Mes Chers Collègues,
Aux heures lourdes d'angoisses, succèdent les jours bénis de la victoire. L'héroïsme de nos soldats, l'inébranlable volonté du pays, vont recevoir leur récompense. Tous, sur le front et à l'arrière, nous avons fait le serment d'aller jusqu'au bout ; la France a enduré les pires souffrances, consenti d'inouïs sacrifices pour défendre le Droit contre le crime, la civilisation contre la barbarie, en même temps qu'elle luttait pour son existence, et voici que, dans la nuit sombre des batailles, l'horizon s'éclaire et l'espérance gonfle nos cœurs.
Pour toucher le but, il faut tendre nos muscles et persévérer dans l'effort.
Vous êtes de ceux, mes chers collègues, qui, dans les jours les plus douloureux, n'ont jamais douté et n'ont jamais fléchi.
Je me souviens de la séance du mois de septembre 1914 où le Conseil général stigmatisait l'infamie des Empires de proie qui, sous l'apparence d'un prétexte, pour satisfaire leur rêve de domination universelle et leurs bas appétits de conquête, déchaînaient en Europe la plus terrible des guerres, et qui n'osant pas aborder de front le mur infranchissable de nos défenses de l'Est, se ruaient sur la vaillante petite Belgique, au mépris des traités où l'Allemagne avait apposé sa signature, tuant, pillant, incendiant, dévastant tout sur leur passage, violant toutes les lois de la guerre et toutes les lois humaines pour répandre dans le monde l'épouvante et la terreur. – (Applaudissements).
Nous siégions à Arras ; l'ennemi était à nos portes. La France, patrie de l'honneur, persistant à rejeter l'idée d'un pareil crime contre la neutralité de la Belgique, n'avait point fortifié ses frontières du Nord. En quelques jours, les armées allemandes réussissaient à occuper une partie des Flandres, et du territoire d'Artois.
Alors, avec une indicible émotion, nous exprimions nos plus affectueuses pensées et nos vœux à ceux de nos collègues demeurés au milieu des populations envahies qu'ils représentent avec tant de fierté et de courage, et nous leur promettions de ne pas faillir devant l'effroyable tourmente. – (Très bien).
Le Pas-de-Calais a tenu parole : il n'a pas connu le découragement, ni les défaillances. Des centaines de communes, des plus belles et des plus riches de notre département, ont subi les horreurs de l'invasion. Elles ont été ravagées, détruites, leurs habitants réduits en esclavage, suivant un plan infernal méthodiquement exécuté. Ce sont des ruines que foulent les armées alliées libératrices de notre territoire. Cependant, devant les excès de la plus odieuse barbarie, notre patriotisme n'a cessé de se raffermir et nous avons gardé une foi invincible dans la victoire du Droit et de l'Humanité et les réparations de l'avenir. (Très bien).
Les réparations, après tant d'abominables forfaits, il faut qu'elles soient intégrales, les sanctions implacables, les garanties d'avenir nettement déterminées. – (Applaudissements).
Nous n'avons pas voulu la guerre ; nous voulons plus que jamais la paix. Mais non la paix allemande, non pas un lâche compromis murmuré à voix basse qui s'appliquerait à détourner des grands coupables et des nations qui n'ont pas cessé de se solidariser avec eux les responsabilités et les châtiments !
Nous avons le droit d'élever la voix.
Au nom de nos concitoyens, au nom de tous ceux qui sont morts victimes des sévices raffinés et des brutalités de l'envahisseur, au nom de ceux qui ont enduré pendant plus de quatre ans les plus cruelles épreuves que l'Histoire ait connues, au nom de nos villages effondrés et de nos villes martyres, au nom de cette assemblée qui ne veut rien oublier, ni rien pardonner, je dois dire très haut, pour que mes paroles et vos volontés retentissent jusque dans les régions heureuses qui n'ont pas souffert de l'invasion, que nous nous dresserions contre tout Gouvernement qui engagerait des pourparlers avec l'ennemi avant que les territoires envahis soient complètement libérés, (Applaudissements)… avant que nous puissions imposer aux malfaiteurs de l'humanité une paix qui soit autre chose qu'une trêve et une duperie, une paix réparatrice, durable, fondant le règne du Droit sur des bases inébranlables, assurant le triomphe définitif de l'idéal de justice et de liberté et des nobles conceptions de l'honneur qui désormais doivent présider au Gouvernement des peuples et à leurs rapports entre eux.
La parole de nos ennemis, leur promesse de la tenir, chiffon de papier ! ce qu'il nous faut, suivant les déclarations du Président Wilson, c'est les mettre dans l'impossibilité de violer les futurs traités.
Messieurs, la parole reste au canon. – (Applaudissements).
Nos âmes communient avec celle du grand patriote Georges Clemenceau qui veut continuer la guerre jusqu'aux libérations triomphantes. – (Très bien, très bien). Nos cœurs battent à l'unisson du sien. Permettez-moi d'adresser au chef du Gouvernement l'expression de notre ardente sympathie et de notre entière confiance, en même temps que le nouveau tribut de notre admiration et de notre infinie gratitude aux magnifiques troupes françaises et alliées qui, sous le commandement de chefs admirables, avec un esprit de sacrifice qui dépasse l'imagination des plus belles légendes, luttent victorieusement sur tous les fronts et tout à l'heure bouteront l'ennemi hors de France. – (Salves d'applaudissements).
Messieurs, je puis dire à M. le Préfet que sa collaboration nous sera infiniment précieuse. Nous connaissons son esprit d'initiative, son activité. Nous savons que nous pouvons compter entièrement sur son dévouement aux intérêts du Département et au sublime idéal de la République.
Monsieur le Préfet, vous succédez à un homme qui nous a légué de grands exemples, qui laissera un souvenir impérissable de l'aménité de son caractère, de la bonté de son cœur, de son courage tranquille et superbe. Bon républicain, ardent patriote, il a emporté les regrets unanimes et les sympathies de ce Département qu'il servait depuis longtemps. Nous défendions auprès de lui, âprement parfois, les intérêts des contribuables. Nous protestions – comme nous continuerons à protester, – mais l'entente la plus cordiale n'a cessé de régner entre nous. Nous n'avions qu'une pensée, qu'une impulsion : gérer les intérêts de ce Département en bons pères de famille, maintenir toutes ses forces vives, travailler pour la petite Patrie, travailler du même élan à la prospérité et à la grandeur de la France.
Ce programme, Monsieur le Préfet, c'est le vôtre ; vous nous l'avez dit. Notre concours le plus cordial et le plus confiant ne vous fera jamais défaut. Vous êtes ici dans un département de braves gens. Il n'y a dans cette assemblée, sur quelque banc qu'ils siègent, que de bons serviteurs de la France et de la République. – (Très bien, très bien).