogne ont signé une page du Livre d'or qui sera adressé au Président Wilson.
Ajoutons enfin que, comme toujours, la musique de notre garnison a prêté son gracieux concours à cette réunion patriotique et que la partie de concert a été très apprécié.
R. E.