Nos devoirs de guerre
Droits du front, devoirs de l’arrière
, a dit M. Clemenceau dans sa déclaration ministérielle, précisant ainsi par une brève formule, facile à retenir, la solidarité morale qui doit unir par des liens de plus en plus fraternels les travailleurs et les combattants, ceux-ci étant constamment aidés par ceux-là dans leur héroïque effort pour la défense de la patrie.
Travailler ou combattre. Il n’y a pas d’autre alternative, à l’heure présente, pour quiconque veut remplir en conscience ses devoirs de bon Français. La France veut que chacun, au poste et au rang où le sort l’a placé, contribue par un effort de "guerre intégrale" à la victoire totale qui est due aux justes causes que nous soutenons, sur le champ de bataille, avec les bons alliés qui seront fidèles, jusqu’au bout, à leur engagement loyal. Le moment est venu de nous inspirer, plus que jamais, des traditions patriotiques et républicaines de la Convention nationale qui, dans une situation tragique, donna cet inoubliable mot d’ordre : jusqu’au jour où l’ennemi aura été chassé du territoire de la République, tous les Français de la République, tous les Français sont en réquisition permanente pour le service des armées
.
Le "service des armées" exige que l’arrière soit digne du front. Trop souvent les permissionnaires ou les soldats en convalescence, retirés des tranchées dans l’intervalle des rudes combats, pourraient croire que trop de gens profitent de la sécurité que leur procure le rideau défensif de nos armées, pour continuer, à l’abri du danger, une espèce d’existence d’avant-guerre, toute remplie par le fracas des querelles politiques ou divertie par des amusements qui ne sont pas de saison. Épargnons aux poilus cette impression choquante et quelquefois douloureuse. Prouvons à nos chers soldats, à nos enfants, qu’il ne faut pas confondre le véritable arrière, c’est-à-dire notre nation laborieuse, patiente, économe, avec une minorité de bruyants individus, généralement cosmopolites, embusqués de toutes les races, intrus de toute provenance, parasites de tout genre, et dont le cas relève peut-être moins de la morale que de la police. Le véritable arrière, ce sont les pères de famille qui, en l’absence des fils assurent dans nos villes et dans nos campagnes la continuité du travail, l’indépendance du foyer, la tradition de l’honneur, afin que le combattant, à son retour, puisse retrouver sa maison toute prête à entourer de tendresse et de réconfort son glorieux repos. C’est à l’arrière aussi que l’on voit ces admirables femmes de France, mères, épouses, filles, fiancées qui, depuis trois ans, se consacrent de toute leur âme à la guérison des blessés, au soutien des malheureux et des faibles, à la consolation des affligés. Faisons-en sorte que toutes ces hautes vertus, proportionnées à la grandeur des sacrifices consentis par notre nation et à l’éminente dignité des deuils stoïquement ensevelis dans le silence des cœurs meurtris, ne soient pas offusquées, aux yeux de nos défenseurs, par l’étrange tenue de ceux qui voudraient continuer à ne rien comprendre et à ne rien sentir.
Comment pourrait-on s’abandonner aux suggestions de l’égoïsme, de l’intérêt personnel ou des fantaisies particulières, lorsque tant de détresses méritent l’assistance fraternelle de tous les esprits justes, de toutes les volontés droites, de tous les cœurs généreux ?
Il faut, maintenant que, dans toute la France, chacun travaille, dans toute la mesure de ses forces physiques et de ses facultés intellectuelles, aux résultats qui doivent hâter, par la victoire universelle du droits, les réparations dues, les sanctions prévues, les châtiments encourus, le triomphe de la justice, pour que la conscience humaine obtienne enfin les satisfactions qu’elle attend. Ainsi se trouvent nettement tracés nos devoirs de guerre, "devoirs de l’arrière", correspondant aux "droits du front". Chacun de nous, quel qu’il soit, ou qu’il puisse être, doit prouver qu’il est capable de bien mériter de la patrie.