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Conférence franco-britannique à Calais ou les rapports conflictuels de deux alliés

(6 juillet 1915)

Est-il besoin de rappeler la guerre de Cent Ans, les luttes fratricides entre Henri VIII et François Ier, la guerre d’indépendance des États-Unis ou encore Waterloo pour se souvenir des rapports souvent houleux entre la France et la Grande-Bretagne ?

Carte postale couleur montrant deux soldats anglais et français blessés, se donnant une accolade devant les drapeaux de leurs pays.

"Anglais et Français chassent les Barbares hors la France. Frères d'armes", carte postale numérisée dans le cadre de l'opération Europeana. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 num 01 030/214.

La conférence franco-britannique du 6 juillet 1915 à Calais marque un tournant dans la conduite de la guerre, en essayant de coordonner les actions des deux frères ennemis. Cette conférence tire son origine du conflit stratégique existant entre les deux pays sur les orientations données à la guerre sur le front occidental.
Plusieurs vecteurs y ont contribué : des objectifs politiques différents, des attitudes divergentes entre politiques et militaires, enfin des différences d’appréciation entre Français et Britanniques.
Ces pourparlers entre dirigeants politiques, Lord Horatio Kitchener et Alexandre Millerand, et militaires, Sir John French et le général Joseph Joffre, sont un succès, puisqu’à l’automne 1915 les offensives franco-britanniques seront gagnantes.

Deux nations, deux stratégies

C’est après le conflit franco-allemand de 1870 que la France comprend l’obligation de former des alliances avec des partenaires ; en effet, elle se sait nettement inférieure à l’Allemagne en termes de croissance démographique et de ressources industrielles. C’est ainsi qu’un pacte franco-russe est conclu en 1892, et est suivi en 1904 de l’Entente cordiale entre la France et le Royaume-Uni.

Néanmoins, les stratégies de ces deux nations nouvellement amies sont différentes ; leurs objectifs étant discordants ainsi que les moyens mis en œuvre pour y parvenir, la coopération paraît difficile, en ce début de guerre, et les défaites annoncées.

Le général Joffre, commandant en chef des opérations, a un but : chasser les armées allemandes hors de France. Quant au Britannique Lord Kitchener, secrétaire d’État à la Guerre, il a lui-même plusieurs objectifs : protéger les "intérêts vitaux" du Royaume-Uni, développer le commerce mondial de son pays, équilibrer le pouvoir sur le continent et favoriser l’expansion de l’Empire.

En outre, la stratégie de Joffre comporte d’importantes exigences vis-à-vis des sujets de Sa Majesté. Il demande en effet le déploiement du corps expéditionnaire britannique dès le 12 août, l’envoi des forces anglo-saxonnes disponibles en territoire français, une participation maximale de ces mêmes forces lors des affrontements, afin qu’elles se conforment en tout point à la stratégie et aux directives opérationnelles françaises.

Les dirigeants militaires et politiques d’outre-Manche, eux, adoptent plutôt une stratégie patriotique, leurs préoccupations sont la continuité de la domination navale des océans et les affaires courantes. Ils souhaitent une intervention militaire limitée de leur part, leur volonté est de coopérer avec les Français, mais en gardant une indépendance complète.
C’est sur l’ensemble de ces points que nous pouvons constater des divergences ; néanmoins, la priorité absolue des Britanniques est la défense de l’Empire, leur plus grande peur est que les Allemands l’emportent sur les Français et les Russes et arrivent aux portes du Royaume-Uni, présageant l’invasion.

Dans les faits, la rivalité entre Français et Britanniques est bien présente. Pour la préservation de leurs "intérêts vitaux", ces derniers s’investissent aussi hors de France. Au-delà de Sir John French, qui aurait préféré donner son appui à la Belgique plutôt qu’à la France où il a été basé dans un premier temps, ils combattent à Anvers (Belgique), engagent des expéditions à Salonique (Grèce) et aux Dardanelles (Empire ottoman), tout cela dans l’intérêt, parfois commercial, de l’Empire. La rivalité franco-britannique va même jusqu’au Moyen-Orient où des campagnes anglaises sont menées dans le but de faire vaciller la sphère d’influence française, notamment à Alexandrette en Syrie ; signe d’une Entente cordiale, somme toute, assez limitée.

Les inimitiés se renforcent encore lorsque, début 1915, les Britanniques apprennent que les Français, qui les pressent de s’engager, ont encore un million et demi d’hommes dans les dépôts, et lorsque les Français s’aperçoivent que les renforts anglo-saxons seront en retard, occupés sur d’autres fronts.

Regarder ensemble dans la même direction

Photographie noir et blanc du général Joffre en visite à Calais le 6 juillet 1915.

Visite du général Joffre à Calais, le 6 juillet 1915, photographie. Archives départementales du Pas-de-Calais, 43 Fi 352.

Une première réunion entre les deux nations a lieu le 29 mars 1915 afin de résoudre ces problèmes de communication et d’incompréhension. La résolution des animosités n’est que partielle puisqu’en mai 1915, John French refuse de relever les troupes françaises à Ypres et que, quelques jours plus tard, le général Joffre le laisse attaquer seul à Neuve-Chapelle.

En mai 1915, les échecs anglais de la crête d’Aubers et les échecs français à Vimy vont finalement aboutir à la décision d’une meilleure coopération entre les deux pays.

La conférence de Calais aurait pu mal se passer après une succession d’incidents diplomatiques. Aucune délégation française n’a accueilli les Britanniques qui sont arrivés tard dans la nuit du 5 au 6 juillet ; du fait de leur arrivée nocturne, ils ne se sont pas présentés à la réunion de 9 h où les Français les attendaient.
Pourtant, ces péripéties n’ont pas entaché le succès de ce colloque.

Quelques jours plus tard, à l’occasion de la fête nationale française, l’association anglo-saxonne French Relief Fund organise la journée du drapeau français au Royaume-Uni. À cette occasion, la capitale, Londres, s’est parée dans toutes les rues et boutiques des trois couleurs de la France. Dans tout le pays, 750 000 enfants ont chanté la Marseillaise. Cette journée de consolidation des liens a été un grand succès, de l’argent et des vêtements ont été collectés avec un nombre record.

L’histoire tumultueuse de la France et de la Grande-Bretagne est finalement une histoire de famille assez classique. Malgré son lot de rivalités, de jalousies ou d’incompréhensions, les liens affectifs sont indéfectibles.

Voir aussi

Bibliographie 

Roy A. PRETE, "Le conflit stratégique franco-britannique sur le front occidental et la conférence de Calais du 6 juillet 1915", Guerres mondiales et conflits contemporains, 186, avril 1997, p. 17-49. Archives départementales du Pas-de-Calais, PB 31/37.