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Les réfugiés au comité du Pas-de-Calais

Dès le début du conflit, la solidarité envers les populations fuyant l’envahisseur est perçue comme une obligation patriotique. L’allocation quotidienne de 1,25 franc pour un adulte et de 0,50 franc pour un enfant, votée par l’État dès janvier 1915, s’avère très vite insuffisante. De nombreuses associations se constituent pour la collecte de fonds de secours et d’installation des exilés. Elles distribuent des aides en nature, mais ont également la volonté de soigner, de centraliser les offres d’emploi, de mettre en relation les familles dispersées, et d’éditer des journaux afin de maintenir un lien entre les réfugiés.

C’est pour venir en aide aux exilés qui ont rejoint la capitale et ses départements voisins que le Comité des réfugiés du Pas-de-Calais est créé à Paris le 11 novembre 1914 avec l’aide de Charles Jonnart, et que Julien Legrand, chimiste originaire de Lens installé à Paris, en est élu président. Le sénateur Louis Boudenoot obtient, dès 1915, une aide de 10 000 francs de la part du Conseil général du Pas-de-Calais, que complète, à partir de 1917, une seconde subvention de 20 000 francs provenant de la préfecture, par l’intermédiaire du comité départemental des réfugiés, qui gère les familles des exilés installées dans les zones libres du Pas-de-Calais.

Le récit de la visite de Jean Carvalho a pour but d’informer ses lecteurs du régime précaire et des conditions sanitaires parfois déplorables auxquels les réfugiés sont confrontés, particulièrement en 1918 où le nombre de 42 000 immatriculés à Paris semble atteindre son maximum. Le public perçoit que le traumatisme de l’exil, de la perte des biens et de la séparation s’accompagne parfois de l’hostilité ou de la suspicion de la part des populations du lieu de leur refuge. C’est bien un appel aux dons et à la solidarité nationale qui est ici relayé auprès de ceux qui ont la chance de ne pas subir la rudesse de l’exil.

Les réfugiés au comité du Pas-de-Calais

Je viens de visiter le comité du Pas-de-Calais, à Paris, 18 rue Henri Monnier. Son président, M. Legrand m’en a fait parcourir tous les services et si je rapporte les renseignements qu’il a bien voulu me donner, ce n’est point tant pour raconter ce que j’ai vu que pour souligner l’importance et l’urgence d’une pareille œuvre. Je ne dirai pas ce que j’ai entendu, les bribes de conservation que j’ai pu surprendre, les réflexions ou les observations. À quoi bon ? N’est-ce point ici comme au comité de la Somme ou d’ailleurs ? Je veux simplement montrer ce qui a été fait : les lecteurs du "Télégramme" comprendront mieux ainsi ce qui peut être fait, ce qu’il leur reste à faire. Des chiffres, pour cela, vaudront plus qu’une longue supplique.

- Comment et dans quel but le comité a été fondé, me dit M. Legrand, tout le monde le sait chez nous. Cela, c’est le passé, un passé tragique dont nous ne pouvons pas nous occuper. Chaque jour en effet apporte sa tâche et sa peine, et aujourd’hui nous absorbe trop pour que nous trouvions le temps de penser à hier.

Donc voici. Nous avons, à l’heure actuelle 42 000 réfugiés immatriculés, c’est-à-dire ayant leur fiche et leur carte. Avec ces pièces, ils peuvent trouver chez nous tout ce dont ils ont besoin, ou du moins tout ce que nous sommes en mesure de leur fournir, c’est-à-dire le nécessaire. Pour eux, nous avons des logements. Hélas, ceux-ci ne répondent point à nos désirs. Ils sont assurément fort insuffisants et beaucoup ne jouissent pas des conditions d’hygiène que nous voudrions pour nos malheureux compatriotes. C’est là notre gros souci et nous nous efforçons sans cesse d’en trouver de nouveaux, plus vastes, plus ou mieux habitables.

M. Legrand me conduit au vestiaire. Là, j’ai assisté à la distribution des vêtements, qui s’opère en grand ordre et le plus simplement du monde. Le demandeur a fait inscrire, au préalable, sur une carte, les différentes choses qu’il désire. Munis de cette fiche à son nom, il se présente à l’un des deux guichets de distribution : un pour les hommes, un autre pour les femmes. Il passe dans le "magasin" correspondant, choisit, essaie, en prend livraison et sa fiche, avec toutes indications utiles, est transmise à un bureau où un comptable enregistre tout ce qui est emporté.

Des quantités de vêtements de toutes sortes sont là, rangées, empilées, classées, étiquetées, et chacun trouve à peu près ce qu’il désire. Une discipline affectueuse mais ferme règne partout. Pas de discussions, point de cris, on cause peu et à voix basse, mais on travaille beaucoup.

- Ainsi que vous pouvez le voir, me dit M. Legrand, tout ce que nous distribuons est neuf. Je vous affirme que c’est là une grande satisfaction pour ceux qui viennent chez nous. Jusqu’ici nous avons pu satisfaire ainsi aux demandes urgentes, mais nous voudrions faire plus encore. Malheureusement, les ressources dont nous disposons ne le permettent guère. Ah, si tous ceux que l’invasion a épargnés pouvaient passer ici quelques instants, je suis certain qu’ils n’hésiteraient pas à nous apporter, selon leurs ressources et leur cœur, le concours qui nous serait si utile ! Songez que le vestiaire nous coûte deux mille francs par jour, en moyenne.

- Et la nourriture ?

- Le comité du Pas-de-Calais avait tout d’abord fondé un restaurant rue d’Hauteville, dans un établissement de ce genre que la propriétaire – après l’avoir fermé au début de la guerre – mit à notre disposition. Au bout de quelques mois, nous dûmes nous transporter ailleurs et on alla avenue Malakoff d’où il fallut bientôt déménager. C’est alors que je résolus d’installer dans un local que j’ai trouvé, 78, rue des Martyrs, un restaurant qui serait en quelque sorte commun, accessible plutôt à tous les réfugiés. Il semble que j’ai réussi puisque tous les jours de nombreux clients sont obligés d’attendre, debout, que des places soient libres. Il faut dire que pour 1 fr. 10 ils sont assurés de trouver là un repas très substantiel. Pour y avoir accès il faut naturellement être porteur d’une carte d’un des comités, Aisne, Somme, Nord, Meuse, Meurthe-et-Moselle ou autre. Mais, vous n’en doutez pas, la tâche est lourde. Aussi vais-je demander aux autres comités de l’assumer à leur tour.

Voilà donc pour nos réfugiés le logement, l’habillement, la nourriture. C’est l’essentiel ; mais ce n’est pas toujours suffisant. Aussi distribuons-nous autant que nous le pouvons des secours. C’est ainsi que, par exemple, ce relevé, que je prends au hasard, nous indique que dans la journée du 29 avril dernier on a donné 415 fr. en espèces aux réfugiés et 48 fr. à des militaires permissionnaires.

Telle est dans nos grandes lignes l’organisation du comité du Pas-de-Calais. Bien des détails seraient à ajouter, qui donneraient peut-être plus de vie, plus d’allure à cette ruche où l’on ne ménage ni son temps ni sa peine. À quoi bon ? Je veux pourtant mentionner le service médical qui n’a point été négligé. Deux fois par semaine des consultations ont lieu dans des pièces agencées spécialement et chauffées. Consultations et médicaments, naturellement, sont gratuits ; et M. Legrand m’apprend que ce service coûte 25 000 francs par an.

Enfin un autre service est l’objet de soins particuliers : c’est celui des recherches. Ce mot seul indique son but, son utilité et son importance. Combien de familles, dont les membres avaient été brutalement séparés, ont pu, grâce à lui, se réunir, se reconstituer !

Et maintenant, il me reste à adresser à tous ceux qui me liront un appel en faveur de ce Comité. Ses charges sont lourdes, ses besoins vont chaque jour grandissant. Vous qui n’avez point ou que fort peu souffert, vous qui n’avez pas connu les cruautés de l’exil, vous qui ne connaissez pas les horreurs de l’invasion boche, vous qui n’avez perdu qu’un peu de votre tranquillité, songez à ceux de vos compatriotes que la barbarie a chassés de leurs foyers détruits, songez à leurs souffrances physiques, à leurs tortures morales, et tâchez d’atténuer leur supplice dans la mesure de vos moyens en aidant de quelques deniers ce comité bienfaisant. Ce ne sera pas de la charité – on n’en voudrait pas – mais de la solidarité française et de la fraternité chrétienne.

Jean Carvalho

Le Télégramme, mercredi 15 mai 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/29.