Monseigneur Julien
S. Em. le cardinal Dubois, archevêque de Rouen annonce en ces termes la nomination de Mgr Julien à l’évêché d’Arras. Nous nous plaisons à citer largement :
La carrière déjà longue de Mgr Julien fut admirablement remplie.
Il est né le 16 janvier 1856 à Cauville-les-Deux-Églises, où son père était instituteur. La famille comptait huit enfants, tous élevés très chrétiennement par une mère aussi pieuse que dévouée. Entré au collège d’Yvelot en 1870, il parcourut très brillamment le cycle des études classiques. Au grand séminaire de Rouen il déploya dans les sciences ecclésiastiques les mêmes qualités intellectuelles qui lui assuraient, sans conteste, la première place.
Entre temps, il continuait ses études profanes. Il n’était pas encore prêtre qu’il passait sa licence ès lettres à la faculté de Douai, c’était en 1878. Quelques années après, en 1882, il conquérait, avec le grade de docteur, le titre d’agrégé de l’Université. Sa formation littéraire fut donc très complète, disons mieux, très glorieuse.
Mais elle ne lui laissait pas oublier le but de sa vie, le sacerdoce, dès longtemps entrevu et aimé. Ordonné prêtre le 17 juillet 1881, il consacrait les premières années de son ministère à la chère institution ecclésiastique d’Yvetot, dont il avait été un brillant élève et dont il restera l’une des gloires. Pendant douze ans, il s’y dépensa sans compter – avec quel dévouement et quel succès, ses élèves s’en souviennent – à l’éducation chrétienne des jeunes gens, à la formation des séminaristes.
S. Em. le cardinal Thomas avait distingué le jeune professeur, déjà émérite ; il lui fit l’honneur de le demander comme secrétaire particulier et le nomma chanoine honoraire. M. l’abbé Julien remplit près de deux années ses nouvelles fonctions, à la satisfaction de son archevêque. La mort du cardinal le rendit à l’institution d’Yvetot. Il y rentrait cette fois comme directeur, et, pour ainsi dire, en famille. Il n’y devait rester que trois ans.
En 1897, M. Julien était nommé supérieur à l’institution Saint-Joseph du Havre. C’est là surtout qu’il se révéla comme un prêtre éducateur éminent. Il mit au service de son œuvre toutes les ressources de son intelligence déliée et profonde, de la fermeté tempérée de délicatesse et de douceur, de son caractère élevé, et, d’un seul mot, de son âme vraiment sacerdotale. Les meilleures familles du Havre – les familles chrétiennes avant toutes les autres – apprécièrent comme il convenait une direction si sage, si forte, si éclairée. Les élèves vinrent nombreux, et M. Julien eut la joie d’en compter simultanément plus de 300. La maison, grâce à lui, grâce aux collaborateurs qu’il s’était associés, arrivait à son plein épanouissement. Il avait le droit d’être fier du résultat de ses efforts.
Aujourd’hui, dans les différentes carrières, les élèves de Saint-Joseph font honneur à leur institution. Un certain nombre d’entre eux ont embrassé l’état ecclésiastique, car M. Julien n’oubliait pas les vocations sacerdotales ; il les favorisait et les cultivait avec soin.
Les soucis de la direction, les fatigues de l’enseignement n’interrompaient pas les travaux personnels de M. Julien. Les quatorze années qu’il passa à Saint-Joseph furent les plus fécondes de sa vie. Il publiait divers ouvrages d’éducation : "Du berceau à l’école" ; "Le conflit" (questions morales et questions sociales) ; deux volumes sur "Bossuet et les protestants" et un certain nombre d’articles dans le "Correspondant" et la "Revue du clergé français" sans oublier le "Carnet scolaire", revue mensuelle de l’institution Saint-Joseph. Il prêchait aussi, toujours prêt à donner son concours à qui recourait à son zèle et à ses talents.
Quelle vie active ! Et combien féconde !
Ceux qui voyaient à l’œuvre M. l’abbé Julien savaient les richesses de sa nature admirablement douée et très souple ; ils sentaient qu’il ne serait inférieur à aucune situation. Aussi applaudirent-ils au choix que Mgr Fuzet fit en 1911 du directeur de Saint-Joseph comme curé-archiprêtre de Notre-Dame du Havre.
Le directeur modèle devint un excellent curé. Il lui suffit de s’adapter à ses nouvelles fonctions ; et l’adaptation fut immédiate M. Julien avait désormais pour son zèle et son activité un nouveau champ d’action plus vaste, plus difficile, mais aussi plus méritoire.
C’est là que nous l’avons trouvé à notre arrivée dans ce diocèse. L’occasion nous avait été donnée déjà de le voir à l’œuvre à l’institution Saint-Joseph ; archevêque de Rouen, nous avons pu suivre de plus près son action sacerdotale dans la paroisse Notre-Dame. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Ses paroissiens, nous le savons, s’en félicitent aussi ; il n’est pas de plus bel éloge à faire de leur curé – bon pour tous, pour ceux-là en particulier qui ont plus besoin de consolation et de secours.
Les œuvres de guerre ont mis en relief l’âme profondément charitable de M. l’abbé Julien. Il s’y est intéressé activement, généreusement ; et chaque dimanche, sa parole, inspirée par le patriotisme et par la foi, redit éloquemment à un nombreux auditoire avide de l’entendre : "Haut les cœurs !" C’est le titre de deux petits volumes publiés par lui récemment.
La guerre présente a fait du Havre une ville à part. A plusieurs reprises, M. l’archiprêtre eut à recevoir des personnages éminents : S. Em. le cardinal Mercier, S. Em. le cardinal Bourne, deux nonces du Saint-Siège en Belgique et les membres du gouvernement belge. Sa distinction naturelle fut à l’aise avec ses augustes visiteurs ou invités ; et ceux-ci demeurèrent sous le charme de l’hospitalité reçue et de leur hôte.
Vous avez su comment, au cours de notre récent voyage à Rome, le Souverain Pontife daignait honorer M. l’abbé Julien d’une dignité prélatice. Personne n’en fut étonné, et tous ses confrères, tous ses paroissiens, tous ses anciens élèves s’en réjouirent.
Aujourd’hui, encore personne n’est surpris que le Pape ait jeté les yeux sur l’archiprêtre du Havre pour en faire un évêque. Pour la deuxième fois en peu de temps l’église Notre-Dame aura eu cet honneur de voir son curé promu à un siège épiscopal.