Archives - Pas-de-Calais le Département
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La médaille des blessés civils

Photographie couleur montrant neuf médailles militaires.

Ensemble de médailles de la Première Guerre mondiale. Collection particulière. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Num 01 96/1.

Si les soldats sont les premiers à éprouver la cruauté des tranchées et à essuyer la sauvagerie des combats, chacun reconnaît que la guerre a aussi profondément bouleversé la vie et le quotidien de l’arrière. Parce qu’elle dépasse tout ce que l’on avait imaginé en matière de violence collective, celle-ci conduit les pouvoirs publics à créer et à organiser un système complexe de décorations, destiné à rendre hommage à l’héroïsme et aux souffrances des soldats comme des civils. L’État entend ainsi leur exprimer sa reconnaissance pour leurs sacrifices, alors qu’il ne célébrait, jusque-là, que les mérites des combattants vivants.

Si la souffrance est partout, le courage l’est aussi : une décoration est en conséquence un moyen de soutenir le moral de tous, troupes et arrière. Le règlement de la croix de guerre en date du 23 avril 1915, précise ainsi : En cas de décès de l’ayant droit, la croix de guerre est remise, à titre de souvenir, et sur leur demande, aux parents du défunt . Puis, au plus fort de la bataille de Verdun, parviennent aux familles endeuillées les premiers diplômes de "Mort pour la France" ; en juillet 1917, trois mois après l’entrée en guerre des Américains, la médaille de la Reconnaissance française est créée pour remercier tous ceux qui, Français ou étrangers, aident les victimes du conflit sur le sol national.

Peu à peu, toutes les catégories de population touchées par la guerre vont bénéficier d’une décoration spéciale. Le débat qui prédomine au printemps 1918 est celui qui cherche à convaincre qu’il serait plus juste d’honorer les civils qui ont réellement versé leur sang pour défendre leur ville ou contribuer à l’effort de guerre avec le sentiment du devoir. Pour la première fois, la France s’accorde à créer des décorations militaires pour les civils les plus méritants. Les discussions et modalités de son attribution donnent lieu à une version civile de l’insigne des blessés, qui verra le jour le 1er juillet 1918.

La médaille des blessés civils

Nous signalions dans notre dernier numéro l’étrange initiative de M. le député Girod, demandant l’insigne des blessés pour les Parisiens victimes de Gothas.
Comme nous le faisions pressentir, M. Clemenceau a eu plus de bon sens que ledit parlementaire ; il a compris – et ce n’était vraiment pas difficile à comprendre – que les civils blessés après un, deux, trois ans de présence et de labeur périlleux dans les localités situées à mille ou deux mille mètres de la ligne de feu n’étaient pas moins intéressants que les Parisiens sur la tête desquels avaient chu, quelque belle nuit, une bombe mal placée.

M. Clemenceau a examiné la question en compagnie du ministre de l’Intérieur et il a été très sagement décidé de créer un insigne spécial.

Je dis "très sagement" ; ce n’est pas, certes, que je sois partisan de cette multiplication des rubans qui vise à fleurir toutes les boutonnières françaises, mais du moment qu’un insigne doit être donné aux civils blessés, il ne convient pas que ce soit celui des défenseurs du Pays, frappés à leur poste de combat.

Ce n’est pas pour la même cause, en effet, que nous avons versé notre sang. Je ne parle pas ici, bien entendu, des mercantis ou autres gens plus ou moins intéressants, qui n’étant restés chez eux que dans un but d’intérêt personnel, ont été blessés par hasard ; c’est le cas des Parisiens à qui va toute la sollicitude de M. le député Girod ; si l’on veut, leur cas serait analogue à celui de certains soldats, appelés à leur poste de combat plus par la nécessité que par le sentiment du devoir ; mais ce sont là des circonstances trop difficiles à mesurer pour qu’il soit permis d’en faire état ; aussi, pour les civils comme pour les soldats, je ne veux parler que de ceux que le sentiment du devoir a conduit au front ou qu’il y guide. Rien que parmi les nôtres, ceux d’Arras, que de vivants et que de morts ! En citerai-je ? Oui, trois seulement parmi les morts ; ceux dont le nom est sur toutes les lèvres : Wacquez, Dumont, l’abbé Vallière…

Et combien d’autres devraient être cités aussi, seront cités plus tard ? Pour ne plus donner de noms, les admirables religieuses qui, à l’hôpital Saint-Jean, au Saint-Sacrement, à la maison-mère des Augustines, sont tombées à leur poste sous les obus. N’ont-elles pas mérité une autre gloire que celle que peuvent donner les hommes ?

Mais si l’on admet que la reconnaissance publique se traduise pour les soldats par un insigne, il est juste de ne pas oublier les civils qui, eux aussi, ont versé leur sang dans cette guerre.

Toutefois, je l’ai dit, la cause du sacrifice était différente, il est juste que l’insigne le soit aussi.
Le soldat risque sa vie pour la Patrie ; et le civil d’Arras ? ce peut être pour soulager les misères qui l’entourent ; c’est toujours pour défendre sa ville, comme le soldat son pays, sinon par les mêmes armes, du moins au risque des mêmes dangers.

Il serait délicat de s’étendre sur ce sujet, mais je le demande à ceux qui en sont partis, si depuis 1914 il n’était pas demeuré un seul habitant dans Arras, que resterait-il de la ville ? Que celui qui hésiterait à répondre aille tout près d’ici, aux faubourgs évacués ; qu’il compare et qu’il juge ; voilà notre œuvre à nous ; voilà pourquoi nous sommes restés ; et j’entends la voix de nos morts faire écho à celle des vivants : voilà pourquoi, disent-ils, nous sommes tombés sur le sol d’Arras.

"Pour ma patrie" ! telle est la réponse dernière du soldat.
"Pour ma ville, pour mon village", c’est le dernier mot du civil.
Et n’est-ce pas qu’en donnant sa vie pour sa ville ou pour son village, c’est la France tout entière qu’il en fait profiter ? 

G. A.

Le Lion d’Arras, jeudi 21 mars 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.