Une abbaye dans la tourmente révolutionnaire

Document manuscrit retranscrit ci-contre.

District d’Arras, inventaire fait en l’abbaïe de St-Éloy le 4 juin 1790 et clos le 11 dudit mois, 1790. Archives départementales du Pas-de-Calais, 2 L 1/185.

Le 2 novembre 1789, l’Assemblée constituante nationalise par décret les biens de l’Église et affecte toutes les propriétés et revenus dont elle peut disposer au paiement des créanciers de l’État. En contrepartie, l'État s'engage à prendre à sa charge l'entretien des ecclésiastiques, les frais du culte et le soulagement des pauvres .

Ainsi, du 4 au 11 juin 1790, le maire de Mont-Saint-Éloi, Barthélémy Leclercq, procède à l’inventaire des biens de l’abbaye.

Transcription du document

Inventaire fait en l'abbaye de St Eloy le 4 juin 1790 et clos le 11 dudit mois

L’an mil sept cent quatre vingt dix, le quatre juin, huit heures du matin, nous Barthelemy Martin Joseph Leclercq, maire, et Hubert Joseph Leclercq, premier officier municipal du village du Mont St Eloy, district d’Arras, département du Pas-de-Calais, commissaires nommés par ordonnance couchée au bas du réquisitoire du procureur de la commune dudit lieu du deux de ce mois portante que par lesdits Leclercq, il sera procédé aux devoirs et opérations prescrites par les lettres patentes du roi, sur vu décret de l’assemblée nationale concernant les religieux donné à Paris le vingt six mars dernier, publié et affiché le trente de mai aussi dernier, nous sommes transportés en l’abbaye du Mont St Eloy et delà au chapitre de ladite abbaye où nous avons trouvé Messieurs les abbés prieur et religieux de ladite abbaye auxquels nous avons déclaré le sujet de notre commission et fait lecture des lettres patentes susdattées, et en conséquence desdites lettres patentes du ving six mars dernier, nous commissaires susdits, à l’intervention du procureur de la commune et assisté de Jean Baptiste Lequesle, secrétaire greffier de ladite commune, avons procédé aux devoirs et opérations repris et énoncés esdits lettres patentes ainsi qu’il suit […].

Tableau manuscrit portant le titre suivant : "Tableau dressé par les officiers municipaux de St Eloy des religieux de l'abbaye de ce nom qui suivant la loi du 14 octobre dernier ont déclaré vouloir vivre en commun". Suit un tableau comportant les colonnes suivantes : nom de baptême te de famille, naissance, profession, observations.

Tableau des religieux de l’abbaïe qui suivant la loi du 14 octobre dernier ont déclaré vouloir vivre en commun (…), 1791. Archives départementales du Pas-de-Calais, 2 L 1/185.

Le 12 juillet 1790, l'Assemblée constituante vote la Constitution civile du clergé . Cette loi avait été précédée en février par celle sur l’abolition des vœux monastiques dont le but était de dissoudre les ordres religieux contemplatifs considérés comme "inutiles". Ne sont conservées que quelques maisons pour ceux qui refusent le retour à la vie privée.

Le 15 mars 1791, 23 religieux du Mont-Saint-Éloi déclarent vouloir persévérer dans la vie commune. L’abbaye est donc officiellement conservée.

Estimation des maisons et bâtiments de l’abbaye du Mont-Saint-Éloi par Thomas Gayant, architecte expert, 22 octobre 1792. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 Q 140.

En 1792, la confiscation puis la vente des biens de l’abbaye s’organisent. Les révolutionnaires ont inscrit la propriété comme un droit inviolable et sacré dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. La mise en vente des biens nationaux apparaît comme une réponse à l’espoir des paysans de devenir propriétaires.

En 1793, les bâtiments, après avoir servi d’hôpital, sont mis en vente. Gaspard Défontaine, fermier à Berthonval, achète la partie principale de l’abbaye qu’il démantèle et transforme en carrière de pierre. Il cède la ferme à son fils.

Transcription du document

L’an mil sept cent quatre vingt douze, le vingt deux octobre premier de la République, nous Louis Dominique Thomas Gayant, architecte expert nommé par un arrêté du dix novembre mil sept cent quatre vingt dix, pour faire l’estimation des maisons et bâtiments appartenant ci-devant à des corps ecclésiastiques faisant actuellement partie des domaines nationaux, sommes transportés au village du Mont St Eloy à effet de faire la visite et estimation de la ci-devant abbaye située audit lieu où étant nous avons procédé à ladite visite et estimation ainsi qu’il suit.

Cette maison est composée d’un bâtiment faisant face à la place, contenant une porte d’entrée décorée de colonnes architraves, frises, corniches et balustrades, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, un bâtiment de chaque côté de cette entrée contenant un logement de portier et des remises, un grand corps de bâtiment faisant face à l’entrée et formant la cour, d’une construction solide, en briques et pierres de taille, couvert en ardoises contenant un grand vestibule à droite, un salon, une antichambre, une chambre à coucher, deux cabinets, à gauche une salle à manger formant le quartier du ci-devant abbé, sur le même alignement une chambre et un cabinet pour des étrangers. L’étage au-dessus contient des chambres et appartements à coucher.

Un autre bâtiment en retour faisant face […].

Document manuscrit sur lequel on lit : "L’an mil sept cent quatre-vingt-douze, premier de la République française, le cinq octobre, deux heures après midi, en exécution de l’arrêté du Directoire du district d’Arras en date du vingt-neuf septembre dernier et conformément à la loi du sept août précédent concernant les religieux et religieuses, nous, André Joseph Goudemy, administrateur du district d’Arras, commissaire préposé à la vente, transport de meubles et effets nationaux qui existent dans la ci-devant abbayes de St-Eloy, Écurie[?] et Avesnes, nous sommes transporté accompagné de Pierre Joseph François Dion, sergent priseur d’Arras en la ci-devant l’abbaye de St-Eloi, ou après avoir reconnu qu’il ne se trouvait plus aucun meuble susceptible d’être vendu, nous avons procédé à l’enlèvement des argenteries, cuivres d’ornement de l’église, dont la description suit […]."

Description des ornements de l’église, 5 octobre 1792. Archives départementales du Pas-de-Calais, 2 L 1/185.

La vente des meubles commence dès le printemps 1791. Le 5 octobre 1792, André-Joseph Goudemetz, administrateur du district d’Arras préposé à la vente des biens nationaux, constate qu’il ne se trouve plus aucun meuble susceptible d’être vendu .

Il procède alors à l’inventaire puis à l’enlèvement des argenteries, cuivres et ornements de l’église.

L’abbaye est définitivement fermée.

Courrier adressé par Georges Wartel à Ferdinand Dubois de Fosseux, secrétaire de l’Académie d’Arras, 12 octobre 1789. Archives départementales du Pas-de-Calais, 32 J 367.

Dom Georges-Joseph Wartel, né en 1727, devient chanoine de l’abbaye du Mont-Saint-Éloi en 1749. Membre de l’Académie d’Arras et frère d’un député aux États généraux, il observe les événements révolutionnaires qu’il évoque dans sa correspondance avec Dubois de Fosseux.

Le 12 octobre 1789, faisant preuve d’une lucidité prémonitoire, il écrit : Le plus triste avenir se présente pour nous, nous sommes les plus faibles et si nous ne sommes pas anéantis, il y a grande apparence que nous serons cruellement châtiés .

Transcription du document

[...] Le plus triste avenir se présente pour nous, nous sommes les plus faibles et si nous ne sommes pas anéantis, il y a grande apparence que nous serons cruellement châtiés.

M. André m’a fait beaucoup de plaisir en venant ici boire à votre santé avec moi. M. de Gay m’est venu voir aussi depuis mon retour de vacances, il m’a fait présent de ses souvenirs imprimés en papier velin, et comme il avoit écrit de sa main sur le premier feuillet : à M. Wartel chan[oine] rég[ulier] de l’abbaye de St Eloy de la part de l’auteur Le Gay , j’écrivis dessous :

Les jeux, les ris, suivent les traces
De ce nouvel Anacréon
Il est le favori des grâces
Et le bienaimé d’Apollon.

M. Le Gay me reprit le livre pour écrire le quatrain suivant :

Lorsque je t’offre mon ouvrage,
Tu dis : ce présent est beau. Soit,
Mais ce quatrain me dédommage,
Quand tu crois devoir, on te doit.

L’heure m’appelle à l’église, il ne me reste que le temps de vous présenter les respects avec lesquels j’ai l’honneur d’être,

Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
P. Wartel chan[oine] rég[ulier]

À St Eloi le 12 octobre 1789

Courrier adressé par l’abbé Laignel aux administrateurs du district d’Arras par lequel il justifie son retard à présenter les comptes de l’abbaye, 18 août 1791. Archives départementales du Pas-de-Calais, 2 L 1/185.

La plupart des chanoines du Mont-Saint-Éloi sont victimes des lois révolutionnaires. L’abbé Augustin Laignel est enfermé à la prison du Vivier avec cinq autres religieux dès l’hiver 1793-1794. Accusé de trahison et conspiration, conservation d’un grand nombre d’écrits fanatiques et contre-révolutionnaires , il est guillotiné en place publique en avril 1794.

Transcription du document

Messieurs,

Je reçois aujourd’hui l’honneur de la vôtre en date du 13 du présent mois, je me hâte d’y répondre et j’avoue que j’avais promis nos comptes pour la fin du mois de juillet et si cela n’est point exécuté, ce n’est nullement de ma faute, grand nombre de quittances que je n’avais pas tirées lorsque je payais moi-même, le retard à les recevoir malgré la diligence que j’y ai mise depuis longtemps en est la seule cause. C’est donc, Messieurs, pour éviter les disgrâces que j’ai différé à vous les présenter, puisque vous les voulez incessamment, j’aurai l’honneur de vous les remettre, avec les pièces que j’ai pu me procurer un des premiers jours de la semaine prochaine. Je vous adresse une supplique qui regarde le terrible ouragan que nous avons essuyé mardi 16 à six heures et un quart du soir. Vous trouvant exposé dans l’église et plusieurs quartiers de la maison à toutes les injures de l’air, j’espère que vous voudrez bien la prendre en considération et faire constater le dommage pour le réparer le plus tôt possible. Vous obligerez celui qui l’honneur d’être,

Messieurs,

Votre très humble et très obéissant serviteur
Laignel, abbé de St Eloy.

Le ... reçu le compte sans preuve justificative,
Le 10 septembre reçu les preuves justificatives,
Le même jour renvoyé le compte au sieur Laignel pour être signé par les religieux de la maion.

Peinture colorisée montrant des paysans vaquant à leurs occupations devant le portail d'une abbaye.

Carte commémorative du 14ième Salon des collectionneurs, 10 octobre 1999. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Fi 589/50.

Mont-Saint-Éloi. Œuvre picturale exécutée en 1999 par Hervé Barthélemy, donnant un regard sur l’abbaye à l’achèvement des constructions sur le site vers 1765.

Photographie couleur montrant la maquette d'un site religieux composée d'une église et d'un ensemble de bâtiments autour.

Carte commémorative du 6ième Salon de la carte postale de collection du 9 octobre 1994. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Fi 589/38.

État des lieux en 1794. Maquette réalisée par Michel Coppin au vu des plans, croquis et lithographies dressés à l’époque de la démolition par les acquéreurs des édifices (1794-1834), suite à la confiscation et aux ventes comme biens nationaux.

Fermeture au public

Galerie photos

Transcription du document

Inventaire fait en l'abbaye de St Eloy le 4 juin 1790 et clos le 11 dudit mois

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