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L’effort des colonies britanniques

Les colonies ont joué un rôle capital dans le déroulement de la guerre, pour leurs apports humains (soldats et main-d’œuvre) comme en matériels (approvisionnement en matières premières, notamment). Alors que l’Allemagne a toujours refusé d’engager ses colonies sur le front occidental, la France et le Royaume-Uni ne se privent pas d’utiliser les ressources disponibles dans leurs empires respectifs.

Environ 1 300 000 hommes des Dominions (états indépendants de l’empire britannique, tels que l’Afrique du sud, l’Australie ou encore le Canada) participent à la guerre, pour la plupart engagés sur le front occidental et plus particulièrement en France et en Belgique.

Mobilisée dès l’automne 1914, l’Union sud-africaine doit d’abord gérer la dernière révolte des Boers, ce qui retarde l’offensive contre les colonies allemandes du sud-ouest africain. En juin 1916, les premiers contingents débarquent à Marseille, puis sont dirigés vers la Somme où ils participent aux sanglants combats de l’automne. Aujourd’hui, un mémorial et un musée leur sont consacrés à Longueval.

À leurs côtés, se trouve également l’Australian and New-Zealand Army Corps (aussi appelé Anzac Corp), transféré sur le front français au début de 1916. En tout, plus de 416 000 Australiens participent aux combats, dont 313 000 sur le front occidental.

Les conférences des 11 et 25 janvier 1917 de la Société de géographie de Boulogne rappellent l’engagement, parfois oublié, de ces troupes en France.

Hier, au théâtre, la Société de géographie donnait sa 9ième conférence sur l’effort des Alliés. L’orateur désigné par le comité de propagande du Ministère des Affaires étrangères, était M. Froidevaux, doyen de la faculté des lettres de l’Université catholique de Paris.

La séance est présidée par M. Barlet, vice-président, assisté de MM. Béquignon, inspecteur d’académie, Dulot, Francq. Dans un discours plein de bonne humeur, de patriotisme et d’esprit, M. le président Barlet présente le conférencier auquel il donne la parole. Le distingué doyen n’est pas un inconnu à Boulogne où à dix reprises différentes il est venu parler à la Société de géographie.

M. Froidevaux rappelle avec émotion le temps, où, sous la présidence du regretté Farjon qui était son ami, il venait s’entretenir, salle Sainte-Beuve, avec l’auditoire boulonnais.

L’orateur fait ensuite un magnifique éloge de M. Farjon, l’homme de cœur et d’esprit dont il vante la haute intelligence, la sollicitude éclairée pour les intérêts économiques de Boulogne et le noble caractère.

L’auditoire applaudit à ce juste hommage rendu à la mémoire de M. Farjon, puis M. Froidevaux aborde son sujet.

L’orateur, esprit méthodique et clair, causeur élégant et souvent brillant, érudit et discret, produit la meilleure impression sur le public qui l’écoutera avec l’attention que mérite un homme de sa valeur. Le silence n’est interrompu que par les applaudissements. Le 28 janvier 1859, dit M. Froidevaux, dans une déclaration à la Chambre des Communes, on faisait l’éloge des colonies anglaises et on affirmait leur loyalisme et leur fidélité, pour le jour où la Grande-Bretagne aurait besoin de leur concours, dans un péril grave. Ce jour est arrivé et la prophétique parole de 1859 est la conclusion réconfortante et instructive de l’histoire que nous vivons aujourd’hui.

L’orateur s’efforcera de scruter la profondeur des sentiments loyalistes du Cap et de l’Australie et d’indiquer les causes de leur actuelle fidélité.

À grands traits, M. le doyen Froidevaux fait la description géographique du Cap. Pays vaste par l’étendue 1 225 000 kmq, petit par la population 5 975 000 habitants, sur lesquels on compte seulement un peu plus de 200 000 blancs.

La diversité des éléments ethniques, les querelles des partis, les intrigues des Allemands de l’Afrique sud occidentale n’ont point empêché les vaincus de 1902 de témoigner, en grande majorité, leur reconnaissance à l’Angleterre qui s’est montrée généreuse et libérale pour ses adversaires de la veille et qui, avec un tact infini, a pansé les blessures reçues dans les luttes longues et acharnées.

L’Union sud-africaine, qui, en 1909, avait changé l’indépendance contre l’autonomie, a manifesté, en 1914, son loyalisme, d’abord en répudiant toute idée de non intervention, puis en affirmant sa fidélité par des souscriptions pécuniaires et par un effort militaire des plus méritoires.

C’est Louis Botha, le héros de la guerre de l’indépendance Boer qui a vaincu Christian de Wett le chef des rebelles ; c’est lui qui a conquis le S.O. africain allemand (835 000 kmq), tandis que d’autres continents étaient dirigés contre l’Est africain, vaste et riche région de 995 000 kmq, le joyau des colonies allemandes.

Non content d’étouffer dans leur pays la révolte et de porter la guerre dans les colonies allemandes, l’Union sud-africaine a envoyé en France un corps expéditionnaire de 6 000 hommes qui a fait vaillamment son devoir dans les tranchées.

L’auditoire écoute avec le plus vif intérêt le si clair exposé qui lui est fait de la situation sud-africaine, puis l’orateur très applaudi passe à la question australienne.

Fidèle à sa méthode, M. le doyen Froidevaux fera précéder ses considérations sur l’effort australien d’une courte et substantielle description géographique dont nous voulons seulement retenir que si la superficie du continent dépasse 7 800 000 kmq, la population atteint à peine 5 173 000 habitants, soit une densité générale de 3 habitants par 5 kmq.

Le Commonwealth, explique M. Froidevaux, était dans une situation plus favorable que l’Union sud-africaine pour prendre part à la guerre.

En Australie, tout est anglais, l’élément indigène achève de mourir aussi bien sur le continent qu’en Tasmanie et l’organisation de la Fédération australienne qui date du 1er janvier 1901 a une force de résistance et d’expansion que ne possèdent pas encore les jeunes républiques du Cap.

L’Australie, malgré sa situation insulaire, ne se sentait pas en sécurité. L’Angleterre était trop éloignée et l’Allemagne trop proche en Nouvelle-Guinée et aux îles Salomon. Aussi le Commonwealth se méfiait-il de l’emprise germanique qui se manifestait par une progression inquiétante des importations allemandes passées de 1 026 000 l. st. en 1895 à 3 778 000  l. st. en 1910 et à 7 029 000 l. st. en 1913.

La menace d’absorption était directe, le Commonwealth y para en organisant une armée et une marine, qui, destinées d’abord à résister à l’infiltration allemande sont venues apporter en Europe leur puissant concours aux Alliés.

L’empressement du Commonwealth à soutenir l’Angleterre a été tel que les souscriptions ont atteint le chiffre de 200 000 l. st. et que les contingents australiens sur le front dépassent actuellement 300 000 hommes.

La valeur physique et morale de ces soldats est extraordinaire, dit l’orateur, et, à l’appui de ces affirmations, il cite les exploits fabuleux des Anzacs aux Dardanelles, sur la Somme, à Pozières.

La hardiesse, l’ardeur sportive, le mépris de la mort, dont témoignent ces troupes remarquables font l’admiration des Alliés qui combattent avec elles et des chefs qui les commandent.

Si bien qu’à la suite de Pozières, Sir Douglas Haig envoya au Commonwealth un télégramme dans lequel il témoignait sa satisfaction pour la haute valeur des soldats australiens.

Très applaudi, l’orateur termine par un magnifique éloge du loyalisme des colonies britanniques, il vante la grandeur de leur choix et l’importance du concours qu’elles prêtent à l’Entente et en particulier à la France.

Puis, M. Francq, secrétaire-général remercie le doyen Froidevaux pour sa brillante causerie et la séance est levée à 10 h et demi.

Le Secrétaire Général, 
H. FRANCQ.

La France du Nord, vendredi 12 janvier 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/96.

Quelques jours plus tard, c’est le Canada qui est mis à l’honneur lors d’une nouvelle conférence. Allié de poids dès le début du conflit, il envoie plus de 650 000 hommes sur les quatre années de guerre, dont 425 000 dévolus au front occidental.

En 1915, le corps expéditionnaire participe à sa première bataille à Neuve-Chapelle puis se dirige vers le saillant d’Ypres. Après la Somme, il réussit à prendre la crête de Vimy en 1917. Cette victoire demeure un symbole pour le Canada qui a érigé là son mémorial national.

Enfin, en 1918, les Canadiens sont encore en première ligne lors des grandes batailles de la campagne des cent jours (Amiens, Arras, la ligne Hindenburg).

Conférence de M. Salone, vice-président de l’Alliance française sur le Canada

Hier, au théâtre avait lieu la onzième conférence sur l’effort des Alliés. Le sujet choisi était le Canada ; le conférencier M. Salone, professeur au lycée Condorcet, vice-président de l’Alliance française.

La séance était présidée par M. Barlet, vice-président de la Société de géographie, autour duquel avaient pris place : MM. le colonel Daru, gouverneur de Boulogne ; Haffreingue, adjoint au maire représentant la municipalité ; Carpentier, vice-président de l’Alliance française de Lille ; Didier, secrétaire général du comité de l’Alliance française de Boulogne ; Dulot, Francq.

En une délicate et savoureuse allocution très goûtée du public, M. le président Barlet présente le conférencier auquel il donne la parole.

M. Salone dont la conférence sera écoutée avec la plus vive attention et coupée par les fréquents applaudissements du public, est un orateur méthodique, d’une clarté parfaite, que l’on a plaisir et profit à entendre. Sa causerie est de celles qui portent, parce qu’il n’est personne qui ne l’ait suivie d’un bout à l’autre avec satisfaction et sans fatigue.

M. Salone ne s’embarrasse pas d’inutiles et oiseux préambules, de plain-pied, il entre dans le sujet.

Il commence par un rapide et substantiel historique de ce Canada que nous fit perdre la paix de 1763, que ne nous rendit pas celle de 1783 et où nous laissions 60 000 Français.

Le dualisme des races française et anglaise, les rivalités d’écoles, les luttes pour la langue firent un moment espérer à ces bons pangermanismes qui n’ont pas le don de la psychologie des foules que le Canada ne viendrait pas au secours de l’Angleterre dans le cas où la Grande-Bretagne se porterait à l’aide de la France.

Au Canada comme au Cap, les espérances des Barbares ont été déçues. Anglais et Français du Canada ont fait preuve à l’égard de la Mère Patrie du plus parfait loyalisme. Ce peuple de 8 000 000 d’habitants appuyé par les ressources immenses d’un sol neuf, bénéficiant de l’autonomie politique, depuis 1867, libre par conséquent de ses destinées, n’a pas hésité, dès le début, à se jeter bravement dans la lutte.

Dès le mois d’août 1914, les chambres canadiennes fédérales votent la participation du pays à la guerre. D’abord, on crut qu’un simple effort de charité suffirait et l’on créa, avec l’argent canadien un hôpital à Dinard, puis deux hôpitaux de 600 et 1 500 lits à St-Cloud et à Troyes.

L’Association canadienne assura d’importants subsides (100 fr. par mois aux femmes, 60 fr. par mois aux enfants) aux familles de mobilisés canadiens servant dans les armées alliées.

La Croix-Rouge bénéficia de dons importants provenant à la fois des œuvres particulières, des villes de Québec et d’Ottawa, et de la Nation. Le distingué conférencier poursuit son très intéressant exposé par la lecture de lettres naïves et touchantes qui témoignent de la sincérité des sentiments d’amitié des Canadiens pour notre pays.

La lettre de l’abbé Chamberlon, prêtre canadien, qui se dit fier d’être français, qui se déclare prêt à partager ses pauvres guenilles avec ses chers cousins de la Mère Patrie et qui conclut par l’antique acclamation : Vive Dieu qui aime les Francs ! a un vif succès dans l’auditoire qui applaudit chaudement.

Mais, ajoute M. Salone, les Canadiens ne se sont pas contentés d’envoyer des lettres touchantes, ils ont expédié des soldats en France et dans les plaines de Flandre.

Les membres du gouvernement, les archevêques de Québec et de Montréal qui ne voulaient pas, disaient-ils, être Allemands ont contribué, chacun pour leur part, à susciter et à encourager les énergies guerrières.

Les résultats de la patriotique propagande ont été magnifiques.

Dès septembre 1914, le Canada levait 30 000 hommes, chiffre initial qui devait bientôt passer à 50 000, puis à 100 000, puis à 250 000 pour atteindre 350 000 le 15 juillet 1916 ; 375 000 le 15 novembre de la même année et 500 000 hommes actuellement.

Le conférencier donne ensuite d’intéressants détails sur l’organisation des troupes, sur la participation des races ; il cite le Royal Canadien français dont tous les officiers, colonel Gaudet, capitaine Miot, etc., jusqu'au dernier des officiers subalternes, sont français et portent des noms français.

L’orateur, très écouté, poursuit en montrant la transformation rapide de l’armée canadienne dont les soldats se classent au rang des plus intrépides.

Depuis la première fois qu’ils ont vu le feu et ressenti les effets du début des jets de gaz asphyxiants à Ypres, en mai 1915, ils se sont distingués partout où ils ont paru, à Givenchy, à Festubert, à Thiepval.

M. Salone glorifie comme il convient ces valeureux soldats, puis il termine sa remarquable conférence en signalant l’activité de l’arrière qui n’est pas inférieure à celle du front.

Non seulement la fourniture d’obus dépasse 1 200 000 par mois, mais le Canada nous envoie le zinc et le nickel et son effort financier se chiffre par 2 milliards.

Si l’on ajoute, qu’à l’heure actuelle, le Canada a perdu 74 000 hommes dont 18 000 ont été tués, on se rendra compte de l’intensité de l’effort produit par nos frères canadiens.

Cette remarquable conférence a été d’autant plus goûtée à Boulogne, que voyant défiler sous nos yeux, depuis des mois, en un flot ininterrompu, les forces de l’Empire britannique qui passent des sources où elles naissent au front où elles combattent, ne s’arrêtant dans les camps que pour doubler leur remarquable puissance de choc par le repos, nous sommes heureux d’apprendre quelle solidité, quelle cohésion donnent à ces admirables troupes coloniales la communauté de la gratitude envers la Grande-Bretagne et la solidarité de la haine contre les Barbares contempteurs du Droit !

Après que M. Francq, secrétaire général eut remercié M. Salone pour sa brillante et instructive conférence, M. le président Barlet déclara la séance levée à 10 heures et demi.

Le secrétaire général,
H. Francq

La France du Nord, vendredi 26 janvier 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/96.