La médaille des blessés civils
Nous signalions dans notre dernier numéro l’étrange initiative de M. le député Girod, demandant l’insigne des blessés pour les Parisiens victimes de Gothas.
Comme nous le faisions pressentir, M. Clemenceau a eu plus de bon sens que ledit parlementaire ; il a compris – et ce n’était vraiment pas difficile à comprendre – que les civils blessés après un, deux, trois ans de présence et de labeur périlleux dans les localités situées à mille ou deux mille mètres de la ligne de feu n’étaient pas moins intéressants que les Parisiens sur la tête desquels avaient chu, quelque belle nuit, une bombe mal placée.
M. Clemenceau a examiné la question en compagnie du ministre de l’Intérieur et il a été très sagement décidé de créer un insigne spécial.
Je dis "très sagement" ; ce n’est pas, certes, que je sois partisan de cette multiplication des rubans qui vise à fleurir toutes les boutonnières françaises, mais du moment qu’un insigne doit être donné aux civils blessés, il ne convient pas que ce soit celui des défenseurs du Pays, frappés à leur poste de combat.
Ce n’est pas pour la même cause, en effet, que nous avons versé notre sang. Je ne parle pas ici, bien entendu, des mercantis ou autres gens plus ou moins intéressants, qui n’étant restés chez eux que dans un but d’intérêt personnel, ont été blessés par hasard ; c’est le cas des Parisiens à qui va toute la sollicitude de M. le député Girod ; si l’on veut, leur cas serait analogue à celui de certains soldats, appelés à leur poste de combat plus par la nécessité que par le sentiment du devoir ; mais ce sont là des circonstances trop difficiles à mesurer pour qu’il soit permis d’en faire état ; aussi, pour les civils comme pour les soldats, je ne veux parler que de ceux que le sentiment du devoir a conduit au front ou qu’il y guide. Rien que parmi les nôtres, ceux d’Arras, que de vivants et que de morts ! En citerai-je ? Oui, trois seulement parmi les morts ; ceux dont le nom est sur toutes les lèvres : Wacquez, Dumont, l’abbé Vallière…
Et combien d’autres devraient être cités aussi, seront cités plus tard ? Pour ne plus donner de noms, les admirables religieuses qui, à l’hôpital Saint-Jean, au Saint-Sacrement, à la maison-mère des Augustines, sont tombées à leur poste sous les obus. N’ont-elles pas mérité une autre gloire que celle que peuvent donner les hommes ?
Mais si l’on admet que la reconnaissance publique se traduise pour les soldats par un insigne, il est juste de ne pas oublier les civils qui, eux aussi, ont versé leur sang dans cette guerre.
Toutefois, je l’ai dit, la cause du sacrifice était différente, il est juste que l’insigne le soit aussi.
Le soldat risque sa vie pour la Patrie ; et le civil d’Arras ? ce peut être pour soulager les misères qui l’entourent ; c’est toujours pour défendre sa ville, comme le soldat son pays, sinon par les mêmes armes, du moins au risque des mêmes dangers.
Il serait délicat de s’étendre sur ce sujet, mais je le demande à ceux qui en sont partis, si depuis 1914 il n’était pas demeuré un seul habitant dans Arras, que resterait-il de la ville ? Que celui qui hésiterait à répondre aille tout près d’ici, aux faubourgs évacués ; qu’il compare et qu’il juge ; voilà notre œuvre à nous ; voilà pourquoi nous sommes restés ; et j’entends la voix de nos morts faire écho à celle des vivants : voilà pourquoi, disent-ils, nous sommes tombés sur le sol d’Arras.
"Pour ma patrie" ! telle est la réponse dernière du soldat.
"Pour ma ville, pour mon village", c’est le dernier mot du civil.
Et n’est-ce pas qu’en donnant sa vie pour sa ville ou pour son village, c’est la France tout entière qu’il en fait profiter ?
G. A.