Archives - Pas-de-Calais le Département
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Le retour des prisonniers

Plus de 7 000 000 de militaires, soldats et officiers, et 2 000 000 de civils ont été faits prisonniers au cours de la Première Guerre mondiale, sur les fronts de l'Est, de l'Ouest, d'Italie et des Balkans. Ce nombre est équivalent à celui des tués lors des opérations militaires. Le travail forcé de la majorité d'entre eux a participé à l'économie des puissances belligérantes.

Lorsque l'armistice est signé le 11 novembre 1918, une clause du traité règle la question du rapatriement des prisonniers de guerre : rapatriement immédiat, sans réciprocité, dans les conditions de détail à régler de tous les prisonniers de guerre, y compris les prévenus et condamnés, des Alliés et des États-Unis. Les puissances alliées et les États-Unis pourront en disposer comme bon leur semblera .

Les prisonniers anglais sont rapatriés dès novembre. Les prisonniers allemands sont, eux, retenus en France jusqu'au début de 1920, pour effectuer des travaux de déminage, au mépris des règles du droit international, et pour contribuer au début de la reconstruction. Ils seront ensuite oubliés, quand ils ne seront pas montrés du doigt et présentés comme des lâches.

Au lendemain de l'armistice, 477 800 prisonniers français sont à rapatrier, par mer ou par voie ferrée. Une fois l'ordre rétabli et l'aide sanitaire et alimentaire fournie, il faut en gérer le retour, confié au général Dupont, en charge de la mission militaire française à Berlin depuis le 30 novembre 1918. Tout va être terminé dès janvier 1919. Il ne reste plus alors en Allemagne que les corps des 20 000 prisonniers qui y sont décédés.

Beaucoup de prisonniers pensent qu'ils pourront revenir directement chez eux, dès leur arrivée sur le sol français. En pratique, ils sont dirigés vers des centres de rapatriement, qui coordonnent les opérations administratives et sanitaires, puis ils sont adressés à des dépôts dans leur région d'origine, où ils reçoivent un congé de détente de 30 jours. Le retour dans leur foyer est chaotique et très mal organisé ; la plupart rentrent chez eux par leurs propres moyens, à pied, dans des charrettes ou des trains pour les plus fortunés ou les plus chanceux.

De retour dans leurs communes, les anciens prisonniers sont déçus car ils ne reçoivent pas les honneurs espérés. L'amertume s'installe. Ils n'ont pas leur place dans les fêtes organisées pour célébrer la victoire : c'est le sacrifice des poilus pour défendre le sol de la patrie qui est valorisé. Les prisonniers sont oubliés, a fortiori lorsque l'on ne connaît pas les conditions de leur capture et qu'ils sont indemnes. Ils sont exclus des distinctions honorifiques consenties aux autres soldats (médaille militaire, croix de guerre). Ceux décédés en captivité n'ont pas droit à la mention "Mort pour la France". La médaille de la Victoire leur est cependant attribuée comme à tous les combattants. Les prisonniers s'unissent en conséquence pour essayer de faire valoir leurs droits.

Le 28 février 1922, le gouvernement attribue aux prisonniers décédés en captivité la mention "Mort pour la France", les rendant égaux avec leurs camarades tombés sur le front. En 1926, ils ont droit au port de la médaille interalliée sans condition de durée de présence dans une unité combattante, sauf si l'autorité militaire motive son opposition. La loi du 11 mars 1930 crée enfin l'allocation aux combattants, à laquelle les prisonniers de guerre peuvent prétendre.

Boulogne. Le retour des prisonniers

Depuis quelques jours nous croisons sans cesse dans les rues de la ville, de malheureux êtres hâves, harassés, l'œil morne et comme empli encore de visions de misères et de souffrances.

Ce sont nos prisonniers, dont la plupart appartiennent à la première région qui [...] en France, libres enfin du véritable esclavage auquel les avait réduits la barbarie allemande.
Ils ne reviendront pas tous hélas ! Plus de 10 000 de ces malheureux qui avaient tant de fois bravé la mort sur la Marne, sur l'Yser et à Verdun ont succombé aux tortures raffinées d'un ennemi dont la lâcheté se vengeait sur des êtres désarmés des terribles coups que lui portaient nos héroïques poilus.
C'est une douleur de plus à ajouter au martyre des rapatriés que d'avoir laissé coucher pour toujours sous la terre d'horreurs, leurs camarades de captivité dont les souffrances endurées en commun avaient fait des amis et même des frères.

Ceux-là n'oublieront pas ! Et si la France, trop généreuse, laissait s'atténuer un juste ressentiment, ceux qui endurèrent dans les camps de représailles les pires souffrances physiques et morales réveilleront dans toute sa force la haine que tout ce qui porte le nom d'Allemand doit inspirer au monde civilisé.

Nous nous sommes entretenu avec plusieurs de ces malheureux. Certes il nous était pénible de leur demander de regarder en arrière pour revivre ne fût-ce qu'un instant les longues heures de souffrance, eux dont le regard ou la dureté s'apaise, se fixe sur le foyer tant attendu qui par sa réchauffante tendresse consolera leurs cœurs meurtris. Nous désirons cependant entendre de leur bouche les impressions du retour.

Bien que l'organisation qui préside à leur réception soit loin d'être parfaite, en général les rapatriés ne laissent pas échapper trop de plaintes. Il est vrai que leur captivité les a accoutumés à ne pas être difficiles.
Sitôt arrivés ils sont hébergés dans des locaux où parfois l'espace prévu n'est pas toujours en rapport avec le nombre des arrivants. On ajoute quelques bottes de paille et… comme dit Paul Hervé "tout s'arrange."

Après une bonne nuit et un repas, qui dans certaines formations se limite un peu trop exclusivement à la boîte de conserve, ils se rendent aux magasins d'habillement. Là, prisonniers de guerre et rapatriés civils touchent chaussures, capote, caleçon, chemise et coiffure. En raison de la pénurie de képis et de calots, les civils touchent une casquette. Cela vaut encore mieux que le calot, les bottes et le pantalon boches dont nous avons vu affublé ce matin un des derniers rapatriés.

Si, suivant les formations auxquelles ils ont été affectés, les impressions de nos prisonniers diffèrent un peu, en revanche tous sont unanimes pour maudire la cruauté allemande.
Dans presque tous les camps où ils étaient internés, la nourriture se composait exclusivement : le matin d'une décoction d'avoine grillée, baptisée café, à midi d'une soupe claire aux rutabagas et le soir, de 300 à 500 grammes d'un pain dont la valeur alimentaire égalait à peine le tiers de celle du pain de chez nous.
Les plus favorisés voyaient à peine tous les quinze jours une tranche de viande dure que seule la faim à laquelle ils étaient constamment en proie leur permettait d'avaler.

Cela était à peine suffisant pour ne pas mourir de faim. Aussi se demande-t-on comment ils ont pu résister, si l'on songe qu'ils étaient astreints à un travail intensif. Certains devaient faire le matin 10 kilomètres pour se rendre au chantier, pendant plus de 8 heures ils portaient des obus, des rails, des pièces de machines, puis après 10 nouveaux kilomètres rentraient au camp exténués et tombaient assommés de fatigue sans avoir parfois le courage de mordre dans la brique innommable décorée du nom de pain.

Ceux qui étaient les plus à plaindre étaient les prisonniers employés au travail des mines et c'est dans leurs rangs que la maladie et la mort firent le plus de ravages.

En revanche, les privilégiés, logés dans les fermes et affectés aux travaux agricoles furent en comparaison de leurs camarades relativement heureux. Leur nourriture, si elle était grossière et peu appétissante, était suffisante.
C'est parmi ces derniers que se trouvent ceux dont la cachexie n'a pas creusé les joues et plombé le visage.

Il faudrait des livres entiers pour raconter les souffrances et les misères des malheureux que le sort des armes fit tomber aux mains de ceux que nos amis d'Amérique flétrissent à si juste titre du nom de "Huns".
Aussi, devons-nous nous efforcer de les entourer de soins et d'attentions dès qu'ils touchent le sol de France car jamais notre gratitude n'égalera leur malheur.

[Censuré]

Les plus élémentaires mesures d'humanité ne sont même pas prises. Il est des rapatriés que leur état oblige à se traîner péniblement le long de nos rues. Ne pourrait-on, comme cela se fait pour leurs camarades anglais, mettre à leur disposition des véhicules qui les transporteraient dans les locaux où ils doivent loger ?

La France du Nord, samedi 7 décembre 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/97.

Nos prisonniers vont être mieux traités

Mieux vaut tard que jamais ; telle semble devoir être la devise de l'autorité chargée de la réception des rapatriés dans notre ville.

Un de nos amis, qui tient le renseignement de source sûre, nous informe, qu'à la suite d'un de nos derniers articles, dénonçant la lamentable insouciance avec laquelle ces malheureux sont accueillis, des mesures aussi immédiates qu'efficaces allaient être prises pour faire cesser un état de choses dont l'opinion publique commençait à s'émouvoir sérieusement.

Des bons de repas et de couchage portant des indications claires et précises et non plus des chiffres hermétiques ou cabalistiques leur seront remis. Plusieurs sous-officiers dont la mission sera de les guider seront détachés aux gares d'arrivée. Ils pourront ainsi sans être obligés d'errer de longues heures à travers les rues de la ville trouver de suite à manger, à coucher et à changer les valeurs qu'ils possèdent.

On veillera enfin à ce que leur évacuation ou leur départ en permission s'effectue plus rapidement. La plupart d'entre eux étaient en effet contraints d'attendre trois jours et quelquefois davantage le titre leur permettant de quitter Boulogne. Il en résultait un encombrement sans nom dans les locaux où ils étaient logés du fait que les premiers occupants, retenus sans raison, ne faisaient pas place aux nouveaux venus dont le nombre croissait sans cesse.
Ces mesures, si elles sont réellement appliquées, amèneront une amélioration très sensible dans le sort de nos prisonniers ; leur seul tort serait d'avoir été prises un peu tard.

Quoiqu'il en soit, nous serions on ne peut plus heureux si notre intervention avait eu pour résultat une modification que l'opinion publique réclamait avec énergie.

La France du Nord, jeudi 12 décembre 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/97.

Pour nos prisonniers

Les prisonniers rentrent. Suivant le port ou la gare, le débarcadère ou le quai, ils connaissent l'accueil officiel, guindé, mesuré, protocolaire ou l'accueil sympathique, chaud, affectueux d'âmes charitables voulant et sachant délicatement traduire leur gratitude à des martyrs de la guerre.
Aucune de ces manifestations cependant n'échappe au prisonnier quelle que soit sa culture intellectuelle.

Il importe que beaucoup se pénètrent de cette vérité. Le captif qui rentre, après avoir vécu trois ou quatre ans dans les geôles allemandes, est devenu observateur. La plupart du temps c'est un concentré, un renfermé. Il parle peu, il ne découvre plus sa pensée à tout venant. Mais il a, en revanche, contracté l'habitude précieuse de réfléchir davantage. Il observe et se tait. Rien ne lui échappe des moindres mouvements d'autrui. Au débarcadère, sur le quai où il pose le pied en arrivant sur la terre de France, il se trouve dans un monde nouveau qu'il découvre d'un œil rapide et sûr.

Il m'a été rapporté des réflexions, hélas, trop fondées, de ces malheureux à l'occasion du premier repas qu'on leur servait en France. L'accueil qui leur était fait, leur semblait trop corvée mondaine ! Je fais grâce aux lecteurs des commentaires savoureux de ces loques humaines dont la vie abrégée ne sera plus désormais qu'un martyre incessant. Certaines sont cinglantes et je ne vois pas qu'il y ait, pour le bien général, intérêt à publier des remarques trop crues et trop cruelles.

Cependant il ne sera pas mauvais que s'observent ceux qui accepteront, à titre officiel ou privé, l'honneur de recevoir nos prisonniers ; qu'ils apportent, ceux-là, dans leur mission une sympathie si réelle, qu'ils y mettent tout de leur cœur, que leur sincérité ne puisse être mise en doute.

Procéder autrement, afficher un formalisme exagéré, traiter ces grands enfants malades comme certains ronds-de-cuir ont pris l'habitude de traiter leurs victimes – j'entends tous ceux qui, à un titre quelconque, ont dû passer devant leur guichet – serait, à l'heure présente, la dernière des maladresses.

Nos chers captifs en ont assez de la bureaucratie tatillonne et sans entrailles. Beaucoup ont lu nos journaux en captivité. Le ventre creux, l'oreille tendue, les poings serrés, la rage au cœur, groupés silencieux autour du camarade qui, en cachette, faisait à mi-voix la lecture de la feuille passée en fraude, ils ne perdaient pas une miette des nouvelles de France. L'aliment était trop précieux : c'était un peu de l'air de "chez nous" qui leur arrivait aussi.
Et après la lecture le commentaire commençait, provoquant la discussion animée, âpre souvent, car toutes les feuilles arrivaient au camp : celles même qui, en pleine guerre, poussaient à la haine les frères d'armes…

Il est malheureusement des maladresses et des injustices qu'on ne réparera pas de sitôt et qui seront difficilement pardonnées : ce sont celles qu'on a commises contre les familles de ces prisonniers soit comme allocataires militaires, soit comme allocataires réfugiés, évacués ou rapatriés. Les vieux parents, les femmes et les enfants de ces combattants exilés ont été victimes de monstrueuses iniquités. Tandis que le père de famille souffrait de mille tourments dans les bagnes boches, la famille était torturée de privations dans des chambres sans feu, dans des masures inhabitables, car les ressources étaient limitées, comme le pain et le charbon administratifs, au strict minimum !

Voilà ce qu'à leur retour les prisonniers apprendront.
"De quoi l'aîné est-il mort ? Pourquoi les "gosses" n'ont-ils pas mieux "poussés" ?... Où donc as-tu contracté cette toux sèche ?... Pourquoi les champs sont-ils en friche quand il y a tant de prisonniers boches à ne rien faire ?... On ne s'est donc occupé ni de toi ni des petits ?... Quelle fut ta part et le leur dans les centaines de millions de l'assistance officielle ?... Comment as-tu vécu de si peu ?"

L'heure la plus difficile n'a pas sonné. Elle est à venir, lorsque les camps allemands, les mines et les carrières boches auront relâché les victimes échappées à d'incroyables tortures, lorsque seront rentrés ceux qui, hélas, auront accumulé dans leur cœur autre chose que de l'amour et pour qui la patience est devenue une vertu dont on parle, mais qu'on ne pratique plus lorsque la mesure est comble.

N'oublions donc pas les prisonniers qui rentrent. Ils furent, peut-être, trop longtemps loin des yeux, loin hélas de cordiales sincères, fraternelles préoccupations. Mais les voici revenus.
Aidons-les à se refaire une vie. Aidons-les à réparer les injustices dont ils ont, eux et leurs familles, été les victimes. Pansons les plaies avec lesquelles ils reviennent et que peuvent rouvrir la vue des ruines et l'annonce de deuils insoupçonnés. N'attendons, pour le faire, ni leurs appels ni leurs réclamations, car nous risquerions de n'entendre que des clameurs.

Ludovic Rémon

Le Télégramme, mercredi 24 décembre 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/30.