Les mouches du coche
Un de nos confrères locaux, dans son désir de montrer qu’il connaît ses auteurs, intitule un article où il semble nous viser en partie, les « Mouches du coche ». Cette citation ne nous paraît pas des plus heureuses. L’insecte, dont parle le bon La Fontaine, bourdonnait autour d’un attelage fatigué d’efforts prolongés et efficaces, en un mot ayant fait ce qu’il devait faire. La municipalité boulonnaise, dont notre confrère se fait le champion, est fatiguée peut-être ; quant à avoir accompli tout ce qu’elle devait et pouvait accomplir, c’est une autre question. Les plaintes et les doléances de la population, en ce qui concerne le renchérissement exagéré de la viande, dont nous nous sommes fait l’écho dans nos articles sur les boucheries municipales, constituent la meilleure des réponses.
Point n’est besoin d’être professeur d’économie politique pour constater l’excellence des résultats obtenus dans les villes où la création de boucheries municipales a été décidée. Il semblerait vraiment que notre confrère affectionne les grands mots. En tout cas, nous trouvons complètement injustifié son reproche de ne pas tenter "nous-mêmes" l’expérience que nous prônons. Le rôle de la Presse n’a jamais été, que nous sachions, de faire du commerce d’alimentation, quelque rémunérateur qu’il soit en ce moment. Notre action et notre prétention consistent à présenter les légitimes désidérata du public, à réclamer des mesures destinées à la protection de son existence, à améliorer son alimentation, et à blâmer l’inertie qui le laisse aux prises avec des difficultés sans cesse croissantes.
Nous serions obligés à notre contradicteur de nous dire pourquoi l’exposition faite par nous des projets de création de boucheries municipales, qualifiée par lui d’absurde, possède ce caractère en ce qui concerne Boulogne, alors que, dans les autres villes, où cet essai a été tenté, les résultats sont des plus satisfaisants.
Puisqu’il parle de mauvaise foi, il nous semble qu’on peut l’accuser d’en faire preuve en prétendant que les mesures réclamées par nous sont de nature à ruiner le commerce. Dans notre exposé des efforts tentés par les municipalités dans un grand nombre de villes de France, notamment à Bordeaux, nous avons indiqué le chiffre des bénéfices nets réalisés par les bouchers détaillants, ce chiffre dépassait 6 000 francs. Si c’est ce qu’on peut appeler la ruine…
Ce n’est certes pas l’installation de ces boucheries qui nécessiterait les "énormes travaux" dont semble s’épouvanter notre confrère ; nous sommes donc obligés de croire qu’il s’agit en l’espèce de l’établissement de tentes ou de baraquements destinés à abriter des prisonniers allemands afin de leur faire partager les risques courus par les habitants du fait des bombardements aériens. Peut-être encore s’agit-il d’abris dans lesquels la population pourrait se réfugier en cas de bombardement par gros projectiles, contre lesquels les caves les mieux voûtées n’assurent plus une protection suffisante. Nous ferons observer que, lorsqu’il s’agit de conserver, ne fût-ce qu’une vie humaine, la dépense ne doit pas entrer en ligne de compte. On l’a bien compris à Dunkerque où d’importants travaux de ce genre ont été effectués. Jamais il n’est entré dans notre esprit l’idée de faire supporter par la Ville seule, le poids de ces charges, nous nous en sommes rapporté à ce qui s’est passé à Calais où la municipalité a fait auprès de l’autorité militaire de pressantes démarches pour que celle-ci prenne les précautions auxquelles nous faisions allusion.
Même inexactitude en ce qui concerne le reproche de dénigrement systématique. Nous avons au contraire rendu pleine justice aux résultats obtenus par le ravitaillement municipal. Tout au plus, avons-nous parlé de quelques améliorations à apporter à son fonctionnement. Mais rien n’est parfait et un vieil adage ne dit-il pas : Aimez qu’on vous conseille et non pas qu’on vous loue ?
Notre confrère enfin se plaint de ne pas trouver de talent dans la façon dont nous accomplissons notre besogne. En est-il besoin lorsqu’il s’agit d’une réclamation motivée ? Nous n’avons jamais songé à en faire preuve et les justes causes n’en nécessitent pas. Pour les autres, c’est autre chose, et notre confrère qui, sans doute, considère son travail avec complaisance puisqu’il critique celui des autres, a dû faire appel au sien pour rédiger son article, bien qu’il ne contienne aucune réfutation sérieuse de nos arguments. Mais, en ce faisant, il dépasse la note. Pour lui prouver que nous aussi, nous connaissons nos auteurs, nous l’engagerons à méditer les vers du fabuliste : "Ne forçons point notre talent…"