Archives - Pas-de-Calais le Département
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Le nouvel hôtel de ville de Calais

Photographie noir et blanc montrant un beffroi et un grand bâtiment attenant.

Le beffroi de l'hôtel de ville de Calais touché une bombe dans la nuit du 3 au 4 septembre 1917. Photographie. Archives départementales du Pas-de-Calais, 43 Fi 263.

L’union, en 1885, de Calais, petite ville de pêcheurs, et de la cité industrielle de Saint-Pierre-lès-Calais, donne naissance à l’actuelle ville de Calais et à l’utilisation d’un territoire inoccupé entre les deux communes pour y installer des bâtiments et des lieux de vie servant aussi bien aux Calaisiens qu’aux Saint-Pierrois. La décision d’y ériger une nouvelle mairie est actée avant même l’officialisation de la fusion, car les deux hôtels de ville existants, place d’Armes et place Crèvecœur, seraient bien trop petits pour la nouvelle municipalité. Faute de moyens, il est toutefois décidé de maintenir provisoirement l’ancienne mairie de Saint-Pierre et de destiner celle de Calais-nord au musée dès qu’elle serait désaffectée. Dans les faits, comme le rappelle si bien la presse en ce mois de février 1918, le provisoire et la construction du nouvel édifice vont durer trente ans !

En août 1887, la municipalité engage ainsi une somme de 800 000 francs pour le nouvel hôtel de ville ; elle choisit comme emplacement, en septembre, la plaine sablonneuse au bout de la rue du pont Lottin (dite plaine du Sahara) et lance en octobre le concours d’architectes. Le 18 avril 1888, sur un total de quatre-vingt-quinze projets, celui de l’architecte parisien Paul Wallon est classé en tête. Mais son coût dépasse largement le budget voté et il est abandonné, à l’issue d’une vive polémique.

En 1901, la municipalité décide de ressortir un projet classé quatrième au concours, celui de l’architecte calaisien Ernest Decroix, qui avait déjà réalisé l’hôtel des postes devant le parc Richelieu. Ce dernier s’associe à son confrère Georges Douillet, actif dans le département de la Somme. Leur projet, revu et corrigé, est présenté en juin 1906 au conseil municipal, et donne lieu à une demande d’autorisation d’emprunt à hauteur de 1 250 000 francs.

Mais plusieurs critiques s’élèvent, au cours du premier semestre 1908, en particulier de l’architecte des Bâtiments civils Victor Blavette, qui met en cause l’étanchéité de la toiture, et du professeur à Polytechnique Gustave Umbdenstock. À la suite du décès d’Ernest Decroix, la municipalité demande de nouveaux plans à l’architecte Louis Debrouwer (4 mars 1910). Alors même que le ministère de l’Intérieur valide l’emprunt, tout en recommandant l’utilisation de la pierre de taille (entraînant ainsi un fort renchérissement du devis, à hauteur de 1 424 233 francs), Debrouwer reprend le travail de Decroix, en y ajoutant un beffroi et en recourant au béton armé. La construction débute finalement en 1911, mais est émaillée de soupçons de malversations. Alors que la structure du bâtiment est presque achevée, l’architecte présente le 23 juillet 1914 une demande de rallonge avoisinant le devis initial, soit 1 394 771 francs de dépassement. Le conseil municipal, qui doit se réunir quinze jours plus tard pour statuer, en est empêché par la déclaration de guerre et la suspension des travaux.

Durant le conflit, le bâtiment est utilisé par les militaires ; la place accueille le cercle du soldat belge et des locaux pour les permissionnaires de l’armée britannique. Laissé sans protection, le ciment de l’hôtel de ville s’effrite, et un bombardement provoque un trou au sommet du beffroi. Devant la saturation du bâtiment de la place Crèvecœur, l’administration décide cependant d’anticiper son installation : le conseil municipal y tient sa première réunion, le 14 avril 1918.

Les travaux reprennent cependant au ralenti après la guerre et les services municipaux fonctionnent encore longtemps dans des locaux provisoires, avec un mobilier rassemblé dans l’urgence au printemps 1918. L’édifice est finalement inauguré le 12 avril 1925, soit quarante ans après la fusion des deux communes.

Calais. Après trente-trois ans

L’administration municipale calaisienne, ayant la main forcée par les circonstances, vient de prendre une détermination qui, certainement, ne manquera pas d’être approuvée par toute la population Calais-Nordaise principalement et par la majeure partie aussi des habitants de l’ancienne agglomération Saint-Pierroise formant Calais-Sud. Il s’agit, comme nous en avons informé nos lecteurs, du transfert des bureaux et services municipaux de l’hôtel de ville de la place Crèvecœur dans les vastes bâtiments qui forment le nouvel hôtel de ville, édifié en face du parc. On sait que, ce monumental édifice étant inachevé quand la guerre éclata, la municipalité avait décidé en principe, à cette époque, d’attendre pour l’achever et pour s’y installer que la guerre fût terminée. C’était sage et nul ne songea alors à s’étonner de la décision de nos édiles. La main-d’œuvre s’était brusquement raréfiée à un tel point qu’on ne pouvait plus trouver d’ouvriers et surtout des spécialistes dont le concours était indispensable pour achever l’édifice. La plus grande partie en était mobilisée. En même temps, le prix des matériaux avait brusquement subi une telle hausse que cela déroutait complètement les calculs des entrepreneurs qui avaient soumissionné et enlevé l’affaire lors de la mise en adjudication des travaux grâce au rabais considérable qu’ils avaient offert, en acceptant de bâtir au prix le plus bas des matériaux nécessaires. En outre encore, il devenait même impossible de se procurer ceux-ci, la plupart des usines de production et des carrières d’extraction se trouvant soit arrêtées par la mobilisation de leur personnel, soit elles-mêmes réquisitionnées pour fournir exclusivement à l’armée toute leur production et tout leur stock d’approvisionnement. On sait comment, quelques mois plus tard, le nouvel hôtel de ville reçut une affectation imprévue.

Aujourd’hui la ville va utiliser les vastes locaux dont elle va reprendre possession.           
Certes, si la nouvelle de cette décision dut être accueillie avec faveur, ce fut, encore une fois, indubitablement, par la population du Vieux Calais et du quartier maritime. Depuis trente-trois ans, c’est-à-dire depuis 1885, année qui vit décréter la fusion des deux anciennes villes de Calais et de Saint-Pierre-lès-Calais, cette partie de la population se trouvait grandement lésée par la cessation de la jouissance de droits légitimement acquis.           

Avant l’annexion de Saint-Pierre-lès-Calais à Calais, ce qui dans la réalité comportait exactement le contraire de ce que signifiait cette expression, puisque ce fut réellement le Vieux Calais qui se trouva annexé à Saint-Pierre, par le transfert du siège de la vie municipale dans la mairie de cette ville, les Calaisiens n’avaient "pas loin à aller" pour satisfaire à toutes les nécessités de la vie administrative. Ils avaient chez eux tous les bureaux et services municipaux installés dans le vieil édifice de la place d’Armes, à l’ombre du pittoresque beffroi, évocation de l’architecture mauresque en honneur en Espagne, égarée sous notre climat septentrional. Ce fut, les vieux Calaisiens s’en souviennent, un joli concert de récriminations quand, à la suite de la loi d’annexion, fut décidée la mesure, qui lésait si injustement le Vieux Calais, consistant à transférer dans l’hôtel de la place Crèvecœur tous les bureaux de la place d’Armes. Ainsi pour toute déclaration d’état civil, naissance, décès, publication de mariage, il fallait faire le lointain déplacement de Saint-Pierre. On avait cependant promis aux vieux Calaisiens que cette mesure ne serait que temporaire et transitoire, qu’on allait se hâter de mettre au concours et de construire un hôtel de ville central qui rétablirait l’égalité de distance à parcourir pour tous les habitants des quartiers de la périphérie, qu’ils fussent du Courgain ou de la Nouvelle France, des Cailloux ou de la Citadelle, du Petit Courgain ou des Fontinettes.          

Il aura fallu exactement un tiers de siècle d’attente pour que l’engagement solennel pris envers la population du Vieux Calais par la municipalité de 1885 fût tenu. C’est une date qui marquera dans la vie de la Cité, c’est un évènement qui ne pourra être célébré comme il conviendrait, parce que le gigantesque évènement qu’est la guerre accapare toute l’attention, projetant une ombre immense sur tous les évènements moindres de la vie publique, ne laissant bénéficier d’une exception que les scandales qu’un gouvernement énergique a enfin décidé de sanctionner conformément aux exigences de la plus élémentaire justice. Mais, après la guerre, on verra sans doute à célébrer, avec toute la solennité qui convient, cette prise de possession qui n’a lieu aujourd’hui qu’à la faveur d’un véritable déménagement à la cloche de bois.

Pharos

Le Télégramme, samedi 16 février 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/28.