Archives - Pas-de-Calais le Département
Les informations contenues dans cette page ne sont valables avec certitude que jusqu'à cette date et heure.

Fermeture de la salle du centre Georges Besnier (site d'Arras)

Pour toute recherche dans les fonds qui y sont conservés (archives contemporaines), la consultation aura lieu dans la salle de lecture du Centre Mahaut-d’Artois, à Dainville. Deux levées sont organisées par semaine :

  • Pour une consultation de vos documents à partir du lundi matin, la commande des cotes doit être passée au plus tard le jeudi précédent, à 12h ;
  • Pour une consultation à partir du mercredi matin, la commande des cotes doit être passée au plus tard le mardi précédent, à 12h.

Le nombre de commandes est limité à 10 par jour et par personne. Le système de navette nécessitant une organisation rigoureuse et de nombreuses manipulations, il est essentiel de venir consulter les documents commandés avant la fin de la semaine, après quoi ils seront rangés.

La commande se fait via notre formulaire de contact.

Nous vous prions de nous excuser pour la gêne occasionnée et vous remercions par avance de votre compréhension.

Les boucheries municipales

Photographie noir et blanc montrant la devanture d'une boucherie en ruines.

Calais. La boucherie municipale dévastée par le souffle de l'explosion d'une torpille, 31 mai-1er juin 1917. Photographie. Archives départementales du Pas-de-Calais, 43 Fi 255.

Pour favoriser l’approvisionnement des troupes, malgré les perturbations de la production dues aux combats et au manque de main-d’œuvre, l’État s’est efforcé de limiter la consommation des produits frais, en particulier du pain, du sucre ou de la viande, par la mise en place de cartes de ravitaillement et la réduction des horaires d’ouverture des commerces (à partir de mai 1917, pas d’achat de viande, volaille ou lapin, les lundis et mardis – période étendue à trois jours, un an plus tard). Dans ce contexte de tensions et de privations, la presse dénonce régulièrement le quotidien des populations rurales et citadines et l’inaction des élus locaux face à l’augmentation constante des prix.

Certaines municipalités interviennent toutefois dès lors en matière économique et sociale, rompant avec les principes de l’économie libérale. Certaines constituent des stocks de sûreté, délivrés à des prix fixés pour freiner la spéculation. D’autres mettent en place des commissions contre la vie chère, chargées du contrôle des prix ; d’autres encore prennent directement en charge la distribution, en créant des magasins, telles les boucheries municipales, où la viande est vendue à un prix inférieur à celui du commerce. Ouvertes principalement dans des communes radicales ou socialistes, celles-ci suscitent l’opposition des commerçants. 

Boulogne. Les boucheries municipales 

Nous lisons dans le Petit Parisien :

"Une forte baisse s’est manifestée hier, aux Halles, au pavillon des viandes foraines. Elle a atteint, par 100 kil. : de 40 à 50 fr. sur le bœuf ; de 50 à 60 sur le veau ; de 70 à 80 sur le mouton et sur le porc de qualité inférieure.
Faut-il voir là l’effet des mesures envisagées hier à l’Hôtel de Ville pour enrayer la hausse de la viande ? En tout cas la coïncidence de la baisse survenant le jour même où la Commission municipale s’est occupée de la question, est à noter." 

Quel meilleur argument peut-on trouver pour la création des boucheries municipales ? De quelle preuve plus irréfutable peut-on faire état pour convaincre ceux qui seraient tentés d’en douter que les prix pratiqués par les bouchers sont fantaisistes et que leur augmentation est complètement injustifiée. Les détaillants parisiens ont compris qu’à force de tirer sur la corde, elle finit par casser. Celle sur laquelle tirent depuis si longtemps les bouchers boulonnais, serait bien vite rompue si notre municipalité avait quelque chose dans la main ; malheureusement dans la dextre municipale on trouverait plutôt le poil symbolique que puissance et énergie.

Il faut véritablement que nos édiles aient bien peu d’amour-propre pour assister impassibles et indifférents aux généreux efforts tentés par tant de villes de France dans le but de solutionner l’inquiétante question de la viande. De quel révoltant égoïsme ne pourrait-on les accuser en songeant qu’un geste leur suffirait pour permettre aux travailleurs modestes de se procurer à des prix raisonnables la viande dont, depuis tant de jours, ils ont perdu le goût.

La France du Nord, samedi 12 janvier 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/98.

Les boucheries municipales en 1870 et aujourd’hui

Partout s’installent les boucheries municipales, lisons-nous dans les quotidiens. Seule, notre ville reste à l’écart de ce mouvement de réaction contre la marche sans cesse ascendante des prix de la viande.  
En présence de la lamentable attitude de la municipalité actuelle, nous avons eu la curiosité de rechercher si, dans des circonstances aussi tragiques que celles que nous traversons aujourd’hui, les édiles de 1870 avaient fait preuve de la même indifférente veulerie.

Nous avons donc feuilleté les procès-verbaux des délibérations du conseil municipal d’alors, portant sur les mesures à prendre pour venir en aide aux classes laborieuses et les soustraire aux difficultés résultant du renchérissement de la vie. Par cette lecture, nous avons pu nous rendre compte des généreux efforts tentés par les élus de la ville de Boulogne au cours de l’« Année terrible », pour adoucir les souffrances de la population. Nous ne pouvons mieux faire que de citer les paroles du rapporteur :

"À côté du pain, se place naturellement un autre élément de l’alimentation. Je veux parler de la viande. Malgré le bon marché des bestiaux, nous voyons le prix de la viande se maintenir à un prix très élevé. Comment procurer aux malheureux la viande à bon marché ?
C’est évidemment en supprimant l’intermédiaire qui, seul, profite aujourd’hui des circonstances exceptionnelles." 

Le rapport exposait ensuite les moyens à employer pour installer une boucherie qui mettrait en relations directes le producteur et le consommateur, puis terminait par une éloquente péroraison montrant à quel point la municipalité avait conscience de ses devoirs envers ceux qui lui avaient fait confiance.

"Dans ce projet, on pourra trouver ce que demande depuis longtemps la population de Boulogne, le moyen de mettre un terme aux bénéfices trop considérables que réalise la boucherie, de contraindre, par une concurrence facile à établir, cette classe de commerçants à maintenir le prix de la viande en rapport avec celui des bestiaux.
C’est dans un moment où tous les fléaux semblent fondre sur notre pauvre France, qu’il nous appartient de rechercher avec soin les ressources qu’il faut employer pour combattre peut-être le plus terrible de tous : la misère.
Puissions-nous atteindre notre but et qu’on ne dise pas plus tard que, dans la ville de Boulogne, un habitant est mort de faim." 

En lisant ces lignes, nous sommes une fois de plus frappé par cette éclatante vérité : l’Histoire n’est qu’un éternel recommencement. Mais, si les événements se reproduisent, les hommes changent et la municipalité falote d’aujourd’hui fait bien triste figure à côté de son aînée. Celle-ci songeait à créer ; celle-là est impuissante à imiter l’exemple des autres villes, dont l’activité et le dévouement constituent pour elle le plus cinglant des affronts.
Quelle meilleure pierre de touche de la sincérité des belles promesses si facilement prodiguées dont fut malheureusement dupe une partie de nos concitoyens ? Cette faute a coûté cher à eux et à tous.

Il sera bien difficile aux élus d’aujourd’hui de répondre aux poilus qui viendront leur demander compte d’une inertie qui, pieds et poings liés, aura livré les leurs à l’avidité du négoce.
Ils ont tout récemment laissé échapper une occasion magnifique pour sortir de leur torpeur ; il suffisait d’agiter la question lors de la dernière séance du conseil. Chose inimaginable, il ne s’est pas trouvé, même parmi le parti qui clame si haut sa sollicitude pour les travailleurs, un seul membre assez indépendant pour proposer la création de boucheries municipales ! En admettant que, par intérêt, une partie de l’assemblée fût hostile au projet, il eût été curieux de connaître les prétextes qu’elle aurait invoqués pour masquer ses véritables raisons.

En évitant à ses collègues, dont il s’est ainsi rendu solidaire, pareil embarras, le clan socialiste a fait preuve d’une délicate courtoisie. Malheureusement, ces beaux sentiments se manifestent aux dépens de la partie la plus intéressante de la population.
Celle-ci ne l’oubliera pas et au jour du règlement de compte, elle saura par la manifestation brutale de son ressentiment faire payer à ces messieurs leurs gentillesses à l’égard de leurs adversaires naturels.

La France du Nord, jeudi 17 janvier 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/98.

Les mouches du coche

Un de nos confrères locaux, dans son désir de montrer qu’il connaît ses auteurs, intitule un article où il semble nous viser en partie, les « Mouches du coche ». Cette citation ne nous paraît pas des plus heureuses. L’insecte, dont parle le bon La Fontaine, bourdonnait autour d’un attelage fatigué d’efforts prolongés et efficaces, en un mot ayant fait ce qu’il devait faire. La municipalité boulonnaise, dont notre confrère se fait le champion, est fatiguée peut-être ; quant à avoir accompli tout ce qu’elle devait et pouvait accomplir, c’est une autre question. Les plaintes et les doléances de la population, en ce qui concerne le renchérissement exagéré de la viande, dont nous nous sommes fait l’écho dans nos articles sur les boucheries municipales, constituent la meilleure des réponses.         

Point n’est besoin d’être professeur d’économie politique pour constater l’excellence des résultats obtenus dans les villes où la création de boucheries municipales a été décidée. Il semblerait vraiment que notre confrère affectionne les grands mots. En tout cas, nous trouvons complètement injustifié son reproche de ne pas tenter "nous-mêmes" l’expérience que nous prônons. Le rôle de la Presse n’a jamais été, que nous sachions, de faire du commerce d’alimentation, quelque rémunérateur qu’il soit en ce moment. Notre action et notre prétention consistent à présenter les légitimes désidérata du public, à réclamer des mesures destinées à la protection de son existence, à améliorer son alimentation, et à blâmer l’inertie qui le laisse aux prises avec des difficultés sans cesse croissantes.

Nous serions obligés à notre contradicteur de nous dire pourquoi l’exposition faite par nous des projets de création de boucheries municipales, qualifiée par lui d’absurde, possède ce caractère en ce qui concerne Boulogne, alors que, dans les autres villes, où cet essai a été tenté, les résultats sont des plus satisfaisants.

Puisqu’il parle de mauvaise foi, il nous semble qu’on peut l’accuser d’en faire preuve en prétendant que les mesures réclamées par nous sont de nature à ruiner le commerce. Dans notre exposé des efforts tentés par les municipalités dans un grand nombre de villes de France, notamment à Bordeaux, nous avons indiqué le chiffre des bénéfices nets réalisés par les bouchers détaillants, ce chiffre dépassait 6 000 francs. Si c’est ce qu’on peut appeler la ruine…

Ce n’est certes pas l’installation de ces boucheries qui nécessiterait les "énormes travaux" dont semble s’épouvanter notre confrère ; nous sommes donc obligés de croire qu’il s’agit en l’espèce de l’établissement de tentes ou de baraquements destinés à abriter des prisonniers allemands afin de leur faire partager les risques courus par les habitants du fait des bombardements aériens. Peut-être encore s’agit-il d’abris dans lesquels la population pourrait se réfugier en cas de bombardement par gros projectiles, contre lesquels les caves les mieux voûtées n’assurent plus une protection suffisante. Nous ferons observer que, lorsqu’il s’agit de conserver, ne fût-ce qu’une vie humaine, la dépense ne doit pas entrer en ligne de compte. On l’a bien compris à Dunkerque où d’importants travaux de ce genre ont été effectués. Jamais il n’est entré dans notre esprit l’idée de faire supporter par la Ville seule, le poids de ces charges, nous nous en sommes rapporté à ce qui s’est passé à Calais où la municipalité a fait auprès de l’autorité militaire de pressantes démarches pour que celle-ci prenne les précautions auxquelles nous faisions allusion.

Même inexactitude en ce qui concerne le reproche de dénigrement systématique. Nous avons au contraire rendu pleine justice aux résultats obtenus par le ravitaillement municipal. Tout au plus, avons-nous parlé de quelques améliorations à apporter à son fonctionnement. Mais rien n’est parfait et un vieil adage ne dit-il pas : Aimez qu’on vous conseille et non pas qu’on vous loue ?

Notre confrère enfin se plaint de ne pas trouver de talent dans la façon dont nous accomplissons notre besogne. En est-il besoin lorsqu’il s’agit d’une réclamation motivée ? Nous n’avons jamais songé à en faire preuve et les justes causes n’en nécessitent pas. Pour les autres, c’est autre chose, et notre confrère qui, sans doute, considère son travail avec complaisance puisqu’il critique celui des autres, a dû faire appel au sien pour rédiger son article, bien qu’il ne contienne aucune réfutation sérieuse de nos arguments. Mais, en ce faisant, il dépasse la note. Pour lui prouver que nous aussi, nous connaissons nos auteurs, nous l’engagerons à méditer les vers du fabuliste : "Ne forçons point notre talent…"

La France du Nord, mercredi 23 janvier 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/98.